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Budget 2026 de la Sécu : les malades paieront la note

Franchises médicales doublées, prestations gelées, fiscalité figée : pour réduire le déficit de la Sécurité sociale, le gouvernement mise sur les assurés eux-mêmes.

Le budget de la Sécurité sociale pour 2026, encore en discussion au Parlement, affiche un objectif clair : ramener le déficit de la branche maladie à 12,5 milliards d’euros, contre 17,5 cette année. Dans un contexte où la France cherche à contenir sa dette publique et à respecter ses engagements européens de réduction des déficits, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), distinct du budget général de l’État, marque un tournant. Alors que les dépenses de santé progressent sous l’effet du vieillissement de la population et de la hausse des maladies chroniques, le gouvernement choisit de rogner sur les dépenses de santé et de faire contribuer davantage les assurés eux-mêmes.

Une croissance contrainte des dépenses de santé

L’ONDAM (Objectif national de dépenses d’assurance maladie), c’est-à-dire le plafond de progression des dépenses de santé, augmentera de 1,6 % en 2026, alors que l’inflation prévue est de 1,3 %. En apparence, la hausse existe. En réalité, c’est une stagnation déguisée. Cette hausse limitée revient concrètement à une diminution de la capacité réelle à soigner. Selon les estimations, 1,1 milliard d’euros de besoins hospitaliers resteront non couverts, soit l’équivalent de 20 000 postes infirmiers non pourvus.

La Fédération hospitalière de France parle d’une « pire cure d’économies depuis les années 2010 ». Et de prévenir : « À ce rythme, c’est la continuité des soins qui vacille ». Les files d’attente aux urgences, les déprogrammations d’opérations et les déserts médicaux risquent de s’aggraver.

« On sort désormais sa carte bleue avant sa carte Vitale »

Le gouvernement mise aussi sur le doublement des participations forfaitaires et des franchises médicales. En 2024, ces montants avaient déjà doublé, passant de 1 à 2 euros pour une consultation et de 0,50 à 1 euro pour les médicaments. En 2026, ils passeraient respectivement à 4 et 2 euros, avec un plafond annuel de 200 euros contre 100 aujourd’hui.

Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) 1, cette première hausse avait déjà fait bondir les participations des assurés de 35 %, pour atteindre 2,5 milliards d’euros en 2024. Le nouveau doublement porterait ce chiffre à plus de 4 milliards.

Pour Bercy, cette mesure « responsabilise les assurés » et permet de financer des soins prioritaires. Un argument déjà avancé lors de la création des franchises en 2008, et régulièrement repris depuis. Mais les études disponibles ne confirment pas cette efficacité supposée : la Drees comme l’ Institut de Recherche et Documentation en Économie de la Santé (IRDES)2 montrent que le renoncement aux soins touche d’abord les pathologies chroniques et les ménages modestes, sans effet mesurable sur la « pertinence » médicale des actes. En d’autres termes, ce n’est pas la consommation excessive qui baisse, mais les soins nécessaires.

Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, résume la colère en une phrase : « On sort désormais sa carte bleue avant sa carte Vitale. » Le gouvernement assure que les plus précaires seront épargnés, mais seuls 56 % des personnes éligibles à la complémentaire santé solidaire y recourent réellement. Autrement dit, près de la moitié des foyers modestes devront payer les nouvelles franchises sans compensation.

Ce que paiera un patient chronique en 2026
- Claire, 62 ans, diabétique : 3 visites mensuelles + 2 boîtes de médicaments par semaine → environ 18 euros par mois, soit 216 euros à l’année.
- Patrick, 45 ans, suivi pour hypertension : 1 visite par mois + 1 boîte de médicament par semaine → environ 10 euros par mois, soit 120 euros à l’année.
- Nora, 38 ans, en affection longue durée pour cancer du sein, sans mutuelle : 4 consultations mensuelles, médicaments et transports sanitaires → plus de 25 euros par mois. Ces montants s’ajoutent à des revenus déjà souvent limités, notamment en cas de maladie chronique, et s’appliquent à des dépenses que les patients ne peuvent différer.
La responsabilisation des patients est un objectif légitime. Mais elle suppose des moyens d’éducation à la santé, de prévention et de suivi, pas une pénalisation financière qui frappe précisément ceux dont la pathologie rend le renoncement impossible.

Le risque du renoncement : une bombe à retardement économique

Les études de la Drees montrent qu’une hausse de 10 % du reste à charge réduit de 3 à 5 % le recours aux soins courants dans les classes populaires. Dans un système où les pathologies chroniques se multiplient, le calcul budgétaire peut se retourner contre lui-même : les soins différés se traduisent par des complications, des hospitalisations évitables et des coûts bien supérieurs à moyen terme.

L’Institut de recherche et documentation en économie de la santé estime qu’un euro non dépensé en prévention coûte entre 3 et 5 euros en dépenses hospitalières dans les cinq années suivantes. De son côté, le FMI reconnaît depuis 2022 que les politiques d’austérité sanitaire ont un multiplicateur budgétaire négatif : à court terme, elles réduisent la croissance et aggravent les déséquilibres qu’elles prétendent corriger.

La France glisse vers un modèle moins solidaire

Jusqu’ici, la France figurait parmi les pays de l’OCDE où le reste à charge des ménages pour la santé est le plus faible : environ 7 % de la dépense totale, contre 15 % en moyenne en Europe. Si les franchises continuent d’augmenter, ce taux pourrait dépasser 9 % d’ici trois ans, selon la Fédération nationale de la Mutualité française. La France se rapprocherait alors des niveaux observés aux Pays-Bas ou en Allemagne, où le recours au soin dépend davantage du revenu.

Cet alignement européen n’est pas neutre. Il traduit un basculement de modèle : d’une santé considérée comme un droit universel, vers un système où chacun contribue selon sa consommation, non selon ses moyens. Le paradoxe est que ce glissement, censé économiser de la dépense publique, risque d’alourdir la dépense privée, tout en affaiblissant la cohésion sociale.

Une politique comptable aux effets sociaux durables

L’exécutif défend sa trajectoire comme un « effort nécessaire pour garantir la soutenabilité du modèle social ». Mais la soutenabilité ne peut se réduire à la comptabilité. L’expérience des dix dernières années, en France comme ailleurs, montre que les politiques de rigueur dans les services publics de santé finissent par coûter plus cher à moyen terme, en aggravant les inégalités et les dépenses d’urgence.

Plutôt que de rogner sur la solidarité, d’autres pistes existent : élargir l’assiette de la CSG, taxer davantage les dividendes ou redéployer les allégements de cotisations sociales les moins efficaces. Une hausse de 1 % sur la CSG des revenus du capital rapporterait environ 3 milliards d’euros par an, sans affecter le pouvoir d’achat des classes moyennes.

A contrario, le budget proposé traduit un glissement de la solidarité collective vers la responsabilité individuelle. En voulant équilibrer les comptes, on déséquilibre le principe fondateur de la Sécurité sociale : se soigner selon ses besoins et non selon ses moyens.

1  La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques est un  organisme public rattaché aux ministères sociaux et chargé de produire les données de référence sur la santé et la protection sociale.

2 L’Institut de Recherche et Documentation en Économie de la Santé, est un organisme public français créé en 1985. Il est placé sous la tutelle du ministère de la Santé et de la Recherche. Il a pour mission d’analyser le fonctionnement du système de santé, les dépenses de soins, les comportements des patients et des professionnels, ainsi que les politiques publiques de santé.


Retraités et allocataires : l’autre visage de l’austérité sociale

Le gouvernement propose, dans le cadre de ses deux projets budgétaires pour 2026, de geler pour un an les pensions et les prestations sociales (budget de la Sécurité sociale), ainsi que le barème de l’impôt sur le revenu (budget de l’État).
  Cette mesure, bien qu’en dehors du champ strictement sanitaire, s’inscrit dans une logique de rigueur plus large qui touche l’ensemble de la protection sociale. Elle mérite d’être observée comme un autre symptôme du désengagement de l’État envers les plus fragiles, au même titre que les hausses de franchises médicales.

Voici quelques exemples concrets :
 
– Un retraité non imposable perdrait environ 1,3 % de pouvoir d’achat, soit l’équivalent de deux semaines de courses pour une personne seule.
  – Les retraités imposables risquent d’être rattrapés par le gel du barème fiscal : certains deviendraient imposables uniquement parce que le seuil d’imposition ne bouge pas.
  – Selon l’Insee, le taux de pauvreté a atteint 15,4 % en 2023, soit 9,8 millions de personnes, un record depuis trente ans.
  Dans ce contexte, un gel généralisé équivaut à une baisse de revenu réel et accentue la pression sur les dépenses de base, dont la santé.

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