Néolibéralisme et misère organisée : les nouveaux visages de l’exil
Immigration : les vérités qui fâchent les fachos (2/4)
Les indépendances ont donné l’illusion de la souveraineté, mais elles n’ont pas brisé la logique d’exploitation. Endettement, ajustements structurels, accords commerciaux inéquitables et prédation des multinationales ont pris le relais de l’administration coloniale. Ce néocolonialisme économique maintient des millions d’hommes et de femmes dans la pauvreté et les pousse à chercher ailleurs ce qu’ils n’ont pas chez eux.

Un canot pneumatique de migrants sur la Méditerranée en 2016. (Photo DR)
Dès les années 1970, les pays nouvellement indépendants sont pris au piège de l’endettement. Les prêts internationaux, souvent contractés à des taux élevés, deviennent rapidement insoutenables. Dans les années 1980, la dette extérieure de l’Afrique subsaharienne atteint 140 milliards de dollars, soit une multiplication par quatre en une décennie.
Sous couvert de les « aider », le FMI et la Banque mondiale imposent alors leurs plans d’ajustement structurel : privatisations, ouverture des marchés, réduction drastique des dépenses publiques. Résultat : les services sociaux s’effondrent, les salaires stagnent, l’agriculture vivrière est sacrifiée. Dans certains pays, les budgets de santé chutent de plus de 50 % entre 1980 et 1995. (Lire ci -dessous)
La Françafrique ou l’indépendance sous tutelle
La France a su conserver son influence grâce à un réseau opaque d’accords et de clientélisme connu sous le nom de Françafrique. Monnaie (franc CFA, toujours utilisé par 14 pays), bases militaires, contrats miniers et énergétiques : l’ancienne métropole a gardé la main sur des secteurs stratégiques.
Cette dépendance monétaire est un verrou puissant. Chaque pays de la zone CFA doit déposer 50 % de ses réserves de change au Trésor français, qui garde un droit de regard sur leur utilisation. Une « indépendance » qui ressemble fort à une mise sous tutelle.

Le Franc CFA a toujours cours dans quatorze pays d’Afrique Centrale et de l’Ouest. (Photo DR)
Multinationales : l’accaparement légal
Les multinationales occidentales se sont engouffrées dans cette dépendance. TotalEnergies, par exemple, contrôle depuis des dizaines d’années l’essentiel de l’exploitation pétrolière au Nigeria, en Angola et au Congo-Brazzaville. Ces contrats assurent des revenus colossaux à la compagnie, le Nigeria fournit encore aujourd’hui près de 10 % de sa production mondiale de brut, mais les populations locales restent dans la pauvreté, victimes de marées noires récurrentes et d’une pollution de l’air et de l’eau qui provoque une explosion des cancers et des maladies respiratoires dans le delta du Niger1.
Autre exemple : Orano (ex-Areva) au Niger. Pendant des décennies, la société française a exploité les mines d’uranium d’Arlit et Akokan, qui représentent plus de 30 % des exportations du pays. Pourtant, le Niger figure toujours parmi les pays les plus pauvres de la planète pendant que les ONG locales dénoncent une contamination radioactive persistante autour des mines2.
Plus largement, les multinationales de l’agro-industrie accaparent des millions d’hectares de terres arables, expulsant des communautés paysannes entières au profit de cultures d’exportation (soja, coton, palmiers à huile). Selon l’ONG Grain, entre 2000 et 2016, plus de 10 millions d’hectares de terres agricoles africaines ont été cédés à des investisseurs étrangers3.
Ces prédations, parfaitement légales en apparence, prolongent le schéma colonial : extraire des richesses, expulser les populations, détruire les modes de vie et laisser derrière soi pauvreté et dépendance.
Le paradoxe de l’abondance et de la pauvreté
Comment comprendre que des pays aussi riches en ressources naturelles soient parmi les plus pauvres du monde ? Le Nigeria, premier producteur de pétrole d’Afrique, occupe la 152ᵉ place mondiale en PIB par habitant. Le Ghana et le Burkina Faso, parmi les plus gros producteurs d’or, stagnent respectivement au 135ᵉ et au 168ᵉ rangs.
Ce paradoxe s’explique par la « fuite » des richesses : plus de 65 % des profits tirés des matières premières africaines quittent le continent chaque année. La Banque mondiale elle-même a reconnu que sur un dollar d’investissement direct étranger en Afrique, à peine 20 centimes restaient réellement dans le pays hôte.
Et les « routes et écoles » coloniales ?
À chaque critique du colonialisme, une réponse revient : « Mais la France (ou l’Angleterre) a construit des routes, des écoles, des hôpitaux ». Certes, mais pour qui et dans quel but ?
Les routes servaient d’abord à acheminer les matières premières vers les ports, pas à désenclaver les villages. Les écoles formaient une petite élite d’administrateurs indigènes pour servir le colonisateur, pas des générations de citoyens libres. Quant aux hôpitaux, ils étaient concentrés dans les zones où les colons vivaient, laissant les campagnes sans soins.

En 1917, Yaoundé, au Cameroun, est dans une zone administrée par la France. Les populations locales étaient dirigées vers une “infirmerie indigène” (sur la photo), une structure séparée et beaucoup moins dotée que l' »hôpital européen », nommé ainsi car seuls les Européens y étaient soignés. (Photo Frédéric Gadmer, CC BY-SA 4.0)
Albert Memmi, écrivain et sociologue franco-tunisien, le résumait ainsi : « Ce que le colonisateur donne, il le donne d’abord à lui-même ». Ces infrastructures ne peuvent pas masquer l’essentiel : elles étaient les outils d’une économie d’extraction, non les bases d’un développement autonome.
Une jeunesse sans avenir
Dans ce contexte, l’exil devient une option par défaut. En Afrique subsaharienne, près de 60 % de la population a moins de 25 ans. Dans certains pays comme le Mali ou le Niger, le chômage des jeunes dépasse les 30 %. Des centaines de milliers de jeunes prennent la route, quittant leur famille et leur maison, souvent au péril de leur vie, en quête d’un emploi et d’un avenir.
Héritage colonial, version libérale
Ce tableau n’est pas une fatalité. Il est le produit d’un système économique qui perpétue les logiques coloniales sous des habits modernes : dette, libéralisation, prédation. L’immigration qui en résulte n’est pas un « choix de confort », mais l’effet mécanique d’une misère organisée.
Tant que les richesses de l’Afrique et du Maghreb seront siphonnées par l’extérieur, les départs continueront. Les frontières ne pourront jamais contenir le désespoir.
Notes
- Amnesty International – Nigeria: Petroleum pollution in the Niger Delta (2022).
- Greenpeace – L’héritage radioactif légué par Areva au Niger
- Grain – The Global Farmland Grab in 2016 (2016).
Quand l’ajustement détruit le quotidien
- Santé : au Ghana, les réformes imposées en 1983 dans le cadre du Programme d’Ajustement Structurel (PAS) négocié avec le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, ont conduit à l’introduction de frais hospitaliers. En cinq ans, la fréquentation des hôpitaux a chuté de 50 %, car les familles ne pouvaient plus payer.
- Éducation : au Mali, ce même programme d’Ajustement Structurel (PAS) a entrainé des coupes budgétaires lors des années 1990 qui ont réduit de 25 % les dépenses d’éducation. Les taux de scolarisation primaire ont stagné pendant une décennie, tandis que les classes explosaient en nombre d’élèves.
- Agriculture : en Zambie, la suppression des subventions aux petits producteurs de maïs a provoqué un effondrement de la production vivrière, accentuant la dépendance aux importations.
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