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40 milliards à trouver : cet autre scénario dont Bayrou et Macron ne veulent pas

Il est tout à fait envisageable d’imaginer une autre voie, basée sur la redistribution. Des solutions balayées par le pouvoir, qui trouve plus simple de taper sur les plus faibles.

Emmanuel Macron l’a toujours affirmé depuis qu’il est Président de la République : il ne touchera pas à l’impôt. Du moins, pas à l’impôt le plus juste, celui qui tient compte des revenus, de la situation familiale, de la capacité contributive de chacun. À l’inverse, il n’a jamais hésité à augmenter tous les autres, ceux qui frappent à l’aveugle et taxent autant les plus pauvres que les plus riches : la TVA, les franchises médicales, les coupes dans les allocations. Autant de prélèvements qui, en proportion, pèsent bien plus lourd sur les foyers modestes que sur les ménages aisés.

Et même s’il y a peu de chances que l’ancien banquier d’affaires de Rothschild ou son Premier ministre ultra-libéral s’en soucient, il existe pourtant une alternative claire, équitable et viable à mettre face au plan d’austérité annoncé. Explications.

La punition sociale du Premier ministre

L’objectif fixé par François Bayrou, dans sa nouvelle croisade budgétaire, est simple. Économiser 40 milliards d’euros par an afin de stabiliser la dette publique et de retrouver une marge de manœuvre. Mais derrière les mots rassurants de l’ancien haut-commissaire au Plan, « responsabilité, courage, redressement », se profile une stratégie bien connue. Celle qui consiste à réduire les allocations, supprimer des postes dans les services publics, geler les salaires des fonctionnaires, attaquer les indemnités chômage ou les remboursements de santé. En somme, une cure d’austérité qui fragilise un peu plus chaque jour celles et ceux qui ont déjà du mal à maintenir la tête hors de l’eau.

Et si, au lieu de couper dans les dépenses utiles, on augmentait les recettes ? Et si, au lieu de faire payer toujours les mêmes, on rééquilibrait l’effort fiscal en faisant enfin contribuer ceux qui en ont les moyens ? Une réforme de l’impôt sur le revenu, inspirée des travaux d’économistes comme Thomas Piketty, Camille Landais, Emmanuel Saez1 permettrait de dégager jusqu’à 30 milliards d’euros par an sans toucher aux classes moyennes ni aux petits revenus. La réforme serait concentrée exclusivement sur les tranches supérieures, celles qui bénéficient aujourd’hui des taux les plus favorables, des niches les plus généreuses et des mécanismes d’optimisation les plus sophistiqués.

Des gains jusqu’à 40 milliards par an sont possibles

Ce que ces économistes révèlent, c’est que les très hauts revenus paient proportionnellement moins d’impôts que les classes moyennes. Une fois intégrés les exonérations, les déductions, les optimisations et l’évitement fiscal, les taux réels d’imposition décroissent au sommet de la pyramide des revenus. Plus on est riche, moins on contribue à la solidarité nationale. Une injustice fiscale structurelle qui mine la cohésion du pays et la légitimité de l’État.

Le scénario de réforme est pourtant simple. Il s’agirait d’augmenter le taux marginal sur les revenus supérieurs à 78 500 euros, en le portant à 45 % au lieu de 41. Entre160 000 et 500 000, le taux passerait de 45 à 51 %. Une tranche à 55 serait créée pour les revenus entre 500 000 et un million, une tranche à 70 % pour les revenus dépassant le million d’euros annuel et une dernière à 80 % pour ceux qui dépassent 5 millions de revenus annuels. Des taux qui ont déjà été mis en œuvre par le passé en… France et aux Etats-Unis. Pendant les Trente Glorieuses, les taux marginaux supérieurs ont en effet atteint  80, voire 90 % sans nuire à la croissance ni à l’innovation. Thomas Piketty l’explique parfaitement dans ses travaux : un taux de 80 % sur les revenus annuels supérieurs à 5 millions d’euros n’est pas une atteinte à la propriété, c’est un signal politique et moral. Un garde-fou contre l’accumulation absurde et socialement stérile de richesses3.

Un tel scénario permettrait de rapporter à lui seul entre 27 et 30 milliards d’euros par an. (Infographie M.C.)

Une réforme fiscalement réaliste, socialement juste, politiquement évacuée

À cela s’ajouterait la taxe sur les grandes fortunes proposée par l’économiste Gabriel Zucman, récemment soutenue sur la scène internationale. Cette taxe consisterait à prélever un minimum de 2 % par an sur les patrimoines nets supérieurs à 50 millions d’euros. Elle permettrait à elle seule de récupérer entre 10 et 12 milliards d’euros de recettes supplémentaires en limitant les effets de l’optimisation fiscale et en assurant une contribution minimale des très grandes fortunes, dont certaines ne paient aujourd’hui presque plus rien.

Ainsi, l’ensemble de ces réformes fiscales – sans toucher ni à la TVA, ni aux cotisations sociales, ni aux dépenses de santé, d’éducation ou de transition écologique – permettrait de générer jusqu’à 40, voire 42 milliards d’euros par an. Des recettes nouvelles, stables, justes et en parfaite adéquation avec les objectifs budgétaires affichés par le gouvernement.

On prétend souvent que taxer les riches fait fuir les talents et nuit à l’investissement. Pourtant l’histoire économique démontre exactement l’inverse. Pendant des décennies, des taux marginaux supérieurs à 70 ou 80 % ont permis à la démocratie américaine de se renforcer, à son économie de croître et à ses inégalités de reculer.

Le vrai blocage aujourd’hui n’est pas économique, il est idéologique. Ce que le gouvernement appelle « courage » n’est en réalité qu’un renoncement. Ce qu’il présente comme un « effort nécessaire » est en vérité un choix de classe assumé.

Une autre politique est non seulement possible, mais elle est réaliste, chiffrée et profondément juste.

Notes :
1 – Pour une révolution fiscale : un impôt sur le revenu pour le XXIᵉ siècle (Piketty, Landais & Saez, 2011)
2 – A blueprint for a coordinated minimum effective taxation standard for ultra-high-net-worth individuals, par Gabriel Zucman (2024)
3 – « Il faut taxer fortement les très hauts revenus », entretien en 2009 avec Thomas Piketty dans Alternatives Economiques.

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