COP30 : les plus riches accélèrent le réchauffement climatique, les plus pauvres en meurent
Alors que la COP30 s’ouvre dans un contexte d’urgence climatique, un constat s’impose : la crise climatique frappe d’abord et plus durement les plus démunis, alors que les plus riches en sont les premiers responsables.
Le réchauffement climatique n’a rien d’un « grand égalisateur ». Au contraire, il exacerbe les injustices existantes. Les communautés pauvres, qu’elles vivent en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud ou dans des quartiers défavorisés d’Europe et d’Amérique, sont en première ligne face aux sécheresses, aux inondations,aux canicules et autres tempêtes. Faute de ressources, elles disposent de moins de moyens pour se protéger ou reconstruire. À l’échelle mondiale, les régions très vulnérables subissent ainsi bien davantage les catastrophes : entre 2010 et 2020, le taux de mortalité dû aux inondations, aux sécheresses et aux tempêtes a été quinze fois supérieur dans les pays les plus fragiles que dans les régions très peu vulnérables 1. Ce sont précisément ces régions, États insulaires, zones arides, bidonvilles informels, qui ont le moins contribué au changement climatique mais en payent le prix fort.
Les plus riches, premiers pollueurs du climat
À l’autre bout de l’échelle, une minorité aisée génère une part démesurée des émissions de gaz à effet de serre. Selon un rapport publié par Oxfam, en 2019 les 1 % les plus riches de la population mondiale ont émis à eux seuls autant de CO₂ que les 5 milliards de personnes les plus pauvres, soit les deux tiers de l’humanité 2. Autrement dit, l’empreinte carbone d’une élite fortunée rivalise avec celle de la moitié la plus modeste de la planète. Le mode de vie de ces ultras-riches (déplacements en jet privé, villas énergivores, surconsommation) se traduit par une pollution colossale. « Les ultra-riches pillent et polluent la planète au point de la détruire et laissent l’humanité en proie aux chaleurs extrêmes, aux inondations et aux sécheresses », dénonce Amitabh Behar, directeur général d’Oxfam International 3.
Cette inégalité climatique a des racines historiques. Les nations industrialisées du Nord, riches aujourd’hui, brûlent du charbon et du pétrole depuis deux siècles, accumulant une « dette carbone ». Elles ont émis l’écrasante majorité des gaz à effet de serre excédentaires depuis 1850. Une étude récente attribue ainsi 92 % des émissions excédentaires ayant poussé le climat hors des limites sûres aux seuls pays développés du Nord. En revanche, l’ensemble du continent africain, foyer de 17 % de la population mondiale, ne représente actuellement qu’environ 3 à 4 % des émissions globales. Le contraste est flagrant : ceux qui ont le moins profité du modèle fossile subissent aujourd’hui de plein fouet ses conséquences, tandis que les bénéficiaires de la pollution passée tardent à changer de cap.
Pauvres et vulnérables : premières victimes du réchauffement
Si les pays riches du Nord ont les moyens d’ériger des digues ou de climatiser leurs bâtiments, nombre de nations du Sud global manquent de ressources pour s’adapter aux bouleversements climatiques. Or, ces bouleversements s’intensifient. La hausse du niveau des mers menace directement les petits États insulaires et les zones côtières densément peuplées comme le Bangladesh. L’augmentation des phénomènes extrêmes, comme les cyclones, les méga-feux et les vagues de chaleur, frappe les agriculteurs de subsistance, les pêcheurs artisanaux et les populations rurales pauvres dont la survie dépend étroitement de la nature. Par exemple, les vagues de sécheresse à répétition en Afrique de l’Est déciment les récoltes et le bétail, plongeant des millions de personnes dans la famine.
Les chiffres illustrent cette injustice : les pays en développement supporteront environ 75 % des coûts du dérèglement climatique, alors qu’ils ne sont responsables que d’une fraction des émissions. Le dernier rapport du GIEC souligne que le réchauffement a déjà compromis l’accès à l’eau et à la nourriture dans de nombreuses régions pauvres, exacerbant l’insécurité alimentaire. Il constate aussi que les populations les plus pauvres sont souvent quinze fois plus exposées aux risques mortels liés au climat que les plus aisées. Autrement dit, à intensité de cyclone égale, ce sont les habitants des bidonvilles de Port-au-Prince ou des villages du Mozambique qui ont le plus de risques d’y laisser leur vie, bien davantage que les résidents de Miami ou de Paris.
Cette vulnérabilité accrue s’explique par plusieurs facteurs. D’une part, le manque d’infrastructures et de services de base (systèmes d’alerte, hôpitaux, réseau électrique fiable) rend les communautés pauvres bien plus fragiles face aux chocs climatiques. D’autre part, la pauvreté elle-même limite les capacités d’adaptation : difficile de « mettre sa famille à l’abri » d’un cyclone quand on vit dans une maison précaire ou de fuir une zone inondable sans économies ni moyen de transport. Enfin, les pays du Sud qui subissent catastrophe sur catastrophe voient leur développement entravé et leur endettement s’alourdir, ce qui réduit encore leur marge de manœuvre pour se relever. Un véritable cercle vicieux du changement climatique est à l’œuvre : chaque cyclone ou sécheresse appauvrit un peu plus les nations déjà pauvres, creusant les écarts avec les pays riches capables d’absorber le choc.
Inégalités climatiques y compris au sein des pays riches
L’injustice climatique ne se limite pas à l’opposition Nord-Sud. À l’intérieur même des pays développés, les plus modestes subissent davantage les effets du réchauffement que les plus fortunés. Les événements extrêmes révèlent crûment ces fractures internes. Aux Etats-Unis, lors de l’ouragan Katrina en 2005 ou de la tempête Sandy en 2012, ce sont les quartiers pauvres, souvent habités par des minorités ethniques, qui ont été les plus dévastés et qui ont mis le plus de temps à se reconstruire. À New York, après le passage de Sandy, des milliers de résidents modestes sont restés sans électricité ni soins pendant des jours, tandis que le siège de la banque Goldman Sachs, à Manhattan, protégée par ses propres générateurs et des digues de sacs de sable, brillait de tous ses feux. Cet exemple illustre ce que le rapporteur de l’ONU Philip Alston a qualifié de menace d’« apartheid climatique » : les riches peuvent payer pour échapper aux pires effets du chaos climatique, alors que les plus pauvres sont abandonnés à leur sort 3.
Au quotidien, les ménages précaires des pays industrialisés subissent déjà plus intensément le dérèglement du climat. En France, par exemple, les logements mal isolés constituent de véritables pièges thermiques pour les plus modestes. Les logements sociaux ou anciens, mal isolés, sans climatisation ni espaces verts, transforment les canicules en cauchemar pour les familles modestes qui n’ont pas les moyens de se réfugier ailleurs. De même, en période de forte chaleur, posséder un jardin, une maison de campagne où s’échapper ou simplement pouvoir financer une bonne isolation thermique devient un luxe qui fait la différence entre souffrir ou rester au frais. Climatiseurs, résidences secondaires, quartiers verdoyants… Les plus aisés ont les moyens de se protéger tandis que les plus démunis cumulent les handicaps : logements exigus en ville, quartiers « îlots de chaleur », emplois pénibles en extérieur, etc.
Cette « injustice climatique » intérieure commence seulement à être pleinement documentée. En France, l’Observatoire des inégalités 4 souligne que les personnes aux revenus modestes déclarent beaucoup plus souvent avoir trop froid en hiver, trop chaud en été et vivre dans un logement plus humide que le reste de la population. Ces conditions de vie indignes sont aggravées par le changement climatique et risquent de s’étendre à mesure que les épisodes extrêmes se multiplient. Les autorités locales tirent la sonnette d’alarme : sans une politique ambitieuse de rénovation énergétique des bâtiments et de lutte contre la précarité énergétique, les morts liées aux vagues de chaleur en milieu urbain pourraient augmenter dramatiquement dans les décennies à venir, touchant en premier lieu les seniors et les ménages pauvres.

Vers un futur d’inégalités climatiques exacerbées
Si rien n’est fait pour corriger le tir, le futur pourrait ressembler à un monde d’apartheid climatique, où les nantis vivent dans des bulles de relative sécurité dans des villes protégées, bénéficiant de climatiseurs et de technologies sophistiquées, pendant que le reste de l’humanité fait face aux tempêtes et à la faim. Déjà aujourd’hui, le changement climatique menace d’annihiler des décennies de progrès en matière de développement et de réduction de la pauvreté, selon l’ONU. La multiplication des catastrophes naturelles et la montée des températures risquent de pousser des millions de personnes supplémentaires dans la misère. La Banque mondiale estime ainsi que, sans action climatique vigoureuse, plus de 100 millions de personnes pourraient basculer dans l’extrême pauvreté d’ici 2030 5. Ce sombre pronostic s’explique par les pertes de récoltes, la flambée des prix alimentaires, la destruction d’habitations et d’emplois que provoquent les bouleversements du climat.
Les conséquences sociales et politiques pourraient être explosives. Face à des populations du Sud de plus en plus éprouvées, des mouvements migratoires massifs pourraient s’amplifier, tout comme les tensions pour l’accès aux ressources essentielles, comme l’eau ou les terres arables. Dans un monde dépassant les +2 °C de réchauffement, certains experts redoutent une montée des conflits et de l’instabilité politique, nourries par les inégalités climatiques. Dans les pays du Nord, le ressentiment pourrait aussi croître entre classes sociales, les plus pauvres reprochant aux élites leur inaction et leur relative immunité face aux problèmes climatiques.
Cependant, ce futur n’est pas une fatalité. La justice climatique, c’est-à-dire la reconnaissance de ces inégalités et l’action pour y remédier, s’impose comme l’un des enjeux centraux des négociations internationales. À l’occasion de cette COP30, de nombreuses voix réclament des mesures fortes pour inverser la tendance. Il s’agit notamment de réduire radicalement les émissions des plus riches, par exemple via des taxes carbone progressives ou la fin des avantages aux industries fossiles, et de financer l’adaptation des pays pauvres. Lors de la COP27 en 2022, un fonds « pertes et dommages » a été acté pour aider les nations vulnérables à faire face aux désastres climatiques : il faut maintenant l’abonder concrètement et le rendre opérationnel. De même, le transfert de technologies vertes et l’allégement de la dette des pays en développement figurent parmi les solutions évoquées pour renforcer la résilience des plus fragiles.
Enfin, la lutte contre les inégalités sociales et économiques va de pair avec la lutte climatique. Un monde plus égalitaire serait mieux armé face au défi du réchauffement. Des sociétés dans lesquelles la richesse est mieux partagée pourront investir dans des infrastructures résilientes pour tous, des réseaux de sécurité sociale, des logements décents et sobres en énergie. À l’inverse, laisser prospérer l’extrême richesse et la pauvreté revient à alimenter la crise climatique. « Cette crise devrait être un catalyseur pour que les États garantissent enfin les droits économiques et sociaux de tous », plaide Philip Alston dans son rapport, soulignant qu’agir pour le climat offre l’opportunité d’améliorer la vie des plus défavorisés.
Le message qui émanera de cette COP30 doit être très clair: sans justice sociale, il n’y aura pas de solution durable à la crise climatique. A moins bien sûr que les plus grands climato-sceptiques, Donald Trump et ses affidés affairistes en tête, ne réussissent à réduire à néant les efforts du reste de la planète.
(Photo US Army et Jean Beaufort- CC)
Notes :
1 – GIEC 2022 – Impacts, Adaptation et Vulnérabilité (Résumé) – Rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
2 – Oxfam (nov. 2023) – « Les 1 % les plus riches émettent autant de CO₂ que deux tiers de l’humanité » 3 – Philip Alston, ONU (juin 2019) – Rapport « droits de l’homme et pauvreté : l’ère de l’apartheid climatique », cité par The Guardian.
4 – Observatoire des inégalités (juin 2025) – « Logement : des inégalités face à la chaleur et au froid » – Données ADEME sur la précarité énergétique en France.
5 – Banque mondiale (2017) – Interview de K. Georgieva, directrice générale : le changement climatique pourrait plonger 100 millions de personnes supplémentaires dans la pauvreté d’ici 2030.
Notre site est accessible, sans abonnement, sans mur payant, sans publicité, parce que nous voulons que tous ceux qui le souhaitent puissent lire et partager nos articles.
Mais ce choix a une contrepartie : sans vos dons, déductibles des impôts,
Le Nouveau Paradigme ne peut pas exister.
Nous dépendons donc exclusivement du soutien de nos lectrices et lecteurs.
