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Airbnb, l’accélérateur de la crise du logement

Airbnb n’est plus la simple plateforme conviviale qui permettait à quelques particuliers de louer leur appartement à des voyageurs. En une décennie, l’entreprise californienne est devenue un acteur central du marché immobilier, au point d’influer directement sur les loyers, les prix de vente et la disponibilité des logements.

Près d’un demi-million : c’est le nombre de logements disponibles à la location touristique entre particuliers sur Airbnb en France en 2023. Un chiffre qui fait de l’Hexagone le premier marché européen de la plateforme d’hébergement touristique créée en 2008. Présente dans 220 pays, elle est désormais omniprésente dans les zones touristiques françaises, mais sa concentration varie fortement selon les territoires. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur arrive en tête avec environ 137 700 annonces, suivie de l’Occitanie(100 000,) puis de l’Auvergne-Rhône-Alpes( 97 000) et de la Nouvelle-Aquitaine ( 83 000). Paris intra muros, après un pic de 98 000 locations pendant les Jeux olympiques, comptait tout de même près de 90 000 offres fin 2024 1. Le niveau habituel s’établit aux environs de 60 000.

Deux France

Ces volumes prennent tout leur sens lorsqu’on les compare au parc global de logements. En PACA, plus de 4 % du parc est aujourd’hui absorbé par Airbnb. L’Occitanie en compte un peu plus de 3,2 %, la Nouvelle-Aquitaine et l’Auvergne-Rhône-Alpes autour de 2,3 %. Paris concentre une part significative des logements Airbnb, avec une proportion moyenne estimée entre 2,5 % et 7 %, pouvant atteindre 20 % dans certains quartiers centraux, comme Montmartre ou le Marais. En revanche, l’Île-de-France hors capitale affiche des taux beaucoup plus faibles, généralement inférieurs à 2 %, parfois jusqu’à 0,6 % en grande couronne. 

Cette répartition met en lumière une fracture nette. Dans les zones touristiques littorales et alpines, l’effet Airbnb est structurel. Quand plusieurs pourcents du parc immobilier basculent dans la location saisonnière, les jeunes actifs, les saisonniers et les ménages modestes se retrouvent directement exclus du marché résidentiel. À cela s’ajoute une pression haussière sur les prix de vente, stimulée par des investisseurs qui achètent désormais des biens uniquement pour les proposer à la location sur la plateforme.

Le marché locatif sous tension

Entre 2011 et 2016, Paris a perdu environ 20 000 logements2 au profit de la location touristique. Moins de biens disponibles signifie mécaniquement plus de concurrence pour les locataires et des loyers à la hausse. Le même scénario se reproduit à Lyon, Bordeaux, Nice ou Marseille : plus un quartier attire les voyageurs, plus il se vide de logements permanents.

L’effet dépasse la location. Sur le marché de la vente, de nombreux investisseurs achètent désormais des appartements spécifiquement pour les rentabiliser via Airbnb. Certaines études estiment que la multiplication des locations touristiques explique entre 10 et 20 % de la hausse des loyers dans certains quartiers de Paris3 et Marseille. À terme, c’est une gentrification accélérée qui s’installe : les habitants sont remplacés par des touristes, les commerces de proximité par des enseignes dédiées à la consommation rapide et l’identité des quartiers s’efface. Les boîtes à clés fleurissent de façon anarchique. Sans parler de la rotation constante des touristes qui génèrent des va-et-vient d’inconnus, des bruits de valises roulantes à toute heure ou des fêtes à des horaires indus.

Qu’est-ce qu’Airbnb ?
Airbnb est une plateforme américaine créée en 2008 à San Francisco par Brian Chesky, Joe Gebbia et Nathan Blecharczyk.
Le nom vient de Air Bed and Breakfast (littéralement « matelas gonflable et petit-déjeuner »), car l’idée initiale était d’héberger des voyageurs sur des matelas gonflables dans un salon.
Aujourd’hui, c’est l’un des principaux acteurs mondiaux de la location de courte durée entre particuliers.

Quelques chiffres clés (2024)

Présence dans plus de 220 pays et régions.
Plus de 7 millions d’annonces dans le monde.
Environ 150 millions d’utilisateurs.

Un encadrement encore imparfait

Face à cette transformation, l’État a renforcé le cadre légal et fiscal. Les revenus tirés d’Airbnb doivent désormais être déclarés dès le premier euro comme des bénéfices commerciaux. Jusqu’à 15 000 euros de revenus annuels, un régime simplifié permet un abattement forfaitaire. Au-delà, les propriétaires doivent tenir une comptabilité précise et déclarer leurs charges. Ceux qui dépassent 23 000 euros par an doivent en outre cotiser au régime des indépendants.

Les grandes villes tentent également de reprendre la main. À Paris, depuis 2025, une résidence principale ne peut être louée plus de 90 jours par an. Lyon, Bordeaux, Nice ou Annecy ont instauré des quotas, des zonages ou des obligations de déclaration. Ces règles visent à freiner la transformation massive de logements en meublés touristiques, mais leur efficacité reste relative : le contrôle de dizaines de milliers d’annonces en ligne demeure une tâche quasi impossible.

À cela s’ajoute une distorsion de concurrence dénoncée par les hôteliers. Ces derniers doivent respecter des normes strictes en matière de sécurité, d’accessibilité ou de fiscalité, tandis que de nombreux hôtes Airbnb échappent encore à certains contrôles. Même si la collecte de la taxe de séjour a été généralisée, le différentiel de charges et de contraintes réglementaires reste considérable, nourrissant un sentiment d’injustice dans le secteur hôtelier.

Un modèle en débat

Le dilemme est désormais posé : Airbnb alimente une économie touristique florissante, génère des revenus d’appoint pour de nombreux particuliers et contribue à l’attractivité des territoires. Mais il accentue la pénurie de logements, alimente la flambée des loyers et transforme la vie quotidienne des habitants des grandes villes comme des stations balnéaires.

De nouvelles pistes sont régulièrement discutées, de la réduction du nombre de jours autorisés à l’interdiction de louer des résidences secondaires dans les zones les plus saturées. La régulation d’Airbnb reste donc un chantier ouvert. En toile de fond, une question essentielle : comment concilier le dynamisme touristique et le droit fondamental au logement ?

Notes
1 Chiffres de la Ville de Paris.
2 Études forum Grand Paris


Zoom sur cinq villes françaises

Airbnb n’impacte pas toutes les villes de la même manière. Certaines communes touristiques ou métropoles ont déjà pris des mesures fortes pour tenter de limiter ses effets.

Paris

Avec près de 90 000 annonces recensées en décembre 2024, Paris est le terrain de jeu principal d’Airbnb en France. Près de 90 % concernent des logements entiers, ce qui réduit d’autant l’offre disponible pour les habitants. Depuis le 1er janvier 2025, la location d’une résidence principale en meublé touristique est limité à90 jours par an au lieu de 120 jusqu’alors. Les boîtes à clés sont interdites sur l’espace public et doivent être retirées sous peine de destruction. Malgré cela, plusieurs dizaines de milliers d’annonces restent potentiellement illégales.

Lyon

La capitale des Gaules a adopté en 2018 un plafond de 120 jours et exige une déclaration obligatoire en mairie. Les autorités lyonnaises observent une tension croissante dans les quartiers centraux (Presqu’île, Croix-Rousse), où la multiplication des locations touristiques pèse sur l’accessibilité au logement étudiant et familial.

Bordeaux

Dans la métropole girondine, la flambée des loyers est en partie attribuée à Airbnb. La ville a instauré un système de zones où les règles varient selon la tension du marché. Le dispositif prévoit un contrôle renforcé dans l’hypercentre, où la transformation de résidences secondaires en Airbnb est désormais limitée.

Nice

La Côte d’Azur, avec ses 137 700 annonces en région PACA, est l’un des points névralgiques du phénomène. À Nice, la municipalité impose un numéro d’enregistrement obligatoire pour toute annonce et a renforcé ses contrôles afin de sanctionner les multipropriétaires qui contournent la réglementation.

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