Le Nutri-Score européen enterré : la santé publique cède face aux lobbies
Au moment où l’UNICEF et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS )tirent la sonnette d’alarme sur l’obésité infantile qui devient une épidémie mondiale, l’Europe enterre le projet d’un Nutri-Score obligatoire et harmonisé. C’est le droit des citoyens à une information claire qui vacille.
Dans les rayons de supermarchés, c’était devenu un repère familier : une pastille colorée, du vert foncé au rouge vif, une lettre de A à E pour distinguer en un coup d’œil le bon du mauvais. Le Nutri-Score, promu par des chercheurs en santé publique et adopté par plusieurs pays européens, devait franchir une nouvelle étape et devenir le langage commun de l’Union. Un outil simple, lisible, universel, pensé pour protéger les consommateurs face aux emballages trompeurs et à la jungle des ultra-transformés. Mais dans les couloirs de Bruxelles, ce projet vient d’être enterré. Les industriels, eux, peuvent sabrer le champagne.
Le Nutri-Score, rappelons-le, n’est pas un gadget. Il s’agit d’un système d’étiquetage nutritionnel simple, apposé sur le devant des emballages, qui classe les produits selon leur qualité globale de A à E, du vert au rouge. Conçu par des chercheurs de santé publique et adopté en 2017 en France, encore amélioré début 2025, il a rapidement séduit plusieurs pays européens comme l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, les Pays-Bas ou encore le Luxembourg. Tous ont défendu un projet commun d’harmonisation, estimant qu’un outil lisible et universel permettrait aux consommateurs de comparer sans effort des produits d’un pays à l’autre et de résister un peu mieux au marketing trompeur des géants de l’agroalimentaire.
L’intérêt économique plus fort que l’intérêt général
Mais l’Europe n’a pas su transformer cette initiative en politique publique contraignante. En cause, d’abord, le poids du lobbying. Les documents révélés par l’ONG Foodwatch, surnommés les “Nutri-Score Papers”, montrent que les fonctionnaires européens ont multiplié les réunions avec les représentants de l’industrie, dix-sept au total, contre seulement deux avec la société civile. Le rapport de force est clair : l’intérêt économique a pesé plus lourd que l’intérêt général.
À cela s’ajoute le rôle de certains États qui, loin de soutenir la démarche, s’y sont frontalement opposés. L’Italie en tête, arc-boutée sur la défense de ses produits emblématiques comme l’huile d’olive ou le jambon de Parme, qu’elle accuse le Nutri-Score de pénaliser injustement. Derrière Rome, plusieurs pays se sont rangés du côté du refus, à commencer par la Grèce, la Hongrie, Chypre ou la Roumanie, tous soucieux de protéger leurs traditions alimentaires ou leurs filières agricoles nationales. À l’inverse, la France, l’Allemagne, la Belgique et l’Espagne ont défendu bec et ongles le projet d’un Nutri-Score européen, mais leur poids politique n’a pas suffi à emporter la décision.
Une reculade coupable
Cette reculade survient pourtant dans un contexte sanitaire particulièrement alarmant. Le rapport 2025 de l’UNICEF, intitulé Feeding Profit, souligne que, pour la première fois dans l’histoire, il y a plus de cas d’obésité chez les enfants et les adolescents que de cas de dénutrition. Près de 20 % des jeunes de 5 à 19 ans vivent aujourd’hui avec un surpoids. L’OMS confirme la tendance : la malbouffe ultra-transformée, les boissons sucrées et le marketing agressif ciblant les plus jeunes sont devenus des fléaux mondiaux (Lire ci-dessous).
Renoncer au Nutri-Score européen, c’est donc priver des millions de consommateurs d’un outil clair pour faire des choix éclairés en matière d’alimentation. C’est laisser les familles seules face à des rayons toujours plus fournis où les emballages vantent des allégations santé souvent trompeuses. C’est accentuer les inégalités, car les ménages les plus modestes qui ont moins de temps et moins d’accès à l’éducation nutritionnelle, sont aussi les plus exposés à la malbouffe, moins chère que les produits sains. C’est enfin accepter que la santé publique passe après les intérêts des multinationales, alors même que les coûts de l’obésité explosent déjà pour les systèmes de santé européens.
Le Nutri-Score n’aurait pas suffi à renverser la machine, mais il aurait donné aux citoyens un outil de résistance dans un environnement saturé de pièges alimentaires. En l’abandonnant, l’Union choisit de protéger l’industrie plutôt que les enfants.
UNICEF : « Feeding Profit » ou comment l’industrie alimente l’épidémie d’obésité
Dans son rapport Feeding Profit publié en 2025, l’UNICEF dresse un constat alarmant : pour la première fois, l’obésité chez les enfants et adolescents dépasse la maigreur. Près de 391 millions de jeunes de 5 à 19 ans dans le monde vivent aujourd’hui avec un surpoids et plus de 40 % d’entre eux sont déjà obèses.
Selon l’UNICEF, cette évolution n’est pas le fruit du hasard, mais la conséquence directe d’un système alimentaire façonné par l’industrie. Les aliments ultra-transformés, riches en sucres, graisses saturées et sel occupent une place croissante dans l’alimentation des familles. Plus de 60 % des adolescents déclarent avoir consommé au moins un aliment ou une boisson sucrée la veille de l’enquête. À cela s’ajoute un marketing agressif qui cible directement les plus jeunes, souvent via les réseaux sociaux et les applications mobiles.
Les conséquences sont déjà visibles : explosion du diabète de type 2, augmentation des maladies cardiovasculaires précoces, troubles métaboliques dès l’adolescence. Le rapport souligne aussi l’impact psychologique et social d’un surpoids subi dès l’enfance, ainsi que les coûts économiques colossaux : si rien ne change, l’obésité pourrait représenter plus de 4 000 milliards de dollars par an d’ici 2035.
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