Drame dans l’Aude : l’incendie qui révèle nos failles face au changement climatique
Alors que plus de 16 000 hectares de pinèdes sont partis en fumée dans l’Aude en quelques jours, que 36 habitations ont été détruites et qu’une femme de 65 ans a succombé aux flammes, la catastrophe remet en lumière l’impréparation de la France face aux feux de forêt.
L’incendie, parti le 5 août 2025 près de Ribaute, entre Carcassonne et Narbonne, aura ravagé au total plus de 16 000 hectares de végétation, soit une superficie supérieure à une fois et demie celle de la ville de Paris. Les flammes se sont propagées à la vitesse folle de 6 km/h en moyenne, parcourant 28 kilomètres dans les premières 24 heures. Le bilan fait état d’une femme décédée, de 23 blessés dont 18 sapeurs-pompiers.
Le sinistre, décrit par le Premier ministre comme « une catastrophe d’ampleur inédite », s’ajoute à une série de feux précoces déclenchés en juin et juillet dans l’Hérault, le Gard et les Bouches‑du‑Rhône, mobilisant simultanément des milliers de pompiers. Il rappelle les mégafeux de l’été 2022 en Gironde, où 30 000 hectares de forêt avaient brûlé et 50 000 personnes avaient été évacuées.
Les risques explosent avec le changement climatique
Le réchauffement climatique est le premier facteur qui nourrit cette prolifération d’incendies. Selon le Centre de ressources pour l’adaptation au changement climatique, la fréquence des sécheresses agricoles en France a doublé depuis les années 1960 et elle a triplé dans le Sud. L’augmentation des températures et la baisse des précipitations estivales accélèrent l’évaporation et assèchent les sols. À +2,7 °C en 2050, la sécheresse estivale gagnerait 24 jours en moyenne sur l’ensemble de la France, et la région méditerranéenne pourrait connaître jusqu’à 8 mois de sol sec par an à +4 °C1.
Les incendies ne sont plus cantonnés au cœur de l’été ni au seul sud de la France. En 2022, année record, 72 000 hectares2 de forêts avaient disparu et 90 départements avaient été touchés par au moins un feu majeur. Selon Météo France, le risque d’incendie sera multiplié par deux en nombre de jours à risque élevé et par quatre en superficie brûlée d’ici 2050. À la fin du siècle, la moitié nord du pays pourrait connaître les mêmes niveaux de risque que l’actuelle zone méditerranéenne.
Des moyens publics en décalage avec la gravité des menaces
Alors que la surface brûlée est six fois plus grande qu’en 2006, la flotte de bombardiers d’eau n’a pas augmenté depuis les années 2000. La France disposait encore récemment d’une douzaine de Canadair et est contrainte d’en louer chaque année. La location aurait coûté 106 millions d’euros en cinq ans2.
Parallèlement, 223 casernes de pompiers ont fermé entre 2017 et 2023 et certaines communes manquent même de points d’eau pour lutter contre les incendies. Cette austérité budgétaire rallonge les délais d’intervention et laisse les territoires démunis face aux mégafeux.
La création de pistes anti‑incendie et de coupures de combustible peut éviter des dégâts bien supérieurs aux coûts : un euro investi dans ces pistes permettrait d’en économiser 12 en dégâts évités. Or la prévention reste insuffisante. Les plans nationaux d’adaptation au changement climatique manquent de vision claire et ne répondent pas aux alertes réitérées par le Haut Conseil pour le climat et les ONG.
Nos pratiques amplifient la vulnérabilité
Les incendies ne se contentent pas d’être plus nombreux ; ils frappent des écosystèmes affaiblis par des choix humains. Dans les Landes, par exemple, le pin maritime a longtemps été planté en monoculture. Un rapport du Sénat3 avertit qu’il faut en finir avec cette méthode sur d’importantes surfaces : la résistance de la forêt passe par le mélange des essences, la création de discontinuités et l’aménagement de pare‑feux. La diversité des âges et des espèces – mêler résineux et feuillus – réduit la vulnérabilité au feu et favorise la résilience.
Le drainage des zones humides et la mise en culture intensive accroissent aussi la sécheresse des sols. La disparition de marais, de haies et de zones tampon prive les paysages de réservoirs d’humidité. Sur les terres agricoles, les labours profonds et la monoculture accélèrent le dessèchement et appauvrissent les sols. Une agriculture régénérative (agroforesterie, haies, cultures pérennes) permettrait au contraire de retenir l’eau, de restaurer les micro‑climats et de constituer des barrières naturelles aux flammes.
Les sénateurs soulignent également la nécessité de réintroduire le pastoralisme : l’élevage extensif maintient les sous‑bois ouverts et limite la propagation des incendies. Faute d’exploitants, cette pratique a décliné et n’est pas suffisamment soutenue par les fonds européens. Des contrats pluriannuels et des paiements pour services environnementaux pourraient encourager les éleveurs et recréer un tissu rural vivant.
Urbanisme et bétonisation : augmenter les interfaces à risque
L’étalement urbain en lisière de forêt multiplie les points d’ignition et complique les interventions. Un guide de construction durable rappelle que la densité des habitations et l’absence de zones coupe‑feu aggravent la propagation des incendies. Pour limiter l’effet domino, il faut prévoir un périmètre dégagé autour des bâtiments, maintenir des jardins « coupe‑feu » et utiliser des matériaux résistants aux flammes (béton bas carbone, fibre‑ciment, briques en terre cuite)4.
Au‑delà des maisons isolées, la France suit la trajectoire de la Californie : chaque année, de nouvelles constructions sont implantées aux abords des forêts, augmentant les interfaces « habitat‑forêt ». L’urbanisation croissante en zones boisées est un facteur clé de risque. Planifier différemment l’aménagement du territoire, interdire les lotissements en lisière de massif et respecter strictement les obligations de débroussaillage sont des mesures indispensables.
L’incendie dramatique qui a ravagé les Corbières n’est pas un simple fait divers : il révèle la vulnérabilité d’un territoire façonné par des décennies de monoculture, de bétonisation et de désengagement des services publics. Le changement climatique accélère et intensifie les feux, mais nos choix de gestion du territoire peuvent aggraver ou atténuer ces risques. Face à la multiplication des feux, c’est une autre gestion du vivant qu’il faut adopter, en urgence.
Notes
1 – Centre de ressources pour l’adaptation au changement climatique – dossier sécheresse et dossier feux de forêt : projections de Météo France sur le doublement du risque et la quadruple augmentation de la surface brûlée d’ici 2050.
2 – Oxfam France, multiplication des feux de forêt : superficie brûlée en 2024, mégafeux de 2022, évacuations, baisse des moyens et coûts de location des bombardiers.
3 -Rapport du Sénat « Feux de forêt et de végétation » : interdiction de la monoculture de pin maritime sur de grandes surfaces et nécessité de mélanger les essences ; réintroduction du pastoralisme et soutien financier à l’élevage extensif.
4 -Constructiondurable.net : importance de l’urbanisme, de l’espacement des habitations et des matériaux résistants pour réduire la propagation des incendies ; rappel du rôle aggravant de l’urbanisation en zone boisée.
Six mesures à adopter d’urgence : une autre gestion du vivant pour éviter les drames
Face à l’ampleur des incendies, il est urgent de repenser notre rapport au vivant. Quelques pistes se dessinent :
- Diversifier les forêts : planter des essences adaptées aux conditions locales, mélanger résineux et feuillus et créer des mosaïques d’âges pour éviter l’effet torche.
- Maintenir les zones humides et les haies : restaurer les marais, ruisseaux et prairies humides pour conserver des points d’humidité et freiner l’embrasement.
- Favoriser le pastoralisme et l’agroécologie : soutenir les bergers, développer l’agroforesterie, limiter la monoculture et le drainage pour maintenir des paysages ouverts et résilients.
- Investir massivement dans la prévention : créer des pistes et des coupures de feu, installer des points d’eau, moderniser la flotte aérienne et recruter davantage de pompiers. Chaque euro investi dans des pistes anti‑incendie peut éviter 12 euros de dégâts.
- Planifier l’urbanisme et renforcer la réglementation : interdire la construction dans les zones à risque, espacer les habitations, imposer des matériaux ignifugés et garantir l’entretien du débroussaillage.
- Développer la surveillance et sanctionner les négligences : la plupart des feux ont une origine humaine. Caméras thermiques, vigies locales, satellites et réseaux de télécommunication peuvent détecter précocement les départs de feu. Les communes doivent disposer des moyens de police nécessaires pour faire respecter les interdictions et sanctionner les comportements imprudents.