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Comment la droite a sacrifié l’héritage gaulliste sur l’autel des idées d’extrême droite

Pour la première fois, ce jeudi à l’Assemblée nationale, un texte du Rassemblement national à portée raciste a été voté grâce aux voix de la droite dite « républicaine ». Ce glissement idéologique, amorcé sous Sarkozy et achevé par Ciotti et Retailleau, révèle la mutation profonde d’un mouvement qui a oublié la boussole gaulliste pour emprunter à ceux qu’il prétendait combattre.

Il fut un temps où s’allier au Front national relevait du sacrilège. La droite classique s’en défendait avec indignation, jurant que jamais elle ne pactiserait avec « l’extrême ». Aujourd’hui, ce tabou n’existe plus. Hier, à l’Assemblée nationale, elle a même permis à un texte du Rassemblement national remettant en cause les accords franco-algériens de 1968 d’être voté. Les Républicains (LR) adoptent désormais sans complexe une bonne part du logiciel idéologique du Rassemblement national (RN). 

Le tournant s’est joué sur les terrains les plus explosifs : immigration, sécurité, identité nationale. Autrefois chasse gardée de l’extrême droite, ces thèmes sont devenus le cœur battant du discours LR. Quand Marine Le Pen salue en décembre 2023 l’adoption d’une loi sur l’immigration comme une« victoire idéologique » de son parti, c’est un constat lucide : le RN n’a même plus besoin de gouverner pour imposer son agenda 2.

Les mots, désormais, se confondent. Quand Éric Ciotti dénonce le « laxisme migratoire » ou promet de « rendre la France aux Français », il ne fait que reprendre les formules forgées à l’extrême droite. Ce brouillage n’est plus accidentel,  il est devenu stratégie.

L’union des droites, hier impensable, aujourd’hui banale

En 2024, Éric Ciotti a d’ailleurs franchi ce qui a longtemps été considéré comme une ligne rouge. Il fonde l’Union des droites pour la République (UDR), un mouvement explicitement conçu pour rassembler la droite classique et le RN 3. Sous cette bannière, dix-sept députés sont élus. Pour la première fois sous la Ve République, un courant issu de LR s’associe ouvertement à l’extrême droite.

Ce n’est plus une dérive individuelle, c’est une recomposition assumée. En 2025, Le Monde rapporte même que si Ciotti peine certes à « vendre son union » au reste de LR, il continue d’incarner « la ligne majoritaire des militants » 4. Une ligne qui a choisi la radicalité plutôt que la nuance.

Pourquoi ce virage ? Parce que la droite traditionnelle s’est retrouvée étranglée entre un centre macroniste insaisissable et un RN conquérant. Faute de projet social, elle a durci son discours pour exister. Le résultat : un mimétisme inquiétant, où la « droite républicaine » devient le marchepied électoral de l’extrême droite.

Ces «  Gaullistes » qui ont trahi l’esprit de De Gaulle

Ce paradoxe ferait sourire s’il n’était pas tragique : tout le monde, de Marine Le Pen à Bruno Retailleau, se réclame désormais du Général. Le gaullisme est partout, le gaullisme véritable nulle part 6.

L’historien et journaliste Aurélien Bernier le rappelle dansLe Monde diplomatique : De Gaulle avait bâti une doctrine autour de deux principes fondateurs, à savoir la souveraineté nationale et la participation. Le premier reposait sur une France indépendante des blocs, refusant la vassalisation et le supranationalisme européen. Le second visait à associer les citoyens et les travailleurs aux décisions publiques et économiques.

Ces deux piliers ont été méthodiquement abattus. Sous Jacques Chirac, le RPR adopte dès 1983 une orientation néolibérale et pro-européenne, soutenant le traité de Maastricht. Le dirigisme gaullien, l’État stratège, la planification : tout cela devient archaïque. Puis Nicolas Sarkozy parachève la rupture en réintégrant le commandement intégré de l’OTAN et en faisant adopter le traité de Lisbonne sans référendum populaire. De Gaulle, qui démissionna en 1969 après un vote perdu, n’aurait pas supporté un tel mépris de la souveraineté du peuple.

Pendant ce temps, le RN s’approprie cyniquement la figure du Général. Marine Le Pen ose déclarer que « les seuls à défendre la Ve République sont les députés du RN ». Une imposture historique. Le Front national fut fondé en 1972 par d’anciens membres de l’OAS et des nostalgiques de l’Algérie française, qui avaient tenté d’assassiner De Gaulle 7. Leurs héritiers politiques prétendent aujourd’hui marcher dans ses pas.

Le naufrage moral de la droite

La vérité est brutale : en courant après le RN, la droite française a renié son histoire. Elle a sacrifié l’indépendance au profit de la posture identitaire, troqué le patriotisme social du gaullisme contre un nationalisme de ressentiment. Ce qui reste de LR ressemble à une coquille vide, avec des drapeaux tricolores brandis par réflexe et une rhétorique martiale déconnectée de toute pensée politique.

Pire encore, cette « droitisation » a rendu le RN fréquentable. Depuis Sarkozy, la droite a œuvré, consciemment ou non, à la normalisation de l’extrême droite. En reprenant ses thèmes, elle en a adouci la brutalité, la rendant acceptable pour l’opinion. Le RN n’a même plus besoin de se « dédiaboliser », il lui suffit d’attendre que la droite finisse de se confondre avec lui.

De Gaulle parlait de « grandeur » et de « liberté ». Aujourd’hui, ces mots sonnent creux. Le camp qui s’en réclame a troqué la hauteur de vue pour les calculs électoraux. Le danger n’est pas seulement la victoire du RN, c’est son triomphe culturel. Une victoire idéologique que De Gaulle, l’homme du refus, n’aurait jamais pu accepter.

Notes
1 – Le groupe d’Edouard Philippe, Horizon, composé principalement d’anciens LR, et l’étonnante absence de Gabriel Attal ainsi que d’une bonne partie de ses députés ont aussi permis l’adoption du texte, qui n’est cependant pas contraignant pour le gouvernement.
 2 – Projet de loi « immigration » : le baiser de la mort de Marine Le Pen, qui revendique une « victoire idéologique », Le Monde, 20 décembre 2023.
 3 – Union des droites : à quoi servent Éric Ciotti et ses députés de l’UDR, Marianne, 16 octobre 2024.
 4 – Eric Ciotti peine à vendre son union des droites aux Républicains, un an après son alliance avec le RN, Le Monde, 11 juin 2025.
 5 – Aurélien Bernier, « De Gaulle partout, gaullisme nulle part », Le Monde diplomatique, octobre 2025.
 6 – Crise de 2024 au parti Les Républicains, Wikipédia.
 7 – Les origines colonialistes de l’extrême droite française : la filière OAS – Front national, Histoire coloniale et postcoloniale, 15 mars 2025.

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