1er mai : au-delà du symbole, c’est la famille qui est encore attaquée
Du bon pain frais et des fleurs : quoi de plus légitime que de vouloir en acheter en cette belle journée fériée ? Promis, les sénateurs UDI qui ont déposé une proposition de loi visant à permettre aux boulangers et aux fleuristes de faire appel à leurs salariés ne veulent en « aucun cas remettre en cause le caractère férié et chômé de cette journée, mais reconnaître la spécificité de certaines activités qui participent pleinement à notre vie quotidienne et à notre patrimoine culturel»(1).
Outre l’atteinte directe au symbole même du 1er mai, qui est un jour chômé annuel célébrant les conquêtes sociales des travailleurs, le texte rappelle dangereusement la technique du « pied dans la porte » utilisée il n’y a pas si longtemps pour imposer aux travailleurs, notamment aux plus précaires, de travailler le dimanche. Le tout accompagné d’arguments souvent fallacieux.
Un mieux illusoire pour l’économie
À commencer par celui de l’économie qui se porterait mieux avec le travail le dimanche. Sauf que l’enthousiasme de ceux qui argumentaient en ce sens s’est vite heurté à la réalité. Les entreprises ont souvent connu une hausse de leurs coûts (salaires, électricité,…) alors que les ventes réalisées sont des achats décalés des autres jours. Alors pourquoi ouvrir ? Pour ne pas laisser le champ libre à la concurrence. Du côté de l’emploi, c’est encore pire. Loin des 200 000 créations annoncées, l’effet serait au mieux neutre(2). Avec des pertes d’emploi notables et des fermetures du côté des commerces alimentaires de proximité, désormais concurrencés tous les jours de la semaine.
Autre argument, celui du pouvoir d’achat des travailleurs qui « espèrent » pouvoir travailler le dimanche et les jours fériés pour arrondir leurs fins de mois. L’idée est de récompenser les courageux qui n’ont pas peur de « travailler plus pour gagner plus ». Sauf que la grande majorité des salariés, selon les études, espère plutôt travailler moins pour trouver un meilleur équilibre travail/vie personnelle. Un tiers d’entre eux serait même disposé à voir leur salaire réduit de 5% pour ce faire. Une baisse de rémunération inacceptable pour les personnes aux revenus modestes, celles qui n’ont pas d’autre choix que d’être « volontaires » pour travailler les dimanches et jours fériés.
La véritable réponse serait d’augmenter sérieusement le SMIC et les bas salaires pour que chacun puisse vivre dignement de son travail. Car oui, le travail le dimanche concerne avant tout les bas salaires, les emplois peu ou pas qualifiés que l’on retrouve principalement dans le commerce et la restauration. Hormis dans les services indispensables (santé, sécurité), ce ne sont pas les cadres supérieurs que l’on trouve au boulot le dimanche.
Quant à ceux qui veulent absolument faire leurs courses le dimanche, on peut s’interroger : est-ce vraiment bénéfique à leur bien-être ? N’ont-ils réellement rien de mieux à faire ? Ou est-ce un désir égoïste, contraignant d’autres à sacrifier leur temps libre pour les servir ?
Désynchronisation des rythmes familiaux
Le problème le plus grave de cette « nécessaire adaptation du droit aux réalités du terrain », comme l‘expliquent nos sénateurs : le poids que font peser de telles mesures sur la vie de famille, les loisirs et la vie sociale. Car le volontariat a fait long feu. Pour les commerces alimentaires, dans le transports, les hôtels, cafés, restaurants, chez les fleuristes, le travail dominical est déjà obligatoire s’il figure dans le contrat de travail. Et ce ne sont que quelques exemples. Les compensations financières se réduisent aussi fortement puisqu’il ne s’agit déjà plus que de 10% de majoration du salaire, au mieux, dans ces professions où le travail dominical est jugé nécessaire.
Selon une enquête de l’Insee sur le travail dominical, le dimanche est avant tout le jour des loisirs, avec une durée moyenne beaucoup plus élevée qu’en semaine ou même le samedi. Ces loisirs sont un moment de partage, principalement en famille, mais aussi avec des amis. Ce temps passé ensemble est un pilier du lien familial contemporain. Il serait même, contrairement à certains présupposés, en augmentation. La sociabilité familiale, notamment le temps conjugal et le temps parents-enfants, est ainsi significativement plus élevée le dimanche. C’est aussi un moment privilégié pour le sport et donc un jour important pour la santé publique. Une autre étude de la société Ipsos, pour la fondation Fondapol, libérale et classée très à droite, confirme que « 51% des salariés concernés estiment que le fait de travailler le dimanche a tendance à créer des tensions avec leurs enfants ». Et si beaucoup d’entre eux souhaitent continuer, c’est la raison financière qui est avancée.
Enfin, et ce n’est d’ailleurs pas là le moindre des paradoxes : ceux qui poussent pour plus de travail le dimanche et les jours fériés, ceux qui essayent sans cesse de déréguler, d’attaquer le droit du travail, sont aussi les mêmes qui stigmatisent les parents qui ne s’occupent pas assez de leurs enfants. Encore faudrait-il qu’on leur laisse le temps et les moyens de passer du temps avec eux, d’aller à leurs compétitions sportives, de voir s’ils vont bien ou pas. Bref, le temps d’être des parents, mais aussi des conjoints, des amis disponibles au moment où les autres le sont. Des personnes capables de faire société.
(1) Le texte a été déposé le 25 avril 2025 par Mme Annick Billon, M. Hervé Marseille et plusieurs de leurs collègues. https://www.senat.fr/leg/exposes-des-motifs/ppl24-550-expose.html
(2) Une étude menée en 1992 concluait au mieux à un effet neutre sur l’emploi et, au pire, à des destructions d’emplois quel que soit le scénario retenu. Dans un contexte différent, puisque menée seize années plus tard, une étude du CREDOC (Moati et Pouquet, 2008) conduisait à des conclusions similaires : des destructions d’emploi dans le commerce alimentaire (6 800 à 16 200 emplois détruits) et une légère création d’emploi dans le commerce non alimentaire (de – 5 400 à + 14 800)