Non, Monsieur Bayrou, chaque Français ne doit pas 50 000 euros
C’est l’une des méthodes favorites des libéraux : faire peur à la population en lui expliquant qu’elle va devoir payer la dette de l’État. Une affirmation fausse et malhonnête intellectuellement parlant.

«Les salariés d’aujourd’hui, pas plus que nos enfants et nos petits-enfants, n’auront aucune possibilité de refuser la charge de la nation qu’on leur aura laissée», le ton du Premier ministre, François Bayrou, se voulait grave, mardi en conférence de presse. Il avait un message à faire passer : la dette de la France est devenue à ce point insupportable qu’il n’existe d’autre alternative que de se serrer sérieusement la ceinture. Pire, il annonce droit dans ses bottes que chaque Français, y compris le bébé à naître aujourd’hui, est endetté à hauteur de 50 000 euros à cause de la dépense publique, la mère de tous les maux.
Le calcul est simple à comprendre : « il s’agit du montant de la dette rapporté à la population », a précisé un peu plus tard le cabinet du Premier ministre. En gros, il suffit de diviser les quelques 3 545 milliards d’euros de dette par les 68 millions et demi de Français. Bête comme chou et… totalement faux. Il s’agit ici d’une présentation tronquée de la dette d’un pays.
Une prise en compte du passif, mais pas des actifs
C’est en effet une étonnante manière de dresser le bilan financier d’un État que de ne prendre en compte que ce qu’il doit, et aucunement ce qu’il possède. A la fin de l’année 2023, les actifs non financiers des administrations publiques étaient pourtant de 2 791 milliards d’euros et les financiers de 1 649 milliards d’euros(1). Ce qui change totalement la donne. Ainsi, si l’on veut reprendre le calcul simpliste du gouvernement, en ajoutant les actifs au passif, chaque Français dispose de plus de 12 000 euros de patrimoine. Et il n’est question ici que de l’État. Car ces chiffres ne prennent pas en compte les actifs non financiers des collectivités locales souvent jugés, même s’ils ne sont pas recensés précisément, encore plus importants. Un constat tout de suite moins inquiétant, mais qui ne sert pas les desseins de ceux qui veulent imposer la rigueur.
Le propos ici n’est pas d’expliquer que tout va bien et que l’on peut dépenser sans compter. Mais il est possible de mettre beaucoup de choses dans la dette : du bon comme du très mauvais. Ainsi, depuis le début de l’ère Macron, les aides publiques aux entreprises ont été en constante augmentation(2) jusqu’à atteindre 200 milliards en 2024. Et ce, sans qu’il y ait de véritables incitations à la transition écologique, sans que cela empêche les sociétés aidées de licencier. Dépenser sans réguler, c’est cela créer de la « mauvaise » dette.
Investir pour les générations futures
Mais si un gouvernement avait le courage d’investir massivement dans l’offre de santé, ce qui ferait baisser mécaniquement le nombre de malades et donc le coût de leur prise en charge, il serait possible de parler de bonne dette. Si un gouvernement investissait massivement dans les transports propres et la transition écologique, limitant les catastrophes et les maladies, il serait possible de parler de bonne dette. Si un gouvernement investissait massivement dans l’Éducation nationale pour permettre une meilleure émancipation citoyenne, ce serait là encore de la bonne dette. Les exemples sont nombreux. Ils semblent pourtant totalement inconnus de ceux qui nous gouvernent. Ils ne voient dans la dépense publique qu’un fardeau pour l’économie. Ils semblent nier qu’elle pourrait enfin orienter cette même économie dans le sens du bien-être des populations. Et non uniquement vers celui des minorités dirigeantes pour lesquelles ils ont tant d’attentions.
(1) https://www.fipeco.fr/fiche/Les-actifs-des-administrations-publiques