Spécial COP30 : pourquoi le capitalisme va détruire la planète
Croissance infinie, pillage des ressources et inégalités croissantes : le capitalisme est structurellement incompatible avec la survie de la Terre et de notre espèce. En sortir n’est plus un choix idéologique, mais une condition de vie.
Alors que s’ouvre la COP30 à Belém, en pleine Amazonie déboisée, les dirigeants multiplient les promesses creuses et les déclarations d’intention. Mais derrière les mots, rien ne change. Les émissions de CO₂ augmentent, la biodiversité s’effondre, les ressources s’épuisent. Si la planète brûle, c’est parce qu’un système économique fondé sur la croissance infinie a transformé chaque coin du globe en gisement à exploiter.
Le capitalisme n’est pas simplement un mode de production, c’est une logique d’expansion permanente. Pour survivre, il doit produire plus, vendre plus, consommer plus. Cette mécanique, née au XIXᵉ siècle avec la révolution industrielle, continue de prospérer alors que les limites planétaires sont désormais dépassées. Or, il ne peut exister de croissance infinie dans un monde fini.
Un système qui dépasse les bornes
En 2023, l’humanité a consommé en sept mois ce que la Terre peut régénérer en un an. Le « jour du dépassement » mondial est tombé le 2 août. L’ONG WWF, dans l’édition 2024 du rapport Planète vivante, avance que « l’adoption des modes de consommation alimentaire actuels des principales économies mondiales, si elle était généralisée, entraînerait un dépassement de 263 % de l’objectif climatique de 1,5 °C pour les émissions de gaz à effet de serre liées à l’alimentation et nécessiterait entre une et sept Terres pour subvenir aux besoins ». Et chaque année, l’écart se creuse. L’extraction mondiale de matières premières atteint aujourd’hui 100 milliards de tonnes par an, soit trois fois plus qu’en 1970 1. Cette course effrénée alimente 50 % des émissions de gaz à effet de serre et plus de 90 % de la perte de biodiversité.
Derrière ces chiffres, il y a une réalité : le capitalisme fonctionne comme une machine à transformer la nature en profits. Forêts, océans, sols, minerais, énergie… Tout devient marchandise. Et pourtant, cette consommation massive de ressources dégrade durablement les écosystèmes, sans pour autant améliorer durablement la qualité de vie, ainsi que l’explique le célèbre économiste britannique Jason Hickel, chantre de la décroissance, dans son livre « Less is more ».
Croissance verte, mythe destructeur
Selon le dernier rapport du GIEC, pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, il faudrait réduire les émissions mondiales de 43 % d’ici 2030. Or elles continuent d’augmenter : +1,1 % en 2022, un record historique 2. La décorrélation entre croissance et empreinte écologique, tant vanté par les gouvernements, n’existe pas à l’échelle mondiale. Comme le rappelle Timothée Parrique, chercheur à l’université de Lund et auteur de « Ralentir ou périr », « le découplage absolu entre croissance du PIB et dégradation environnementale n’a jamais été observé dans l’histoire de l’humanité ».
En effet, les partisans d’un « capitalisme vert » affirment qu’il suffit d’innover et de verdir la production pour rendre la croissance durable. Pourtant, chaque gain d’efficacité est annulé par l’effet rebond. Ce qu’on économise ici est réinvesti ailleurs pour produire davantage. Résultat, la consommation d’énergie mondiale a été multipliée par douze depuis 1950, malgré les progrès technologiques 4.
L’industrie mondiale, le transport et l’agriculture intensive tirent cette croissance vers l’abîme. Le transport maritime, pilier du commerce mondial, génère à lui seul 3 % des émissions mondiales de CO₂, un chiffre qui pourrait tripler d’ici 2050 5. De leur côté, les compagnies pétrolières engrangent des profits records : 220 milliards de dollars pour les cinq majors en 2022.
La concurrence mondiale contre le social
Cette économie sans limites a un autre coût : elle détruit les acquis sociaux. Depuis quarante ans, les politiques de libre-échange et de compétitivité plongent les travailleurs du monde entier dans une guerre économique sans fin. Chaque pays cherche à produire moins cher que son voisin. On délocalise, on précarise, on flexibilise.
Le World Inequality Report 2022 montre que 10 % de la population mondiale captent plus de la moitié du revenu global, tandis que la moitié la plus pauvre n’en perçoit que 8,5 %. En France, selon l’insee, la productivité a augmenté de 45 % depuis 1990, mais les salaires réels stagnent.
L’effondrement a déjà commencé
Les signes sont là. Selon le WWF, 69 % des populations d’animaux vertébrés ont disparu depuis les années 1970. La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) estime qu’un million d’espèces sont aujourd’hui menacées d’extinction. Le réchauffement a dépassé plusieurs fois cette année 1,5 °C, les sols s’appauvrissent, les océans s’acidifient. Ce n’est plus une alerte, c’est un effondrement en cours. La logique du marché mondial ne fait que l’accélérer : chaque tonne de soja, chaque baril de pétrole, chaque cargaison de plastique ajoute un peu plus de désordre.
Sortir du capitalisme, pas de la civilisation
Face à l’urgence, certains imaginent un « capitalisme régulé » ou « social ». Mais il faut regarder la réalité : ce système n’est pas réformable. Il ne peut fonctionner que dans la croissance. Or, comme le rappelle la chercheuse Kate Raworth, autrice de « La Théorie du Donut », « la véritable économie du XXIᵉ siècle doit être conçue pour prospérer, non pour croître » 6.
Des alternatives crédibles existent. La décroissance planifiée, défendue par Parrique ou Hickel, ne signifie pas la misère : elle consiste à réduire la production matérielle dans les secteurs inutiles et polluants, tout en améliorant la qualité de vie. La planification écologique, concept remis au goût du jour par des économistes écologistes français, vise à réorienter la production vers des biens socialement utiles : santé, logement, alimentation, énergie renouvelable, culture.
La prospérité du futur ne se mesurera plus en points de PIB, mais en qualité des liens humains, en santé des écosystèmes, en sécurité collective. Pour éviter l’effondrement, il faut rompre avec le capitalisme, pas avec la civilisation. La COP30 ne peut plus se contenter de promesses : elle doit ouvrir le débat sur la fin du modèle qui nous conduit à la ruine.
(Photo O.P.)
Notes :
1 – ONU Environnement, Global Resources.
2 – AIE, CO₂ Emissions in 2022, 2023.
3 -Timothée Parrique,Ralentir ou périr, Seuil, 2022.
4 – Our World in Data, Global Energy Consumption, 2023.
5 – OCDE/ITF, Transport, 2021.
6 – La Théorie du Donut, de Kate Raworth est une proposition de modèle économique qui vise à repenser les fondements de l’économie pour répondre aux défis sociaux et environnementaux du XXIe siècle. Le modèle visualise un espace sûr et juste pour l’humanité, délimité par un « plancher social » garantissant des conditions de vie dignes et un « plafond écologique » à ne pas dépasser pour préserver la planète. Ce modèle invite à une économie durable et équitable, dépassant la simple notion de croissance du PIB.
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