La gauche se voit-elle trop belle ?
La surprise était de taille. Et l’enthousiasme des militants, qui se sont battus jusqu’au dernier moment pour faire arriver le NFP en tête des dernières législatives, était pour le moins compréhensible. Quelques temps plus tard, le dégoût de voir Emmanuel Macron aller chercher son Premier ministre dans les rangs d’une droite rance et électoralement faible, l’était tout autant. Pourtant, avec désormais un an de recul, l’idée que l’on aurait pu au moins limiter la casse avec un chef du gouvernement « de gauche » ne peut plus tenir.
D’abord, il est illusoire de croire qu’avec 183 députés sur 577, le NFP a vraiment gagné l’élection. Il n’est pas question ici d’une course où seule la première place compte. Car en face, ce sont près de 400 députés qui sont dévoués corps et âme aux marchés et aux solutions ultra-libérales. Les alliances à la petite semaine qu’aurait dû faire un Premier ministre issu du NFP n’auraient fait que brouiller les cartes, en laissant à penser qu’il ne faisait pas face à un bloc uni.
Sur le plan sécuritaire par exemple, tous ont fini par faire les mêmes propositions nauséabondes, comme si la sécurité ne pouvait exister sans stigmatisation. Bien malin celui qui peut faire la différence entre les préconisations d’un Darmanin, d’un Retailleau ou d’un Bardella. En fait, l’ensemble qui va du RN aux Macronistes en passant par LR et le Modem paraît de plus en plus homogène. Seules quelques légères différences persistent, notamment avec les plus conservateurs d’entre eux qui se rêvent encore au XIXe siècle sur le plan sociétal.
Un bloc des droites de plus en plus soudé
N’en déplaise à Monsieur Bayrou — qui vient de faire la preuve, avec une violence extrême, de sa volonté de servir les plus aisés au détriment des moins favorisés —, sa ligne idéologique se marie à merveille avec celle du RN. Tout juste reste-t-il au parti d’extrême droite quelques cris d’orfraie pour laisser croire à ses électeurs qu’il défend la veuve et l’orphelin, à condition bien sûr qu’ils soient bien blancs. Mais ce que l’électeur en question devrait surtout prendre en compte, c’est le vote quasi-systématique du RN en faveur des textes économiques et sociaux néolibéraux des différents gouvernements Macron. Les vifs applaudissements du Medef pour Bardella lors des dernières législatives sont en ce sens très significatifs. Ils démontrent malheureusement que la plupart des digues ont cédé et que les puissants voient dans l’extrême droite un véritable moyen de se protéger de toute volonté de redistribution.
Quant aux classes moyennes, qui ont souvent l’impression que l’on ne donne qu’aux pauvres à leur détriment (ce qui doit beaucoup faire rire les actionnaires), elles voient se déliter une société dans laquelle elles ont de plus en plus de mal à trouver leur place. Et finissent par écouter les propositions de « ceux qu’on a jamais essayés ». Ils veulent plus de pouvoir d’achat, plus de « sécurité » sans pour autant remettre en question les principes d’une société libérale qui ne leur fait pourtant pas de cadeaux.
C’est bien là que la gauche, du moins la vraie, celle qui veut changer le système, a perdu a minima une bataille, sinon la guerre des idées. Cela fait près de quarante ans, depuis le tournant de la rigueur du début des années quatre-vingt, que le discours dominant exhorte à tout faire pour aider les entreprises, surtout les grandes, qui sont les seules à même de créer de l’emploi et de faire prospérer notre économie. Quand la fonction publique et les aides sociales la plombent. Alors même que ce raisonnement simpliste peut être démonté facilement — il est facile d’expliquer que la dépense publique est essentielle à l’économie et capable de l’orienter vers un mieux social et écologique —, seules les idées libérales ont mûri dans la tête des électeurs. Le self-made man à l’américaine les fait rêver. Et tant pis si pour arriver il doit leur marcher sur la tête. La solidarité, la redistribution sont devenus des concepts d’un autre temps. Ils ont été totalement ringardisés.
Face à cette défaite idéologique, la gauche a des responsables tout trouvés : les médias « mainstream ». Ce sont eux qui ont petit à petit, à coup de reportages sur l’insécurité et d’éditorialistes à la botte des puissants, distillé le poison. Mais fort heureusement, peut-on entendre chez des penseurs de gauche, la population se détourne d’eux et ne leur fait plus du tout confiance. Le discours progressiste va donc pouvoir renaître de ses cendres. Ou pas.
L’extrême droite a réussi sa révolution médiatique
Car s’il est vrai qu’il n’y a plus grand monde pour faire confiance aux médias traditionnels — quitte à mettre dans le même sac journalistes sérieux et éditorialistes véreux — beaucoup ont tendance à se tourner vers des émissions d’un nouveau genre, qui sont tout aussi grand public, mais où l’on « ose dire les choses ». Le règne de Cyril Hanouna et de Pascal Praud est arrivé. Les idées sont presque les mêmes qu’au Point, au Figaro ou à l’Express, mais Bolloré, Stérin et consorts ont inventé à coups de millions une nouvelle méthode, une manière « populaire » de le dire. Le tour de passe-passe a fonctionné : les milliardaires sont toujours aussi protégés par leur garde médiatique rapprochée et ils peuvent continuer tranquillement à monter les petites gens les uns contre les autres. Au passage, LFI est devenue une organisation d’extrémistes antisémites dont il faut absolument protéger la France quand le RN est la seule alternative à la chienlit.
Il convient donc pour la gauche de rester très modeste face à la « victoire » du 7 juillet 2024. Le Nouveau Front Populaire a certes permis d’obtenir une première place symbolique et a probablement redonné un peu d’espoir à ceux qui se languissaient de voir une nouvelle union de la gauche se présenter face aux électeurs. Mais cela reste malheureusement de l’entre-soi, ou presque. Bien que vivaces et travailleuses sur le fond, les forces de gauche ne font pour l’heure pas le poids.
Alors même que certains voudraient faire du mois de septembre celui du réveil populaire, il est loin d’être certain que ce soient des idées réellement de gauche qui sortent vainqueures des probables futures mobilisations. C’est un peu comme avec cette formidable pétition contre la loi Duplomb. Si l’on voit le verre à moitié plein, il est possible de croire enfin à un sursaut collectif. Côté verre à moitié vide, l’on n’ose même pas imaginer ce que pourraient obtenir comme signatures des pétitions pour le rétablissement de la peine de mort ou la fin de toute aide pour les immigrés.
La violence décomplexée d’un Trump, qui plus est légitimée par les urnes, démontre au niveau mondial l’ampleur de la défaite idéologique de la gauche. Et le travail qui reste à accomplir pour réhabiliter la justice sociale et l’écologie.