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Dette, dépenses publiques : tout est question de motivation

Pas un jour sans entendre un éditorialiste, un économiste et la plupart des politiques nous expliquer que la dette et la dépense publiques sont les deux monstres qui mettent à mal le pays. C’est même quasiment un mantra : seule la rigueur budgétaire, ou quel que soit le nom qu’on lui donne, peut nous sauver de la faillite. Mais cela, c’était avant.

Il est désormais question d’ouvrir grand les vannes, de faire des investissements colossaux dans notre défense et plus largement dans celle de l’Europe. Le chiffre astronomique de 800 milliards d’euros est évoqué. Même l’Allemagne, tenante et grande défenderesse de l’orthodoxie issue des accords de Maastricht, est d’accord pour briser le plafond de verre et passer outre le maintien de ses dépenses publiques sous les 3% du PIB.

Les raisons d’un tel revirement ? La peur. Les Européens, et là encore les Allemands en tête, viennent de se rendre compte que les États-Unis n’étaient pas le parent protecteur qu’ils ont toujours voulu voir en eux. L’Union européenne pensait jusqu’ici n’avoir à gérer que son marché intérieur, et que le gentil Oncle Sam s’occuperait de tout le reste (oubliant au passage qu’il avait fallu attendre Pearl Harbor pour voir les GI voler à notre secours). Même les pays de l’ancien bloc soviétique jugeaient que c’était acquis. L’Europe a tout misé sur le parapluie que représentait l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (1), et s’est bien fourvoyée. Parce qu’avec l’Otan, il était déjà question de choisir un camp, de miser sur le plus fort.

Les gendarmes sont devenus fous

Les USA sont devenus les gendarmes du monde quand il aurait fallu tout faire pour que l‘ONU le devienne. En mettant, pour commencer, fin au droit de veto accordé aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité (2) qui paralyse toute véritable intervention si l’une des super-puissances est un tant soit peu concernée. Il aurait ainsi été possible de faire des Nations unies une formidable machine diplomatique, capable d’empêcher les guerres de territoire ou de les arrêter en s’appuyant sur une véritable force d’interposition structurée.
 Au lieu de cela, les traités « de défense » ont rendu cette assemblée presque aussi inopérante que feu la Société des Nations. Ils ont obligé les Européens à faire des ronds de jambe à la super-puissance américaine, la renforçant sans cesse. Mais rien de trop grave aux yeux du Vieux Continent, d’autant que la parole restait libre, ainsi que tous ont voulu le croire en entendant le discours de Dominique de Villepin à l’aube de la Seconde Guerre en Irak. Les désaccords existaient, mais les passes d’armes se faisaient à fleurets mouchetés, la retenue et le ton diplomatique étaient encore de mise dans les relations internationales.

Les temps ont bien changé. Dans la société d’aujourd’hui, où la personnalité politique compte bien plus que le message, les populistes ont pu mettre la main sur les exécutifs de certains des pays les plus puissants au monde. Alors qu’un président américain en exercice a failli être « empêché » en 1999 pour la fellation qu’il avait voulu cacher, un président sortant et perdant ne risque visiblement rien de nos jours à provoquer l’assaut du Capitole. Au « pays des libertés », le puritanisme semble être bien plus important que la démocratie. À l’heure actuelle, au mépris de toutes les règles qu’il devrait lui-même défendre, Donald Trump décrète à tour de bras. Avec une violence qui laisse transparaître une jouissance sadique, il met à mal tout ce que les puissances européennes, mais pas seulement, croyaient acquis sur le plan des relations internationales ou commerciales.

Il existe donc bien des moyens d’investir

Il est donc urgent de s’organiser et tous les dirigeants de l’UE, y compris les plus souverainistes (hormis bien sûr le très poutinien Orban), sont prêts à faire d’importants efforts pour dégager les centaines de milliards qui leur permettront de regarder le président russe les yeux dans les yeux. « Enfin ! », diront certains des plus fervents Européens, « L’Europe de la défense, l’Europe politique est en marche ». À condition de trouver les financements. Or, Emmanuel Macron l’a annoncé tout de suite : pas de hausse d’impôt (3) pour financer l’effort de guerre. Il faudra trouver d’autres solutions. Et cela tombe à merveille, les Français ont beaucoup d’épargne : plus de 600 milliards (4) sur les différents livrets réglementés et pas moins de 2 000 (5) milliards en assurances vie. Ne reste plus à Bercy qu’à convaincre banques et assureurs de flécher certains de leurs placements vers ces nouveaux emprunts d’État. Bientôt, nous entendrons certains éditorialistes, probablement les mêmes que ceux dont nous parlons au début de cet article, expliquer que ces nouvelles dettes ne seront pas si dangereuses pour le pays. Car elles profiteront en priorité aux entreprises françaises. A condition que l’on évite une potentielle hausse des prix liée à une production qui n’arriverait pas à suivre la demande, le PIB augmentera sensiblement grâce à l’investissement public. Ce qui réduira mécaniquement le poids de la dette. CQFD.

Mais alors, pourquoi ne l’a-t-on pas fait avant ? Pour de bonnes raisons s’entend. Ne peut-on réellement trouver de justification à de nouvelles dettes que pour des machines de mort ? Pourquoi est-il impossible d’aller chercher les économies des Français pour la transition écologique, nos infrastructures de transport, nos hôpitaux ou nos écoles ? La réponse politique est simple, on nous la rabâche assez souvent : pour ne pas laisser d’ardoise aux générations futures. En admettant même que la dette soit un fardeau que nos enfants auront à porter, ce qui est une affirmation aussi simpliste que fausse (6), il faudrait tout de même se demander si la population préfère investir dans une France capable d’affronter les défis environnementaux et sociaux ou dans une France surarmée qui n’aura rien réglé des problèmes qui la minent au quotidien. Ceux-là même qui font le lit des populistes de demain.

(1) Contrairement à ce que beaucoup pensent, la France n’a jamais quitté l’Otan. Elle s’est retirée de son commandement intégré en 1966, sous la présidence de Charles de Gaulle, qui ne voulait pas « que la France soit entraînée dans des conflits qui ne la concernent pas directement », notamment en Asie. Le retour de la France dans le commandement intégré a été annoncé par Nicolas Sarkozy en novembre 2007 à Washington. Il est devenu effectif en avril 2009.

(2) Chine, France, Royaume-Uni, Russie et États-Unis.

(3) L’impôt sur le revenu, après 60 ans de discussions, a été adopté en 1914 pour financer l’effort de guerre. Une histoire à découvrir ici .

(4) et (5) Des chiffres à retrouver en détails ici et .

(6) La dette nationale est souvent présentée seule, c’est-à-dire en n’évoquant ni le patrimoine, ni la richesse nationale. Elle est en outre comparée à celle des ménages, qui remboursent les intérêts et le capital d’un prêt, quand l’État ne rembourse que les intérêts. Nous reviendrons bientôt en détail sur la problématique de la dette.

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