Le ministre de l’Économie a annoncé, dimanche, que les Français allaient devoir fournir « un effort supplémentaire » en 2026. La rigueur, même si Eric Lombard refuse de qualifier ainsi sa politique, est bien de retour. Et les conséquences pour la population seront considérables.

Le secteur du BTP est, par exemple, très dépendant de la commande publique. (Photo Nicolas Duprey/ licence Creative Commons)
Cinquante milliards d’euros avaient déjà été retirés du budget 2025. Dimanche, le ministre de l’Économie, Éric Lombard, a annoncé quarante milliards d’économies supplémentaires pour 2026. Il persiste à éviter le mot « rigueur », comme s’il refusait d’assumer la réalité de sa politique. Pourtant, ses effets sont connus : baisse des dépenses sociales, affaiblissement des services publics, stagnation du SMIC et des retraites…
Réduire les dépenses revient aussi, indirectement, à sabrer les recettes. Depuis le tournant de la rigueur de 1982, les gouvernements ont rivalisé d’imagination pour comprimer le budget de l’État. Pourtant, quoi qu’en disent les libéraux, ces dépenses sont utiles : elles stimulent l’activité économique, soutiennent l’emploi et maintiennent le tissu social. Les marchés publics font tourner des entreprises, les salaires des fonctionnaires alimentent la consommation, les aides sociales sont immédiatement réinjectées dans l’économie.
À l’inverse, les plus aisés épargnent une part significative de leurs revenus. Moins de dépenses publiques, c’est donc moins de croissance, et mécaniquement, un ratio dette/PIB en hausse. L’exemple grec, après la crise de 2008, illustre bien les ravages de l’austérité : PIB effondré, chômage massif, exode des jeunes diplômés. (Lire ci-dessous : Grèce : l’austérité qui a brisé un pays)
Non, la dépense publique n’est pas qu’un fardeau. Elle peut être un levier puissant quand elle finance l’éducation, la santé, la recherche ou la transition écologique. Contrairement à un ménage, un État peut s’endetter à long terme pour préparer l’avenir.
Un problème de recettes trop souvent éludé
Le déséquilibre budgétaire ne vient pas seulement des dépenses. C’est aussi une question de recettes mal gérées. Depuis des décennies, les gouvernements comptent sur la croissance ou la fiscalité pour remplir les caisses, sans explorer d’autres pistes.
Les privatisations, par exemple, ont rapporté à peine 130 milliards d’euros depuis 1986(1), soit moins de 1 % des besoins budgétaires cumulés (plus de 12 000 milliards) sur cette période. En contrepartie, l’État a perdu des entreprises rentables. Saint-Gobain, privatisé en 1986, a généré à lui seul 3,47 milliards d’euros de bénéfices en 2024(2). Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Malgré la crise, les gouvernements récents refusent de toucher à l’impôt sur le revenu, pourtant l’un des plus justes car progressif. Il pourrait être modifié pour ne concerner que les plus hauts revenus. À la place, l’exécutif augmente discrètement la fiscalité indirecte, bien plus injuste.
Exemple concret : la TVA sur les abonnements de gaz et d’électricité passera de 5,5 % à 20 % cet été(3), sous couvert d’harmonisation européenne. Une mesure qui frappe tout le monde au même niveau, quel que soit son niveau de vie.
Il est possible de faire autrement : instaurer une fiscalité plus équitable, investir dans les infrastructures, soutenir l’innovation, coopérer à l’échelle européenne sur la dette. Les solutions ne manquent pas. Ce qui fait défaut, c’est le courage politique d’y recourir.
(2) https://www.saint-gobain.com/fr/finance/le-groupe-en-chiffres
Grèce : l’austérité qui a brisé un pays
Après la crise financière de 2008, la Grèce est devenue le symbole d’une austérité imposée au nom du sauvetage économique. En échange de plusieurs plans d’aide, la Troïka (FMI, BCE, Commission européenne) a exigé des coupes budgétaires drastiques. Résultat : une décennie de souffrances pour la population… et un échec économique.
Entre 2008 et 2016, le PIB grec s’est effondré de plus de 25 %. Le pays a connu une véritable récession prolongée, équivalente à celle subie en temps de guerre. Le chômage a explosé, atteignant 27,5 % en 2013 — et jusqu’à 60 % chez les jeunes. Dans le même temps, le budget de la santé publique a été réduit de plus de 40 %, provoquant une dégradation sanitaire alarmante : retour de maladies disparues, hausse des infections au VIH et augmentation des suicides de 35 % en deux ans.
L’austérité a également plongé des millions de Grecs dans la pauvreté. En 2016, plus d’un tiers de la population vivait sous le seuil de pauvreté. Les retraites, les salaires et les aides sociales ont été taillés à la hache, tandis que les inégalités s’accentuaient.
Et pourtant, la dette publique n’a pas diminué. Elle est passée de 126 % du PIB en 2009 à près de 180 % en 2016. Pourquoi ? Parce qu’en tuant la croissance, l’austérité a réduit les recettes fiscales, aggravant mécaniquement le poids de la dette.
Enfin, cette politique a sapé la démocratie. Une grande partie des décisions majeures ont été imposées depuis Bruxelles ou Washington. La colère populaire a nourri la défiance, l’instabilité politique et la montée des partis extrêmes.
La Grèce est l’exemple criant d’une vérité que beaucoup refusent encore d’admettre : l’austérité, loin de résoudre les crises, les prolonge et les aggrave.
Les privatisations depuis les années quatre-vingt
La France a mené plusieurs vagues de privatisations depuis les années quatre-vingt. Voici un résumé des principales périodes et montants associés :
1986-1988 : Gouvernement Jacques Chirac
- Première grande vague de privatisations sous la cohabitation Chirac-Mitterrand.
- Montant total estimé : environ 13 milliards d’euros (100 milliards de francs selon les valeurs de l’époque).
- Entreprises privatisées : Saint-Gobain, Paribas, TF1, Société Générale, Havas, Suez, et plusieurs banques.
1993-1997 : Gouvernements Balladur et Juppé
- Deuxième vague de privatisations sous les gouvernements de droite.
- Montant total estimé : environ 26 milliards d’euros.
- Entreprises privatisées : BNP, Rhône-Poulenc, Elf-Aquitaine, Total, Renault, Usinor-Sacilor, et AGF.
1997-2002 : Gouvernement Lionel Jospin
- Sous le gouvernement Jospin (gauche), une nouvelle vague est lancée malgré des critiques internes.
- Montant total estimé : environ 31 milliards d’euros.
- Entreprises privatisées : France Télécom, Air France (partielle), Crédit Lyonnais, Thomson Multimédia, Aérospatiale (EADS), et Autoroutes du Sud de la France.
2002-2007 : Gouvernements Raffarin et De Villepin
- Privatisations intensifiées sous ces gouvernements de droite.
- Montant total estimé : environ 38 milliards d’euros.
- Entreprises privatisées : Gaz de France (partielle), Électricité de France (partielle), Aéroports de Paris (partielle), et diverses sociétés autoroutières.
2014-2016 : Gouvernement Manuel Valls
- Privatisations principalement partielles.
- Montant total estimé : environ 8 milliards d’euros.
- Entreprises privatisées : Aéroports de Toulouse-Blagnac, Lyon-Saint-Exupéry, Nice-Côte d’Azur (partielles), et Safran (partielle).
Total estimé des privatisations depuis les années 1980
En cumulant les montants des principales vagues de privatisation :
- Montant total approximatif : entre 126 et 130 milliards d’euros.
Ces privatisations ont marqué un tournant dans la gestion des actifs publics en France, reflétant une volonté successive des gouvernements de réduire l’influence directe de l’État dans l’économie.