Black Friday, les sept raisons de résister
Résister au Black Friday n’a rien à voir avec la morale individuelle. C’est refuser une logique qui produit des déchets en masse, surcharge les travailleurs, exploite la précarité et renforce la domination des géants du commerce. Au fond, ce jour n’est pas une exception : c’est la version accélérée d’un modèle dont il faudrait se libérer.
- La livraison express fait exploser les émissions, bien plus que les achats eux-mêmes
Le Black Friday déclenche un pic massif d’expéditions urgentes, parce que les plateformes misent sur la vitesse pour pousser à l’achat. Cette urgence logistique, bien plus que l’acte de consommation, creuse l’empreinte carbone. Une livraison rapide peut émettre jusqu’à quatre fois plus de CO₂ qu’une livraison standard. Pendant ces quelques jours, les entrepôts tournent en flux tendus, les camionnettes multiplient les rotations, des vols cargo sont affrétés en urgence. Selon l’Ademe, le transport représente déjà près du quart des émissions de l’e-commerce, durant le Black Friday, cette part explose.
- Un tiers des achats sont renvoyés, une grande partie est détruite
Près d’un tiers des vêtements, des chaussures ou des petits appareils commandés en ligne sont renvoyés. Le consommateur imagine un retour en rayon. La réalité est tout autre. Contrôler, vérifier ou reconditionner un produit coûte cher : pour de nombreux articles à bas prix, il est plus rentable de les écarter que de les remettre en vente. Selon l’Agence européenne de l’environnement, environ 20 % des vêtements et 30 % des chaussures achetés en ligne dans l’Union européenne sont retournés, et près d’un tiers de ces retours finissent détruits. Au total, entre 264 000 et 594 000 tonnes de textiles neufs (retours et invendus) sont ainsi éliminés chaque année en Europe, sans avoir été portés ne serait-ce qu’une seule fois. Sous couvert de « satisfait ou remboursé », une partie du commerce en ligne s’est habituée à détruire du neuf, loin des regards.
- Le déstockage devient un débarras globalisé
Quand les stocks « promotionnels » ne trouvent pas preneur, ils ne reprennent pas place les rayons. Ils sont exportés. Une proportion importante est expédiée vers des pays qui n’ont ni infrastructures de recyclage ni filières de traitement, transformant la surconsommation du Nord en fardeau pour le Sud. Au Chili, dans le désert d’Atacama, des montagnes de vêtements, souvent neufs, forment des décharges à ciel ouvert. Au Ghana, sur le marché de Kantamanto, près de 40 % des habits importés finissent immédiatement en déchets, soit des millions de pièces chaque semaine. Et au Pakistan, une partie des surplus textiles européens est écoulée dans les ports de Karachi puis abandonnée dans des décharges informelles, où les fibres synthétiques brûlent ou se fragmentent en microplastiques. Le Black Friday alimente cette filière discrète mais massive : nos « bonnes affaires » deviennent ailleurs des pollutions durables.
- Les promotions reposent sur des produits conçus pour durer moins
Pour afficher des rabais spectaculaires, de nombreuses enseignes importent des séries spéciales fabriquées à bas coût. La baisse de prix ne se fait pas sur la marge, mais sur la qualité. Plastiques plus fragiles, textiles plus fins, électronique plus vulnérable : ces articles sont conçus pour être vendus, pas pour durer. Les associations de consommateurs constatent régulièrement des durées de vie réduites de 20 à 30 % sur ces séries promotionnelles. L’obsolescence devient un paramètre assumé pour permettre de telles réductions.
- Le Black Friday prospère sur la précarité, pas sur l’hyperconsommation
Ce ne sont pas les ménages les plus aisés qui remplissent les paniers du Black Friday. Pour certains foyers modestes, c’est parfois le seul moment où un manteau, un lave-linge ou un ordinateur deviennent accessibles. Le problème n’est pas l’achat en lui-même : c’est d’être contraint d’attendre un week-end de remises pour accéder à l’essentiel. Cette dépendance a pourtant des effets négatifs. Une partie des articles vendus pendant le Black Friday est de qualité inférieure, fabriquée spécialement pour les promotions. Moins chers à l’achat, mais plus vite remplacés : à long terme, les foyers modestes paient davantage. Les fausses promotions sont fréquentes. Beaucoup de prix sont gonflés en amont, ce qui transforme l’économie apparente en illusion. Le Black Friday entraîne aussi des risques budgétaires : concentration des achats, pression marketing, recours au paiement fractionné ou au crédit qui renchérit le coût réel. Enfin, en renforçant Amazon, Shein ou Cdiscount au détriment des commerces de proximité, il réduit les alternatives pour les familles qui ont déjà peu de marge de manœuvre.
- Le recyclage ne compense rien : l’impact écologique est dans la production
Le recyclage est souvent utilisé comme alibi. Mais l’essentiel du coût écologique se joue en amont : extraction, fabrication, transport. Recycler n’efface rien. Dans le textile, moins de 1 % des fibres collectées redeviennent un vêtement. Les filières saturent dès les premiers jours de soldes. Une partie des « dons » ou des invendus « recyclés » finit en réalité exportée dans des conteneurs, avant d’être abandonnée. Le recyclage, dans ce modèle, sert surtout à déculpabiliser la surproduction.
- Le Black Friday renforce les géants du commerce et fragilise tout le reste
Amazon, Shein et les grandes plateformes utilisent cet événement comme une arme stratégique. Elles cassent les prix, parfois à perte, pour absorber les parts de marché. Les petits commerces ne peuvent ni suivre les remises, ni assumer les coûts logistiques. D’année en année, le Black Friday concentre un peu plus le marché entre quelques acteurs mondialisés. Le « bon plan » immédiat masque un coût collectif : l’affaiblissement du tissu économique local.
Les alternatives : sortir de l’achat contraint
Résister au Black Friday ne rime pas avec privation. Il s’agit plutôt de sortir d’un modèle où l’achat se fait sous pression et où le prix devient le seul critère.
🟥 Soutenir le local
Acheter auprès des commerces de proximité, artisans ou réparateurs, c’est réduire l’empreinte carbone liée au transport et faire vivre une économie qui paie ses impôts et ses salariés sur le territoire.
🟥Privilégier l’occasion et la réparabilité
La seconde main, qu’elle concerne des vêtements, des meubles ou des appareils ménagers, reste l’alternative la plus efficace pour réduire l’extraction de matières premières. Et lorsqu’un achat neuf est nécessaire, choisir des produits réparables allonge leur durée de vie et limite la dépendance aux promotions.
🟥 Retrouver le temps long
Le Black Friday joue sur l’urgence. Choisir de ralentir, de comparer, d’attendre, c’est reprendre le contrôle sur ses achats et éviter les fausses bonnes affaires.
Les contre mouvements
🟩 Green Friday
Né en France en 2017, le Green Friday propose une alternative au Black Friday. Les entreprises participantes s’engagent à ne pas pratiquer de promotions agressives et à reverser une partie de leur chiffre d’affaires (souvent 10 %) à des associations environnementales ou sociales.
L’initiative met en avant la réparation, le réemploi, l’économie circulaire et la consommation raisonnée. Plus de 500 organisations y participent aujourd’hui, des réseaux Emmaüs aux magasins éco-responsables. Une manière de rappeler que la meilleure remise reste celle qui n’encourage pas à produire davantage.
🟥 Buy Nothing Day
Créé en 1992 et popularisé par le collectif canadien Adbusters, le Buy Nothing Day invite à ne rien acheter pendant 24 heures. Cette « grève de la consommation », organisée le même jour que le Black Friday, vise à montrer que l’acte d’achat n’est pas un automatisme. Dans plusieurs pays, il donne lieu à des actions symboliques : trocs gratuits, ateliers de réparation, opérations de partage.
L’objectif n’est pas la privation, mais la prise de conscience : sortir du réflexe d’achat et mesurer notre dépendance au consumérisme.
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