Agriculture : une autre gestion de l’eau est possible
Les tensions sont de plus en plus vives autour de l’or bleu, notamment avec les projets de méga-bassines. Face à cette problématique, la Confédération paysanne propose une vision radicalement différente, fondée sur la justice écologique et la souveraineté alimentaire. Gros plan sur une vision de l’agriculture inspirante.
Alors que les sécheresses à répétition deviennent la norme, y compris en hiver, que les nappes phréatiques peinent à se recharger et que les conflits d’usage se multiplient autour de la ressource en eau, un mot d’ordre s’impose : repenser en profondeur notre rapport à l’eau en agriculture. Face à l’accélération du changement climatique, la Confédération paysanne propose depuis 2023, sous la forme d’un guide des bonnes pratiques, une alternative cohérente, écologique et démocratique à la fuite en avant incarnée par les méga-bassines.
Ces vastes retenues d’eau, parfois plus grandes que des stades, sont présentées par leurs promoteurs comme des solutions de substitution censées prélever l’eau des nappes en hiver pour la restituer en été. Mais derrière cette promesse se cache une réalité plus dérangeante.
Une solution inefficace et socialement injuste
Loin d’être remplies d’eau excédentaire ou de pluie, les méga-bassines sont pour la plupart alimentées par pompage dans les nappes et les rivières. Résultat : elles empêchent la recharge naturelle des milieux aquatiques, assèchent les zones humides, menacent l’agriculture pluviale et détériorent la biodiversité. Leur conception même — vastes surfaces à ciel ouvert, souvent bâchées de plastique noir — aggrave encore leur inefficacité. En période de forte chaleur, ces réservoirs exposés subissent une évaporation massive : jusqu’à 60 % de l’eau stockée peut s’évanouir dans l’atmosphère avant même d’être utilisée.
Pire encore, ces ouvrages sont conçus pour un usage restreint à une minorité d’exploitations agricoles, souvent tournées vers l’exportation ou la méthanisation, au détriment des fermes paysannes et de la souveraineté alimentaire.
Pour la Confédération paysanne, cette logique est non seulement inefficace sur le long terme, mais profondément injuste. En concentrant l’accès à l’eau et les subventions publiques entre les mains de quelques-uns, les mégabassines entretiennent un modèle agricole industriel, dopé aux engrais et aux pesticides, qui compromet nos chances de résilience. Dans son guide, le syndicat agricole défend une autre voie, à la fois réaliste, économe et profondément ancrée dans les territoires.
Le sol, première réserve d’eau naturelle
Première boussole : le sol. Trop souvent négligé, il est pourtant un acteur-clé de la gestion de l’eau. Lorsqu’il est vivant, c’est-à-dire riche en matière organique, non compacté, couvert toute l’année, il devient un formidable réservoir naturel. L’eau y pénètre mieux, y circule plus lentement, y est stockée plus longtemps.
Des pratiques agricoles simples permettent d’atteindre cet objectif : maintenir une couverture végétale permanente pour éviter l’érosion, allonger les rotations de cultures pour diversifier les apports au sol, éviter le labour qui casse la structure du sol, réduire drastiquement l’usage d’intrants chimiques qui tuent la vie microbienne ou encore planter des arbres en agroforesterie pour favoriser l’ombre, l’humidité et la biodiversité(1).
Mais cette gestion écologique de l’eau ne peut se passer d’une remise à plat des priorités agricoles. Pour la Confédération paysanne, l’eau ne peut pas continuer à servir en priorité des cultures intensives destinées à l’exportation ou à l’alimentation des méthaniseurs. Elle doit d’abord être affectée à l’abreuvement des animaux, aux cultures alimentaires locales, aux fermes maraîchères qui créent de l’emploi et renforcent l’autonomie des territoires.
Cette hiérarchisation des usages rejoint le principe inscrit dans la loi française : l’eau est un patrimoine commun de la nation. Elle doit d’abord satisfaire les besoins essentiels, de la population comme du vivant.
Un partage équitable et mesuré de la ressource
Autre piste décisive, le plafonnement des volumes d’irrigation par ferme. Aujourd’hui, les plus gros consommateurs d’eau captent la majorité de la ressource disponible, au détriment des petites fermes et des jeunes installations. En fixant des seuils raisonnables en fonction du type de cultures, des conditions locales et des pratiques mises en œuvre, il est possible de garantir un partage équitable de l’eau.
Cela permettrait notamment d’éviter que des maraîchers ne se voient refuser l’accès à l’irrigation pendant que des exploitations de maïs continuent de pomper massivement, même en période de sécheresse.
Enfin, le guide plaide pour que le stockage de l’eau, s’il est nécessaire, se fasse de manière mesurée et intelligente. Il est possible de stocker l’eau de pluie sur les toitures agricoles, de créer des retenues collinaires perméables qui respectent les sols, ou encore de mutualiser les systèmes à l’échelle d’un bassin versant pour éviter les conflits d’usage. Ce stockage ne doit être envisagé qu’en dernier recours, et non comme un modèle généralisable, et encore moins comme une arme politique de conquête foncière.

La culture du maïs, qui est principalement exportée, représente à elle seule 25% de la consommation d’eau en France(2).
(Photo Pxhere-CC)
Derrière ces propositions se dessine une philosophie : celle d’un cycle de l’eau respecté, d’une agriculture relocalisée et d’une gouvernance démocratique de la ressource. Car l’autre combat du guide porte sur les instances décisionnelles, aujourd’hui dominées par des structures peu représentatives, comme les chambres d’agriculture ou les OUGC (Organismes uniques de gestion collective), qui gèrent les autorisations de pompage. Trop souvent, la voix des petites fermes, des nouvelles installations ou des agricultures paysannes y est absente.
Pour une politique publique de l’eau au service du vivant
Pour sortir de l’impasse, la Confédération paysanne appelle à refonder la gouvernance de l’eau, à équilibrer la composition des comités, à redonner du pouvoir aux citoyens et aux paysans qui défendent une agriculture vivable. Elle propose aussi de réorienter les financements publics vers les pratiques vertueuses et les dispositifs de stockage respectueux des écosystèmes. Car si la crise de l’eau est une crise écologique, elle est aussi une crise politique.
À travers ce guide, la Confédération paysanne ne se contente pas de critiquer. Elle dessine les contours d’une transformation profonde de l’agriculture, capable de faire face aux sécheresses qui s’annoncent sans sacrifier la planète ni les solidarités. Car elle en est persuadée, une gestion paysanne de l’eau est possible.
(Photo du haut : Sheila Sund, CC)
(1) Côté pratiques agricoles, la couverture végétale permanente consiste à maintenir le sol toujours couvert (par des plantes ou des résidus végétaux) pour limiter l’évaporation, éviter l’érosion et favoriser la vie microbienne. Les rotations longues diversifient les cultures sur plusieurs années pour rompre les cycles des maladies, enrichir le sol et réduire les besoins en intrants. L’agroforesterie associe arbres et cultures ou élevage pour créer un microclimat, retenir l’eau et abriter la biodiversité. Le non-labour préserve la structure du sol, ce qui améliore l’infiltration de l’eau. Enfin, la réduction des intrants chimiques vise à protéger la vie du sol et limiter la pollution des eaux. Ensemble, ces pratiques permettent de restaurer un cycle de l’eau durable, enraciné dans le vivant.
(2) A lire, l’article de Basta: Accro au maïs, la France subventionne un modèle agricole gourmand en eau, et celui du Monde : L’irrigation du maïs représente-t-elle un quart de l’eau douce consommée en France ?