3 % de déficit : quand un bricolage technocratique devient un dogme économique
François Bayrou a déclaré dimanche à Matignon, face à quatre chaînes d’informations en continu, que « le seuil de 3 % de déficit est simplement le seuil à partir duquel la dette n’augmente plus ». Une affirmation fausse, mais révélatrice de l’emprise idéologique d’un chiffre inventé sans aucun fondement scientifique et qui continue de dicter les politiques publiques européennes.
Le fameux seuil des 3 % est né un soir de mai 1981. François Mitterrand réclame une norme simple pour museler les ministres dépensiers. Le directeur du budget de l’époque convoque ses conseillers Guy Abeille et Roland de Villepin. 1 % est inatteignable, 2 % trop contraignant, 3 % paraît rond, crédible, presque mystique : un chiffre « qui faisait penser à la Trinité » et « qui a traversé les époques », racontera plus tard Guy Abeille1. En moins d’une heure, la règle est posée. Elle sera théorisée a posteriori, puis intégrée dans le traité de Maastricht comme critère d’entrée dans la zone euro. L’Allemagne y a trouvé son compte en l’interprétant comme une caution à sa doctrine de rigueur budgétaire, elle qui voyait d’un très mauvais œil toute dérive des comptes publics chez ses voisins du Sud. De fil en aiguille, les 3% sont passés du statut de bricolage technocratique à celui de religion monétaire européenne.
La dette ne se résume pas à 3 %
Contrairement à ce qu’affirme François Bayrou, la dynamique de la dette publique dépend du rapport entre déficit, croissance et taux d’intérêt. On peut afficher un déficit inférieur à 3 % et voir la dette grimper si la croissance est trop faible ou si les taux flambent. À l’inverse, un déficit de 4 % ou 5 % peut aller de pair avec une baisse du poids de la dette si le PIB croît rapidement. La réalité est donc bien plus complexe qu’une ligne rouge arbitraire : tout dépend de la capacité de l’économie à générer de la richesse et à absorber l’endettement.
Un déficit aggravé par des choix politiques
La dette française n’a pas explosé seulement à cause des crises. Depuis 2017, elle a surtout été creusée par des décisions fiscales favorisant les plus riches et les grandes entreprises. La suppression de l’ISF, la flat tax sur le capital ou la baisse de l’impôt sur les sociétés ont amputé les finances publiques de centaines de milliards d’euros. Selon Attac, de 2018 à 2023, les baisses de prélèvements représentent un manque à gagner cumulé net de 308,62 milliards d’euros, dont 207 milliards directement dus aux cadeaux fiscaux aux plus aisés et aux grandes entreprises2.Un quart de l’augmentation de la dette récente s’explique par ces choix. Pourtant, les gouvernements présentent l’austérité comme seule réponse possible.
L’austérité : solution qui empire le problème
Réduire les dépenses publiques pour coller à la règle des 3 % revient à contracter la croissance, donc à faire gonfler mécaniquement le ratio dette/PIB. Moins d’investissement public, moins de services, moins de protection sociale : cette logique appauvrit l’économie et rend paradoxalement la dette encore plus difficile à soutenir. Loin d’être un gage de sérieux, la règle des 3 % est un piège qui justifie une rigueur permanente et prive les États de moyens pour investir dans l’avenir.
Sortir de la religion des chiffres
La vraie question n’est pas de savoir si la France doit « revenir à 3 % », mais comment financer ses biens communs de manière soutenable et équitable. Cela suppose de repenser la fiscalité, de faire contribuer ceux qui en ont les moyens et de rompre avec la croyance qu’un chiffre improvisé il y a quarante ans doit guider à jamais nos politiques économiques. La dette n’est pas un destin : c’est un choix politique. Et tant que nous continuerons à la présenter à travers des mythes, nous resterons prisonniers d’un carcan idéologique au service des partisans de l’austérité.
Notes
- Le Monde Diplomatique : Sur un coin de table (2014).
- Attac France, La dette de l’injustice fiscale (2023) – france.attac.org