Le Nouveau Paradigme explore régulièrement des idées qui, bien qu’encore marginales dans le débat public, méritent d’être prises au sérieux pour réinventer la société. Aujourd’hui, alors que la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, se verrait bien supprimer les 35 heures, focus sur une proposition souvent caricaturée : la réduction du temps de travail à 32 heures hebdomadaires, sans perte de salaire. Dans un livret dense et argumenté paru en 2021, la CGT en faisait un levier stratégique face à l’urgence sociale, aux bouleversements économiques et aux défis écologiques contemporains. Un texte qui n’a pas vieilli.

- Travailler moins, ce n’est pas produire moins
C’est l’un des principaux préjugés à déconstruire : travailler moins signifierait produire moins. Or l’histoire démontre le contraire. La mise en place des 35 heures entre 1998 et 2002 a permis la création de 350 000 emplois directs, tout en maintenant un niveau élevé de productivité. En 2019, la France figurait parmi les pays les plus productifs du monde, avec une productivité horaire de 67,5 dollars, soit plus que l’Allemagne (66,4), le Royaume-Uni (58,3) ou l’Italie (53,5).
Pour la CGT, le frein à la réduction du temps de travail n’est pas économique, mais politique. Chaque année, plus de 200 milliards d’euros d’aides publiques sont versés aux entreprises, sans qu’elles soient conditionnées à la création d’emploi ou au temps de travail. Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), par exemple, aurait coûté 20 milliards d’euros par an pour à peine 100 000 emplois créés ou maintenus, contre 3 milliards pour 350 000 emplois grâce aux 35 heures.
Baisser le temps de travail par la loi plutôt que de faire des cadeaux au patronat a permis de créer 3,5 fois plus d’emplois pour un coût presque deux fois moindre.
- Une réponse au chômage, à la précarité… et au sous-emploi
La réduction du temps de travail permettrait une meilleure répartition du travail existant. Aujourd’hui,
6 millions de personnes sont privées d’emploi ou en situation de sous-emploi, tandis que plus de
800 millions d’heures supplémentaires sont effectuées chaque année – soit l’équivalent de 500 000 emplois à temps plein.
La précarité est particulièrement marquée chez les femmes : 80 % des salariés à temps partiel sont des femmes, souvent contraintes à ces horaires, ce qui alimente les inégalités de carrière et de retraite. Le passage à 32 heures pourrait favoriser l’accès au temps plein pour celles qui le souhaitent et contribuer à réduire les inégalités femmes-hommes, notamment en matière de salaire et de temps de vie.
- Moins de travail, plus de planète
La question écologique est trop souvent absente des débats sur le travail. Or moins travailler, ou mieux travailler comme avec une partie de télétravail, c’est aussi moins polluer : réduction des trajets domicile-travail, baisse de la consommation énergétique dans les bureaux et plus de temps disponible pour des modes de vie sobres et locaux.
Pourquoi continuer à faire travailler certains jusqu’à l’épuisement pendant que d’autres cherchent désespérément un emploi ?
Une étude suédoise (Nässén & Larsson, 2015) montre qu’une réduction de 1 % du temps de travail entraîne une baisse de 0,8 % des émissions de gaz à effet de serre. D’autres pays expérimentent déjà la semaine de 4 jours avec succès : Espagne, Nouvelle-Zélande, Japon où Microsoft a réduit ses consommations d’énergie et augmenté sa productivité en passant à 4 jours.
- Technologie : partageons les gains de productivité
Numérisation, automatisation, intelligence artificielle… Ces évolutions pourraient permettre de libérer du temps, à condition qu’elles servent l’intérêt général et non la seule rentabilité du capital. La CGT propose de réorienter les gains de productivité pour réduire le temps de travail, renforcer la formation, améliorer les conditions de travail et revaloriser les qualifications.
Il ne s’agit pas seulement de réduire le temps de travail. Il s’agit de reprendre la main sur ce que l’on produit, comment et pourquoi.
- Et si on changeait notre rapport au travail ?
Réduire le temps de travail, c’est aussi permettre aux salariés de retrouver du sens, de la maîtrise et de la liberté dans leur activité. Cela ouvre la voie à une véritable démocratie du travail, où les décisions sont prises collectivement, avec l’intervention des salariés sur leur organisation, leurs conditions et les finalités du travail.
- Une idée d’avenir, pas du passé
Loin d’être une nostalgie des luttes sociales d’hier, la réduction du temps de travail est une réponse moderne aux défis de notre époque : mieux répartir le travail, alléger la pression écologique, améliorer la qualité de vie, renforcer la démocratie au travail.
La CGT propose une réduction à 32 heures, sans perte de salaire, financée par une meilleure répartition des richesses, la conditionnalité des aides publiques et une mise à contribution accrue du capital. Cette orientation est d’autant plus légitime qu’elle existe déjà, dans certaines entreprises françaises comme Bosch Rexroth (Vénissieux), Welcome to the Jungle ou LDLC, qui ont toutes mis en place une semaine de 4 jours avec succès.
« Travailler moins, travailler mieux, travailler toutes et tous » : le mot d’ordre de la CGT est plus que jamais d’actualité.
Pour aller plus loin :
CGT, Les 32 propositions pour les 32 heures (2021)
OCDE – Productivité horaire du travail (2019)
Eurostat – Emploi et taux de sous-emploi en Europe (2020)
J. Nässén & J. Larsson (2015), Government and Policy
Autonomy UK – The Shorter Working Week: A Radical and Pragmatic Proposal (2020)
Microsoft Japan – Work-Life Choice Challenge 2019
32 h ! La semaine de 4 jours, c’est possible par Pierre Larrouturou, économiste et ancien député européen.Collection Libelle. Seuil, 2024