Santé

Santé

Dépassements d’honoraires des médecins : un coût de 4,5 milliards qui pèse sur les patients

Le Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie tire la sonnette d’alarme : les pratiques tarifaires non régulées aggravent les inégalités et fragilisent l’équité du système de santé.

Les dépassements d’honoraires explosent. Ils augmentent même de près de 5% par an hors inflation depuis 2019. C’est la conclusion sans appel du rapport du Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie (Hcaam), rendu public ce jeudi. Cette pratique, qui permet aux médecins de facturer au-delà du tarif de base fixé par la Sécurité sociale, pèse aujourd’hui 4,5 milliards d’euros.

Concrètement, un dépassement d’honoraires correspond à la partie du tarif demandé par le médecin qui excède le tarif de base fixé par l’Assurance maladie. Si une consultation est conventionnée à 60 euros mais facturée 90, les 30 euros supplémentaires constituent le dépassement. Cette somme reste, selon les cas, partiellement ou totalement à la charge du patient, sa couverture complémentaire n’en remboursant qu’une fraction.

Plus d’un spécialiste sur deux concerné

Ces dépassements existent depuis les débuts de l’Assurance maladie mais ils ont réellement pris leur essor en 1980, lorsque le secteur 2 a été créé et a ouvert la possibilité de pratiquer des tarifs libres. Depuis, la progression ne s’est jamais interrompue. Plus d’un spécialiste sur deux exerce désormais en secteur 2, contre un peu plus d’un tiers en 2000. Et près des trois quarts des nouvelles installations se font aujourd’hui dans ce cadre.

Le rapport du Hcaam montre que ces dépassements accentuent les inégalités financières et territoriales. Ils représentent déjà près d’un quart du reste à charge total des ménages. Et pourrait encore grimper si, en réaction, les complémentaires augmentant leurs prix. Dans certaines spécialités comme la gynécologie, l’ophtalmologie ou la dermatologie, plus de 70 % des consultations en zones urbaines se font avec dépassement. Les auteurs soulignent aussi un effet pervers : certains praticiens, assurés de revenus confortables grâce à ces compléments, choisissent de réduire leur activité. Moins de consultations, moins de soins disponibles et une offre déjà insuffisante qui se réduit encore.

Reste à charge en hausse

Pour les patients, le constat est sévère. Le reste à charge, qui avait reculé entre 2017 et 2021, est reparti à la hausse pour atteindre 11,1 % en 2023. Dans certains départements, les tarifs varient du simple au double. Les plus modestes sont contraints de renoncer à des soins spécialisés. Faute de médecins de secteur 1 disponibles, il devient presque impossible d’accéder à une consultation sans dépassement. Le délai d’attente renforce encore l’injustice : en Île-de-France, il faut parfois plus de six mois pour obtenir un rendez-vous en secteur 1 chez un ophtalmologue, contre quelques semaines seulement en secteur 2… mais à un prix bien plus élevé. Cette médecine à deux vitesses creuse les inégalités sociales et territoriales et s’éloigne du principe fondateur de l’Assurance maladie, celui de l’égalité d’accès aux soins.

De leur côté, les syndicats médicaux défendent la liberté tarifaire en expliquant que les montants fixés par la Sécurité sociale ne couvrent pas toujours leurs frais ou ne reconnaissent pas leur expertise. Mais les données montrent que la progression des dépassements n’est pas liée à une augmentation des charges. Elle traduit surtout une logique de revenu complémentaire et de valorisation individuelle. Autrement dit, il ne s’agit pas de survie économique pour les praticiens mais bien d’un choix de positionnement.

L’Option pratique tarifaire maîtrisée ne séduit pas

Face à ce constat, les pouvoirs publics tentent d’agir. Le dispositif Optam, destiné à inciter les médecins de secteur 2 à limiter leurs dépassements, ne convainc que 30 % d’entre eux. Les incitations financières sont jugées trop faibles et beaucoup de praticiens considèrent qu’il bride leur liberté sans réelle contrepartie. Le Haut Conseil propose désormais de conditionner les dépassements à l’expérience et à l’expertise des médecins. Une mission parlementaire, confiée à Yannick Monnet  et Jean-François Rousset 1, doit rendre ses propositions d’ici la fin du mois. Mais l’efficacité des mesures à prendre reste incertaine tant que la liberté tarifaire sera considérée comme un droit acquis.

Limiter cette pratique suppose un choix politique clair. Plafonner strictement les dépassements, renforcer l’attractivité du secteur 1 et conditionner les avantages de l’installation libérale à l’engagement dans une médecine accessible. Redonner un sens collectif à un système conçu pour protéger tous les assurés et non pour favoriser la constitution de rentes privées. Car derrière les chiffres, les rapports et les débats institutionnels, c’est bien la promesse d’égalité devant la santé qui est en jeu.

1 Yves Monnet est rattaché au Parti communiste français (PCF) et siège au groupe Gauche démocrate et républicaine à l’Assemblée nationale. Jean-François Rousset est membre du parti Renaissance (ex-La République en marche) et siège avec le groupe « Ensemble pour la République »


Secteur 1, secteur 2 et Optam, qu’est-ce que ça change

  • En secteur 1, le médecin applique les tarifs fixés par la Sécurité sociale, sans dépassements sauf cas exceptionnel. Le patient est remboursé sur la base du tarif conventionnel.
  • En secteur 2, le médecin est conventionné mais fixe librement ses honoraires, avec « tact et mesure ». Les dépassements sont fréquents et souvent peu ou pas remboursés.
  • L’Optam, pour Option pratique tarifaire maîtrisée, est un dispositif destiné aux médecins de secteur 2. En échange d’honoraires plus proches du tarif conventionnel, ils bénéficient d’une meilleure prise en charge par la Sécurité sociale et leurs patients d’un remboursement plus avantageux.

Et ailleurs, en Europe ?

En Allemagne, les tarifs médicaux sont encadrés par un barème précis. Les dépassements d’honoraires sont possibles mais uniquement dans des cas exceptionnels, par exemple lorsqu’un patient souhaite des prestations particulières non couvertes par l’assurance de base.

En Espagne et en Italie, le secteur public garantit un accès gratuit ou quasi gratuit aux spécialistes et les dépassements sont marginaux. L’offre privée existe, mais elle est clairement séparée du système public et repose sur un choix assumé du patient.

Au Royaume-Uni, le National Health Service (NHS) ne connaît pas de dépassements d’honoraires. Les médecins sont rémunérés selon des grilles fixées nationalement. Les consultations privées existent, mais elles se situent entièrement en dehors du service public.

La France est l’un des rares pays où la médecine conventionnée coexiste avec des dépassements tarifaires massifs. Un paradoxe qui brouille la frontière entre service public solidaire et logique de marché et qui nourrit les inégalités d’accès aux soins.

Notre site est accessible, sans abonnement, sans mur payant, sans publicité, parce que nous voulons que tous ceux qui le souhaitent puissent lire et partager nos articles.

Mais ce choix a une contrepartie : sans vos dons, déductibles des impôts, Le Nouveau Paradigme ne peut pas exister.

Nous dépendons donc exclusivement du soutien de nos lectrices et lecteurs.

Je fais un don pour LNP

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Back To Top