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« Pertes et dommages » : la promesse éternelle que les pays riches ne tiennent jamais

À chaque COP, les pays du Nord jurent qu’ils aideront les nations les plus vulnérables, ravagées par les sécheresses, les cyclones ou la montée des eaux. Et chaque année, les engagements se dissolvent dans le brouillard diplomatique. À Belém, le fonds « Pertes et dommages » ressemble à tout sauf à une réponse à la hauteur du chaos climatique.

De grandes déclarations, des applaudissements poussifs, quelques signatures solennelles et une photo de famille pour immortaliser le moment. Puis, dès que les délégations montent dans leurs avions, tout s’évapore. Les pays les plus pauvres attendent l’argent promis, l’argent qui devrait compenser les destructions subies pour une crise qu’ils n’ont quasiment pas provoquée. Ils attendent. Et ils attendent encore. Pendant ce temps, les dégâts s’accumulent : des milliers de vies perdues chaque année, des économies entières balayées par des évènements extrêmes dont la science montre qu’ils sont intensifiés par le réchauffement global ¹.

Le mécanisme de « Pertes et dommages » (Loss and Damage) devait être la réponse historique de la communauté internationale face à cette injustice flagrante. Mais dix ans après que l’idée a émergé dans les négociations, et deux ans après l’annonce de la création du fonds lors de la COP27, la réalité est pitoyable. En 2023, le montant promis avoisinait 700 millions de dollars, alors que les besoins annuels des pays vulnérables sont estimés entre 100 et 580 milliards de dollars d’ici 2030 ³. Une différence abyssale : pour chaque dollar nécessaire, seuls quelques centimes sont sur la table.

Les pays riches paient la crise qu’ils ont créée… en pourboires

Soyons clairs : les pays industriels sont responsables de plus de 90 % des émissions historiques de CO₂ depuis la Révolution industrielle. Ce sont eux qui ont accumulé la dette climatique. Et pourtant, ils refusent toujours d’assumer pleinement ce que même la science désormais appelle la « responsabilité climatique différenciée ». Le dernier rapport du GIEC rappelle que les pertes économiques causées par des extrêmes climatiques « augmentent déjà dans toutes les régions du monde, en particulier dans les pays à faible revenu ». Mais ces mêmes pays continuent de financer leur adaptation en contractant des prêts qui creusent un endettement devenu insoutenable.

Le cynisme est total. Les États-Unis, dont les émissions cumulées par habitant sont les plus élevées de la planète, n’ont versé qu’un montant symbolique dans le fonds « Pertes et dommages ». L’Union européenne se félicite de contribuer davantage, mais reste très loin de ce qu’imposerait un partage équitable de l’effort. Pendant ce temps, les catastrophes climatiques coûtent chaque année en moyenne plus de 200 milliards de dollars à l’échelle mondiale. Un chiffre grimpe inexorablement.

Un mécanisme pensé pour éviter de payer réellement

Derrière les grandes annonces, le mécanisme du fonds a été conçu pour limiter au maximum la contrainte financière sur les pays riches. D’abord, aucune obligation de versement n’a été adoptée. Ensuite, une bonne partie des contributions peut passer par des prêts, et non des dons, ce qui revient à transformer la réparation en business. Enfin, la gouvernance du fonds reste largement sous contrôle des contributeurs, au détriment des bénéficiaires.

Dans de nombreux pays du Sud, la situation tient du cauchemar statistique : au Pakistan, par exemple, les inondations de 2022 ont provoqué plus de 30 milliards de dollars de dégâts, soit l’équivalent de 10 % du PIB national. L’ouragan Dorian aux Bahamas en 2019 a généré des pertes estimées à 3,4 milliards de dollars, pour un pays qui pèse tout juste 12 milliards de PIB. À ce niveau, ce ne sont plus des catastrophes naturelles : ce sont des destructions de richesses à l’échelle nationale.

À Belém, la même comédie : on promet, on dilue, on renvoie à plus tard

À la COP30, malgré l’urgence, les discussions patinent. Les mêmes pays rechignent. Les mêmes arguments ressurgissent : « Nous ne pouvons pas créer un précédent juridique », « Nos budgets sont contraints », « Nous faisons déjà beaucoup ». Pendant ce temps, des millions de personnes perdent leurs maisons, leurs terres, leurs moyens de subsistance.

Il suffit pourtant de lire les travaux de la World Meteorological Organization (WMO) : entre 1970 et 2021, les catastrophes hydrométéorologiques ont fait plus de 2 millions de morts et causé 4 300 milliards de dollars de dégâts. Les pertes économiques ont été multipliées par huit au cours des cinquante dernières années. Ces chiffres ne sont pas des projections, ce sont les bilans du passé récent.

L’addition, tôt ou tard, sera payée collectivement

Si les États étaient un tant soit peu sérieux, ils adopteraient trois mesures immédiates : rendre les contributions obligatoires et proportionnelles aux émissions historiques ; financer exclusivement par des dons, pas des prêts ; mettre les pays vulnérables au cœur de la gouvernance du fonds. Rien de cela n’est impossible. Tout est refusé.

La vérité, c’est que le système actuel organise méthodiquement la faillite des pays les plus vulnérables. On leur demande d’être résilients alors qu’on les prive des moyens de le devenir. On leur demande de reconstruire alors que les reconstructions sont balayées l’année suivante par un cyclone amplifié par le réchauffement.

Un jour ou l’autre, il faudra affronter cette équation. On peut différer les versements, retarder les décisions, maquiller les rapports. Mais il est impossible de repousser éternellement la réalité. Si les pays riches ne paient pas maintenant, ils paieront plus tard. Beaucoup plus cher. Parce que la crise climatique envoie directement l’addition.

(Photo Sue McIntyre, USAID – CC)

Notes :
 1 – World Weather Attribution, Extreme Weather In 2024.
 2 – UNFCCC — Pledges to the Loss and Damage Fund.
 3 –  UNEP — Adaptation Gap Report 2023.

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