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Budget Lecornu : le Macronisme n’est (malheureusement) pas mort

Derrière les annonces sur les hauts revenus et les holdings, le gouvernement maintient le cap d’une austérité sociale déguisée en responsabilité budgétaire.

Sébastien Lecornu peut bien parler de budget « de responsabilité ». Le texte qu’il a présenté hier pour 2026, dans la foulée de sa déclaration de politique générale, tient davantage de la continuité parfaite avec le macronisme que d’une quelconque réorientation politique. Derrière les grandes déclarations sur la justice fiscale, la décentralisation ou le pouvoir d’achat, les arbitrages concrets racontent une tout autre histoire : celle d’une austérité qui ne dit pas son nom, d’un gel généralisé, de sacrifices imposés aux mêmes catégories que depuis huit ans. Les plus modestes, les retraités, ceux qui dépendent des services publics.

Le gel social, pierre angulaire du projet

Au cœur du dispositif, une mesure brutale : le gel des pensions de retraite et des prestations sociales. Concrètement, c’est un recul net du niveau de vie pour des millions de foyers confrontés à une inflation qui, contrairement aux discours rassurants, reste bien présente dans le quotidien. Cette décision, justifiée par l’impératif de ramener le déficit sous la barre des 5 % du PIB, s’inscrit dans un plan d’économies massif de 30 milliards d’euros sur l’ensemble des dépenses publiques en 2026.
  Le message est limpide : il n’est pas question d’augmenter les recettes en faisant contribuer davantage les plus riches, mais bien de serrer collectivement la ceinture au nom de la « crédibilité financière ». La même rengaine, depuis des années.

Une suspension trompeuse des retraites

La principale annonce du Premier ministre, la « suspension jusqu’à l’élection présidentielle » de la réforme des retraites, se voulait un geste d’apaisement. Mais dans les faits, cette mesure n’abroge rien : elle reporte simplement l’application des nouvelles hausses d’âge à janvier 2028, date à laquelle la réforme redémarrera automatiquement si aucun autre texte n’est adopté d’ici là.
  Pour les personnes nées en 1964, le gain serait de trois mois seulement sur le départ à la retraite, contre neuf mois avec l’abrogation portée par une majorité de députés à l’Assemblée nationale. Pour toutes les autres générations, rien ne change : le gouvernement élu en 2027 pourra faire ce qu’il veut.
  Le Parti socialiste, qui exigeait la suspension intégrale et complète de la réforme, s’en contente. À ce prix-là, il s’apprête à sauver un budget d’austérité et à prolonger la logique macroniste qu’il prétend combattre. De son côté, le LFIste Manuel Bompard appelle les députés socialistes à voter la censure : « Ce budget n’est pas un compromis, c’est une capitulation. »

Des gages symboliques pour amadouer la critique

Lecornu n’est pas naïf. Il brandit quelques mesures pour tenter de se prémunir contre l’accusation d’injustice sociale : une taxe sur les holdings, la prolongation de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et une surtaxe sur les grandes entreprises. Il promet aussi un projet de loi contre la fraude fiscale et évoque une « contribution exceptionnelle » sur les grandes fortunes.
  Mais la portée réelle de ces dispositions reste marginale. Leur rendement budgétaire est dérisoire, loin d’une véritable réforme redistributive. Ces annonces relèvent avant tout de la communication politique, pas d’un changement de paradigme fiscal. On agite le chiffon rouge des « riches taxés » sans toucher au modèle économique.

(Images Assemblée nationales)

Le macronisme sans Macron

Car rien, absolument rien dans ce projet ne remet en cause les fondements de la politique économique héritée d’Emmanuel Macron. Priorité au désendettement, maintien des niches fiscales favorables aux entreprises, gel du barème de l’impôt sur le revenu, refus catégorique des propositions de rupture portées par la gauche radicale.
  Le gouvernement écarte d’emblée le retrait définitif de la réforme des retraites, rejette le rétablissement d’un ISF renforcé, ignore la taxe Zucman sur les très hauts patrimoines. Toutes ces pistes sont jugées « incompatibles avec la stabilité de l’investissement ». En clair : la justice sociale peut attendre.

La gauche sonne la charge

Face à ce budget, la gauche radicale ne mâche pas ses mots. Pour La France insoumise, c’est « du Macron sans Macron ». Jean-Luc Mélenchon dénonce « un budget d’austérité déguisée, un budget de classe », appelant à l’union de la gauche parlementaire pour déposer une motion de censure.
  Les écologistes, eux, annoncent qu’ils voteront la censure, jugeant le texte « sans souffle », incapable de répondre à l’urgence climatique ni de financer sérieusement la transition énergétique. Quant au Parti communiste, il fustige un budget « construit pour plaire à Bruxelles et aux marchés, non pour répondre aux besoins du pays ».
  Son député Stéphane Peu estime que la politique du gouvernement « ferme les portes aux propositions venues de la gauche et en ouvre de nombreuses vers la droite et l’extrême droite ». « Votre politique n’est pas seulement néfaste, elle est aussi dangereuse », a-t-il lancé, avant de viser directement Emmanuel Macron : « La Cinquième République est à bout de souffle tant elle a été dévoyée par l’actuel président de la République. Il est le seul responsable et coupable de la crise politique que traverse notre pays. »
  Le PCF devrait logiquement voter la censure, fidèle à sa ligne de rupture avec la politique gouvernementale.

Le Parti socialiste refuse la censure

Dans le même hémicycle, le ton était tout autre du côté socialiste. « Dans ce moment grave, ce qui se joue, c’est la démocratie elle-même », a estimé Boris Vallaud, président du groupe PS à l’Assemblée nationale en laissant entendre, sans le dire, qu’une dissolution permettrait au RN d ’arriver au pouvoir.

« Voici enfin la suspension de la réforme des retraites : c’est une victoire, un premier pas. »
  Le Parti socialiste juge donc que le débat est « encore possible » et ne déposera donc pas de motion de censure. En refusant de s’y associer, il prend le risque de sauver, de facto, le gouvernement Lecornu, et avec lui la continuité du macronisme.
  Reste à savoir si tous les députés socialistes suivront la ligne officielle. Certains, sensibles à la pression de leur base électorale, pourraient refuser de « sauver la Macronie ». À moins que la crainte de perdre leur siège en cas de nouvelle élection soit plus forte.

Jeudi, l’épreuve de vérité

Cette opposition frontale se concrétisera dès jeudi matin à l’Assemblée nationale, avec le débat sur les motions de censure déposées par La France insoumise et par le Rassemblement national. Dans une Assemblée dépourvue de majorité absolue, quelques voix socialistes suffiraient à faire basculer le gouvernement. Entre cohérence politique et calcul institutionnel, le choix sera déterminant.

Quoi qu’il advienne, ce budget trace une ligne de fracture nette entre deux conceptions du pays. D’un côté, un exécutif obsédé par la trajectoire comptable, qui renonce à toute redistribution ambitieuse pour préserver la stabilité financière exigée par les marchés. De l’autre, une gauche radicale qui refuse de se résigner à ce qu’elle considère comme un renoncement collectif maquillé en sérieux budgétaire.
  Sébastien Lecornu ne rompt avec rien. Il prolonge le macronisme sous une nouvelle bannière, misant sur l’usure, la peur du vide politique et l’absence de majorité alternative crédible. Mais la colère sociale, elle, ne se gèle pas.


Ce que contient réellement le budget 2026

  • Gel du barème de l’impôt sur le revenu et de la CSG, équivalant à une hausse d’impôts déguisée pour les particuliers et 80 % des TPE.
  • « Année blanche » pour les ménages modestes : perte annuelle estimée à 150 € pour les retraités les plus pauvres, 100 € pour un salarié, 200 € pour un chômeur.
  • Gel des indemnités journalières des aidants, des prestations d’accueil du jeune enfant et de l’allocation en cas de décès d’un enfant.
  • Coupes de 5 milliards d’euros sur les communes et les services publics locaux.
  • Hausse de TVA pour les auto-entrepreneurs et les artisans.
  • Révision des modalités de remboursement pour certaines pathologies avec sortie possible du régime d’affection longue durée pour certains patients en rémission.
  • Doublement des franchises médicales (médicaments, transports, soins).
  • 13 milliards d’économies sur la Sécurité sociale et 7 milliards sur la santé.
  • Suppression totale des exonérations de cotisations pour les apprentis sur la partie inférieure à la moitié du SMIC.
  • Effort fiscal divisé par deux pour les grandes entreprises et pour les plus riches par rapport au précédent budget.

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