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La maison brûle et ils veulent nous faire jeter de l’huile sur le feu

« Climatisation en France : quand l’idéologie tue». J’ai beau être rôdé, je n’ai pu contenir une colère noire en découvrant ce titre, mardi sur le site internet du Point. La journaliste y avance qu’il est totalement anormal que seuls 25 % des foyers français soient climatisés, contre 90 % aux Etats-Unis. Elle vante aussi des pays comme le Portugal, l’Espagne, l’Italie ou la Grèce, qui feraient face aux canicules à grands coups de climatiseurs. Elle fustige, en parallèle, les institutions françaises qui miseraient sur des rafraîchissements superficiels et coûteux.

En somme, elle dénonce une obsession écologique dogmatique qui freinerait l’adoption de la climatisation, pourtant efficace pour sauver des vies. En quelques paragraphes, elle renverse les responsabilités : le problème n’est pas vraiment le réchauffement climatique, mais ces « salauds d’écolos » qui nous empêchent de nous en protéger. CQFD.

En se renseignant un peu, elle aurait pourtant pu se rendre compte que les écologistes ne sont pas systématiquement « contre » la climatisation, mais qu’ils alertent sur ses impacts environnementaux et privilégient des alternatives ou un usage raisonné. La climatisation consomme beaucoup d’énergie et utilise des gaz réfrigérants très polluants, responsables de 4 à 5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. De plus, les moteurs rejettent beaucoup d’air chaud, aggravant l’effet « îlot de chaleur » en ville, pouvant faire grimper les températures locales de plus de 3,5 °C(1).

La critique porte surtout sur l’usage excessif et non raisonné de la climatisation, pas sur son existence même, surtout face à l’augmentation des vagues de chaleur. 

Les écologistes et des organismes comme l’Ademe préconisent donc de limiter son usage aux situations indispensables — canicules extrêmes, personnes vulnérables — et de privilégier des solutions passives : aérer la nuit, fermer volets et fenêtres le jour, végétaliser, utiliser des ventilateurs. Ils recommandent aussi de choisir des équipements plus performants et moins polluants.

Plus généralement, la critique de ceux qui se soucient un minimum de la planète porte surtout sur l’usage excessif et non raisonné de la climatisation, pas sur son existence même, surtout face à l’augmentation des vagues de chaleur. 

Mais étonnamment, ces nuances ne sont pas du tout abordées par les « esprits libres » du Point — c’est comme cela qu’ils se présentent dans une publicité qui fait le tour des réseaux depuis des mois — . C’est à croire qu’ils n’ont pas (voulu) pu faire toutes les recherches nécessaires, un peu comme s’ils étaient pris par le temps. Peut-être fallait-il se dépêcher d’appuyer les propos en tous points similaires prononcés dans l’Hémicycle le même jour par Marine Le Pen. La patronne du Rassemblement national propose en effet de lancer un grand « plan climatisation ».

Le pire dans tout cela est qu’ils réussissent à convaincre, notamment les plus défavorisés qui ne voient dans l’écologie que des contraintes supplémentaires, des règles qui viennent s’ajouter à une vie déjà bien trop compliquée.

Plus généralement, cet article papier illustre une stratégie plus large : le dénigrement systématique de l’écologie par la droite, l’extrême droite — si tant est qu’une distinction subsiste — et leurs relais médiatiques.  Ils s’acharnent à faire passer ceux qui sont un tant soit peu sensibles à cette cause (soit l’ensemble de la gauche, du moins il faut l’espérer) pour de dangereux extrémistes prêts à tout pour mettre à mal l’agriculture, les entreprises, l’économie et même nous empêcher de vivre à la « française », en attaquant nos barbecues, notre mode de vie. 

Soutenus par des milliardaires — comme François Pinault, propriétaire du Point —, ces croisés du libéralisme exigent un monde sans entraves pour les grands patrons et leurs actionnaires. Ils se présentent en libérateurs face à l’« oppression » des normes environnementales.

Le pire dans tout cela est qu’ils réussissent à convaincre, notamment les plus défavorisés qui ne voient dans l’écologie que des contraintes supplémentaires, des règles qui viennent s’ajouter à une vie déjà bien trop compliquée. Pourtant, ce sont ceux-là qui pâtissent le plus du réchauffement climatique. Ils vivent  trop souvent dans des logements mal isolés, dans des centres urbains densément construits et peu dotés d’espaces verts. Des populations qui souffrent plus que d’autres de comorbidités et sont donc plus vulnérables à la chaleur. Des personnes qui travaillent souvent dans les secteurs les plus exposés à la chaleur (BTP, agriculture…). Et dans les quartiers les plus défavorisés, certains ne peuvent même pas ouvrir leur fenêtre par crainte des cambriolages. 

Ils pourraient pourtant découvrir, s’ils étaient informés autrement que par CNews et consorts, que certains mouvements politiques prônent un véritable changement de système. Avec de vastes plans d’investissements en faveur de logements plus humains, d’écoles rénovées, de transports en commun plus performants et moins polluants, d’une alimentation plus saine, d’une santé mieux et plus globalement prise en charge… Et qu’ils ont des solutions pour financer de tels investissements.

Il n’est jamais trop tard pour limiter les dégâts. Car si l’on sait depuis longtemps que la maison brûle, il y a encore un choix à faire entre ceux qui veulent éteindre l’incendie et essayer de reconstruire et ceux qui préfèrent, sûrement parce qu’ils en ont à vendre, que l’on jette de l’huile sur le feu.

(Photo PXHere – CC)

(1) Lire l’Environmental research letters qui publie une étude réalisée en Ile-de-France par des chercheurs du Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (CIRED) et du Centre national de recherches météorologiques (CNRM).

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