15 % pour Trump, 0 % pour la dignité européenne
L’Union européenne se voulait puissance. Elle n’est qu’un marché. Le dernier accord commercial signé avec les États-Unis, imposant des droits de douane de 15 % sur les exportations européennes, acte une fois encore l’impuissance stratégique de Bruxelles. À la merci de Washington, incapable de rivaliser avec Pékin, l’Europe néolibérale a trahi son ambition initiale.
Ce devait être l’un des piliers du projet européen : faire de l’Union une puissance capable de rivaliser avec les géants mondiaux. Mais l’accord conclu ce 27 juillet entre Bruxelles et Washington, entérinant l’imposition de droits de douane de 15 % sur certains produits européens, et la promesse d’achat de 750 milliards d’énergie polluante en plus de 600 milliards d’investissements aux États-Unis, confirme ce que beaucoup pressentaient : l’Europe est loin d’être un acteur géopolitique majeur, mais plutôt un figurant du marché mondial. Par peur d’une éventuelle taxation à 30%, Ursula von der Leyen, pourtant grande donneuse de leçons à la sauce libérale, a tout simplement offert l’une de ses plus belles victoires à Donald Trump.
« Tout a été cédé », a réagi Jean-Luc Mélenchon, dénonçant une « mauvaise blague » qui foule aux pieds les valeurs proclamées par le Traité de Lisbonne¹. Même le très modéré ministre chargé de l’Europe, Benjamin Haddad, admet que l’accord est « déséquilibré » et risque d’aboutir à l’« effacement européen sur la scène mondiale »¹. Ce lundi matin, le Premier ministre, François Bayrou, évoquait de son côté un « jour sombre » et déplorait une « soumission ».
Alors que les États-Unis réimposent leur politique commerciale agressive, l’Europe recule. Elle négocie sous pression, sans plan B. Elle se couche, encore et toujours. Quelle « puissance » accepte volontairement de s’infliger des barrières douanières pour éviter pire ? C’est une reddition à peine maquillée en compromis.
Une Europe au service du capital, pas des peuples
Mais cette faiblesse n’est pas un accident. Elle est le produit d’un projet construit non pas pour affirmer une puissance démocratique et solidaire, mais pour mettre en concurrence les peuples et déréguler les États. La “constitution économique” de l’UE, fondée sur la concurrence libre et non faussée, a transformé l’Union en paradis pour les multinationales et en enfer pour les politiques sociales.
Depuis Maastricht, les règles européennes empêchent toute politique ambitieuse de redistribution ou de relance. Le pacte de stabilité interdit les investissements massifs dans les services publics. L’indépendance de la BCE prive les États de leur souveraineté monétaire. L’harmonisation fiscale est un mirage, alors que le dumping social est la norme². Fabien Gâche, syndicaliste CGT chez Renault, présent sur la liste PCF aux dernières élections européennes, avançait lors de la campagne que la volonté populaire était à l’exacte inverse de ce qui est imposé. Et qu’il fallait plutôt « mettre fin au règne de la concurrence entre les peuples en harmonisant par le haut le niveau social des travailleurs européens avec de bons salaires indexés sur l’inflation ».
Mais l’Europe n’est pas neutre. Elle favorise systématiquement le capital contre le travail, les grandes entreprises contre les petites, le libre-échange contre la souveraineté économique. Cette Europe-là est celle de la rigueur budgétaire, des traités gravés dans le marbre et d’un Parlement européen privé de véritables leviers.
Technologiquement distancée, écologiquement dépassée
Pendant que l’Europe tergiverse, la Chine avance. Grâce à une planification stratégique de long terme — qu’on peut critiquer pour son autoritarisme mais pas pour son inefficacité — Pékin s’impose comme leader mondial de la transition écologique. En 2024, la Chine représentait à elle seule plus de 50 % de la capacité mondiale ajoutée en énergie solaire³. Elle déploie également des capacités records en éolien offshore, en stockage énergétique et en batteries.
Sur le terrain technologique, la Chine commence à se détacher de la dépendance américaine. En juillet, elle a dévoilé un processeur gravé en 5 nm, rivalisant avec les puces les plus avancées d’Intel ou AMD⁴. En s’interdisant un appui efficace des institutions dans les domaines clefs, l’Europe ne dispose d’aucun acteur équivalent. La stratégie industrielle européenne n’a accouché que de promesses molles, étouffées par l’obsession de ne pas fausser la concurrence.
Pendant ce temps, les usines ferment, les brevets s’envolent et les dépendances se multiplient. Il n’existe toujours pas de moteur de recherche européen majeur, pas de cloud souverain de grande ampleur et presque aucun acteur de l’IA capable de rivaliser avec OpenAI, Google ou Baidu.
Repenser radicalement le projet européen
Ce qu’il faut aujourd’hui, ce n’est pas un « rééquilibrage » ou un vague sursaut. C’est une refondation. Une désobéissance assumée aux règles qui empêchent toute politique ambitieuse. Une priorité donnée à la production locale, soutenable et tournée vers les besoins des populations, et non vers l’exportation compétitive à tout prix.
La dépendance aux marchés extérieurs rend l’Europe vulnérable à chaque nouveau tarif douanier imposé par les États-Unis, l’Inde ou la Chine. Et cette obsession pour les exportations conduit à des délocalisations absurdes, socialement destructrices et écologiquement désastreuses. Il faut oser taxer lourdement les entreprises qui délocalisent, réintroduire des barrières écologiques et sociales à l’importation et relocaliser les filières industrielles clés.
Il ne s’agit pas de replis nationalistes, mais de souveraineté démocratique. Celle qui permet aux peuples de décider ce qu’ils produisent, pour qui, dans quelles conditions et avec quelles conséquences.
Une Europe des peuples, pas des lobbys
L’Union européenne ne se réformera pas en continuant à voter des résolutions sur le « dialogue social » tout en validant les accords de libre-échange avec le Mercosur ou le Canada. Elle doit rompre avec l’austérité, investir massivement dans les infrastructures publiques, imposer une taxe sur les grandes fortunes et rehausser les salaires partout.
Elle doit aussi mettre fin à l’impunité fiscale des géants du numérique, interdire les alliances avec l’extrême droite au Parlement et redonner un pouvoir réel aux citoyens. Sans cela, elle ne sera jamais qu’une coquille vide, un marché soumis à l’Empire du moment.
Quant à l’accord conclu par Ursula von der Leyen, il serait incroyable qu’il ne soit pas soumis au vote de la représentation européenne. C’est d’ailleurs ce que réclame l’insoumise Manon Aubry en tant que co-présidente de The Left, le parti de la gauche européenne. Si la commission venait à passer en force, ce serait une nouvelle fois la preuve que tout doit être reconstruit sur le plan continental.
(Photo Fred Guerdin / European Union – CC)
Notes et sources :
- Le Monde, 28 juillet 2025 – Droits de douane : l’Union européenne offre une victoire politique à Trump
- La Grande Conversation – Protestataire ou euro-critique ?
- Le Monde, 13 juillet 2025 – La Chine, hyperpuissance de la transition écologique
- Clubic, juillet 2025 – La Chine dévoile un nouveau processeur qui ne fait plus rire personne