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Chat Control : l’Europe veut-elle instaurer une surveillance numérique de masse ?

Sous prétexte de protéger les enfants, Bruxelles prépare une loi qui permettrait un contrôle des échanges numériques, notamment via les réseaux sociaux. Un outil qui pourrait devenir une arme politique redoutable.

Imaginez que chaque mot que vous tapez, chaque photo que vous envoyez, chaque fichier que vous partagez soit scanné automatiquement. Sans mandat, sans suspicion préalable, sans que vous ayez rien à vous reprocher. C’est pourtant exactement ce que prépare l’Union européenne avec le projet de règlement « Chat Control » 1. Le texte, appelé CSAM Regulation (pour « Child Sexual Abuse Material »), a été présenté par la Commission européenne dès mai 2022. Il a pour objectif d’obliger les grandes plateformes (messageries, réseaux sociaux, services cloud) à détecter et à signaler les contenus pédopornographiques et les tentatives de « grooming 2 » envers les mineurs. Sous couvert de cette lutte on ne peut plus louable, Bruxelles s’apprête à ouvrir la boîte de Pandore d’une surveillance généralisée digne des pires dystopies.

Le grand saut vers Big Brother ?

Le texte prévoit ni plus ni moins que la possibilité d’analyser les communications des 450 millions de citoyens européens. Y compris celles qui sont chiffrées de bout en bout. Les plateformes seraient obligées de mettre en place du « client-side scanning », c’est-à-dire un contrôle, directement sur votre appareil, par une IA avant que le message ne parte, détruisant ainsi le principe même du chiffrement 3. En clair : adieu la confidentialité, bonjour l’espionnage permanent.

On nous dit que c’est pour protéger les enfants. Mais la vérité, c’est que nombre d’experts en cybersécurité doutent de l’efficacité de ces dispositifs 4. Pire, ils risquent de fragiliser la sécurité globale et d’exposer encore davantage les mineurs en forçant les services à créer des portes dérobées, c’est-à-dire de nouveaux accès à votre smartphone ou à votre ordinateur indispensables au fonctionnement du dispositif, mais qui sont exploitables par des cybercriminels. Et comme si ça ne suffisait pas, les algorithmes font régulièrement des erreurs : demain, une photo de vacances pourrait suffire à déclencher une enquête injustifiée contre vous.

La fin de l’anonymat et du secret professionnel

Les conséquences vont bien au-delà du simple numérique. Le projet prévoit une obligation de vérification de l’âge, avec le risque de devoir prouver son identité en ligne,  ce qui signifierait la fin de l’anonymat. Le secret professionnel, pilier de l’État de droit, pourrait être remis en question puisque les communications des médecins, des avocats et des journalistes seraient, comme les autres, pourraient être passées au crible par les systèmes de détection.

On touche ici aux articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, qui garantissent la vie privée et la protection des données personnelles. Plusieurs organismes, comme le service juridique du Conseil de l’UE ou le contrôleur européen de la protection des données ont d’ailleurs pointé de possibles violations de ces articles.

Si ce texte passe, il créera un précédent mondial. D’autres pays, beaucoup moins démocratiques, s’empresseront de copier ce modèle en se retranchant derrière l’exemple européen.

Un vote décisif en octobre

Et c’est bien là que le danger se précise. Aujourd’hui, le projet est poussé par une majorité d’États membres, dont la France, l’Italie et l’Espagne. Les pays opposés – Autriche, Pays-Bas, Pologne, Finlande – restent minoritaires. L’Allemagne, encore hésitante, détient la clé du prochain vote prévu le 14 octobre 2025, sous présidence danoise 5. Si Berlin bascule, le règlement sera adopté.

Or, qui peut garantir que cet arsenal ne sera pas utilisé demain par une extrême droite arrivée au pouvoir en France, en Italie ou ailleurs ? Une fois l’outil en place, il ne restera qu’à en changer la cible : aujourd’hui la lutte contre la pédocriminalité, demain la traque des opposants politiques, des syndicats, des journalistes, des citoyens critiques.

Une prison numérique en construction

Le débat ne devrait même pas exister : un État qui surveille en permanence ses citoyens n’est pas une démocratie, mais une prison numérique 6. Ce n’est pas une protection, c’est une mise sous tutelle. C’est la promesse d’un avenir où chaque clic devient une preuve potentielle, où la présomption d’innocence est remplacée par la suspicion permanente.

Il reste quelques jours pour agir. Des plateformes citoyennes comme fightchatcontrol.eu appellent à contacter les eurodéputés pour bloquer ce projet liberticide. Car il ne s’agit pas seulement de protéger nos données : il s’agit de défendre nos libertés, notre droit à communiquer librement, notre capacité à résister.

Notes
1 – Fight Chat Control – Stopper la surveillance de masse en Europe
2 – Le grooming désigne le processus par lequel un adulte aborde intentionnellement des mineurs et les manipule à des fins sexuelles.
3 – Cointelegraph – EU chat control hinges on Germany’s decision
4  – Les associations (European Digital Rights, Privacy International) et même le Comité européen de la protection des données (EDPB) ont critiqué ces dispositifs, parce que jugés techniquement peu fiables et dangereux pour la sécurité globale 
 5 – Patrick Breyer (député européen) – Dossier Chat Control
 6 – Privacy Guides – Chat Control must be stopped

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