Devoir de vigilance : l’Europe recule face aux lobbies, Macron et Merz en porte-voix du cynisme
Adoptée en 2024 après un bras de fer de plusieurs années, la directive européenne sur le devoir de vigilance (CS3D) devait enfin imposer aux grandes entreprises une responsabilité réelle sur les droits humains et l’environnement. Mais avant même son entrée en vigueur, ce texte historique vacille sous les coups répétés des gouvernements français et allemand.
C’est devenu un classique : l’Europe légifère, les lobbies s’agitent et les chefs d’État reculent. Derniers en date : Emmanuel Macron et Friedrich Merz, le président français et le chancelier allemand, orchestrent une campagne de démolition d’un texte pourtant minimaliste. Macron dénonce des « contraintes » qui pèseraient injustement sur les entreprises européennes face à la concurrence chinoise et américaine. Traduction : il préfère la loi de la jungle à la justice sociale et environnementale.
Le président français ne cache plus sa préférence pour un modèle de croissance décomplexé où les « standards élevés » deviennent un fardeau à éliminer(1). Quant à Merz, patron de la CDU allemande, il va droit au but : supprimer purement et simplement la directive(2). Fini les faux-semblants.
Une directive déjà édulcorée
La CS3D, dans sa version adoptée, ne s’attaque qu’aux très grandes sociétés (plus de 5 000 salariés(3), chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros à partir de 2027). Et encore, elle a déjà été repoussée à 2028 sous pression française. Pourtant, elle ne fait que demander aux entreprises de cartographier les risques de travail forcé, d’exploitation infantile, de pollution ou de déforestation dans leurs chaînes de valeur. Autrement dit, la moindre des choses.
Mais même cela, c’est déjà trop pour les défenseurs d’un capitalisme dérégulé. Les sanctions ? Jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires mondial – une menace jugée insupportable par les géants industriels. Les contrôles ? À la discrétion des États membres. Autant dire que sans volonté politique, la directive restera un tigre de papier.
Douze ONG et organisations de défense des droits, parmi lesquelles Oxfam, Attac et Amnesty France, ont vivement réagi mardi dans un communiqué intitulé : « Emmanuel Macron balaye les droits humains et le climat d’un revers de main ». Elles dénoncent ainsi le volte-face du chef de l’État : « En déclarant vouloir synchroniser les actions de l’UE et des États-Unis en matière de réglementation, Emmanuel Macron attaque frontalement un texte crucial pour responsabiliser les multinationales et que son parti avait pourtant soutenu. Ce revirement acte un alignement préoccupant de la France avec les politiques brutales du président américain Donald Trump, faisant aussi écho à la position du chancelier allemand Friedrich Merz. (…)La posture du Président français répond aux désirs de Jordan Bardella, dont le parti fait campagne depuis des mois pour abroger le devoir de vigilance et le Pacte Vert européen. »
Vers une Europe à deux vitesses morales ?
Pendant que les canicules s’enchaînent et que les violations des droits humains perdurent, les dirigeants européens préfèrent donc cajoler les actionnaires. La France et l’Allemagne, censées porter l’ambition européenne, deviennent les fers de lance du détricotage. Au lieu de renforcer un socle commun de justice et de durabilité, elles choisissent de se soumettre à la logique du dumping social et environnemental.
Cette reculade interroge : que vaut encore l’engagement européen pour une économie durable si ses dirigeants plient à la première bourrasque néolibérale ? À force de compromis avec les lobbies, l’Europe risque de perdre sa boussole. La directive CS3D devait être un pas en avant. Elle pourrait devenir le symbole d’un continent qui abandonne, une fois de plus, ses principes à la porte des conseils d’administration.
(1) Emmanuel Macron, le lundi 19 mai, a déclaré devant les participants au sommet Choose France : « La CS3D et quelques autres régulations ne doivent pas être simplement repoussées d’un an mais écartées ».
(2) Le chancelier allemand, Friedrich Merz, a demandé à l’UE, le 9 mai dernier, de supprimer la directive, expliquant que son report n’était «pas une solution durable. La solution doit être de la supprimer».(3) L’application de la directive est progressive selon la taille et le chiffre d’affaires.