Les dossiers LNP

Les dossiers LNP Santé

Et pourquoi pas une Assurance maladie universelle ?

La fin des complémentaires santé, chères et inégalitaires, permettrait de revoir en profondeur le remboursement des soins. Et peut-être même de trouver d’importants financements pour repenser et améliorer le système de santé.

L’idée est profondément ancrée dans la croyance populaire : l’État ne sait pas gérer et seul le secteur privé est capable d’assurer une bonne gestion. Forcément, on a moins envie de jouer lorsqu’il s’agit de son argent ou de celui de ses actionnaires.En revanche, avec l’argent public, c’est la gabegie assurée. Alors imaginez avec la Sécurité sociale…

Sauf que l’affirmation ne passe pas l’examen des faits. Jugez plutôt. Alors qu’elle gère près de 80% des remboursements de soins et de médicaments, les frais de gestion de la Sécurité sociale sont de 4% contre près de 20% pour les complémentaires santé qui ne gèrent que 13% de ces mêmes remboursements (7% restent à la charge du patient). Une situation jugée « scandaleuse » par l’association de consommateurs Que Choisir.

Pas assez de prestations reversées

Ainsi, en 2023, selon le rapport annuel de la Drees (La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), les « organismes complémentaires assurant une couverture santé » ont collecté 43 milliards de cotisations en santé et n’ont reversé que 34,9 milliards de prestations. Si ces cotisations avaient été gérées avec le même taux de frais de gestion que celui de la Sécurité sociale, 1,72 milliard aurait été dépensé alors que ce sont 8,1 milliards qui l’ont été. Une piste d’économie sérieuse lorsque l’on sait que l’ensemble des branches de la Sécurité sociale (santé, famille, retraites) ont affiché un déficit global de 15,4 milliards en 2024.

Mais alors, comment expliquer de telles différences dans la gestion des cotisations ? Il existe tout d’abord des structures totalement privées, comme certaines assurances, qui ont besoin de faire des résultats, contrairement aux mutuelles qui sont « à but non lucratif », mais qui peuvent tout de même investir leurs bénéfices. Ainsi, les résultats nets ont été en moyenne de 3,4 % en 2023. Une différence déjà notable avec la Sécurité sociale qui n’a pas vocation à dégager d’excédent.

Complémentaires : 25% d’augmentation en trois ans

Vient ensuite la problématique de la concurrence. Car même si le nombre d’organismes complémentaires s’est fortement réduit (de 1 074 à 664 entre 2011 et 2022), les « frais d’acquisition » destinés à conquérir de nouveaux adhérents sont très importants puisqu’ils mobilisent à eux seuls près de 8% des sommes versées aux complémentaires.

Macif, MACSF,AG2R-La Mondiale, MAIF, Generali : les complémentaires sont nombreuses à faire des opérations de sponsoring. La voile et son excellente image auprès du public est souvent privilégiée. (Photo Sylvain NGR-cc)

A l’arrivée, les prix s’envolent, avec une nouvelle augmentation de 7% des tarifs en 2025, soit près de…25 % en trois ans. Un comble alors que l’inflation annuelle de l’indice général des prix est passée sous la barre des 2 %. Pour leur défense, les organismes complémentaires évoquent des dépenses de santé en hausse, de l’ordre de 6%, une augmentation du prix de la consultation chez le généraliste et une baisse des remboursements de la Sécurité sociale qu’elles doivent compenser, notamment dans le domaine dentaire. Des arguments qui ne tiennent pas forcément quand on étudie de près les offres, qui font souvent la part belle aux médecines douces, comme l’homéopathie dont l’efficacité n’a jamais pu être prouvée, pour attirer ceux qui en sont friands. Quant au vieillissement de la population, son coût est très largement supporté, selon l’Institut Santé, par la Sécurité sociale.

Des offres complexes

En plus d’une note salée pour les adhérents, les complémentaires sont particulièrement inégalitaires. Les cotisations ne se basent pas, contrairement à la Sécurité sociale, sur un pourcentage du salaire. Lorsqu’il s’agit d’une mutuelle d’entreprise, les tarifs sont issus d’un calcul par catégorie de salariés, qui payent tous la même chose, quelle que soit leur situation de famille. Pour ceux qui sont obligés de prendre une complémentaire en dehors de toute structure, c’est encore pire. Un questionnaire complet évalue les risques et ne prend aucunement en compte les revenus du potentiel client. Des cotisants qui ont le plus grand mal à se décider devant la multitude des propositions et leur complexité : que veut dire un remboursement à 200% ? Puis-je choisir mon soignant avec cette offre ? Toute la famille est-elle prise en charge ? Quel sera le reste à charge pour mes lunettes ? Pour une couronne dentaire ? Une hospitalisation ?

Les prothèses dentaires, essentielles à une bonne santé générale, notamment au niveau de l’estomac, sont souvent trop chères. Beaucoup renoncent à ces soins. (Photo DR, cc)

Les avantages d’un regroupement

Il paraît donc légitime de se demander si ce devrait pas être la Sécurité sociale, et seulement la Sécurité sociale, qui ait en charge le remboursement des soins de santé. Avec des frais de gestion bien moindres, il est possible d’imaginer voir l’État faire des économies. Il pourrait aussi mieux flécher certaines dépenses pour rembourser des soins aussi indispensables que les prothèses dentaires, mais qui sont des repoussoirs pour les moins aisés. À l‘arrivée, les malades pourraient bénéficier de remboursements plus homogènes et équitables, indépendamment de leur choix de mutuelle.

Sur le plan administratif, les patients s’y retrouveraient obligatoirement puisqu’une seule entité gérerait l’ensemble des remboursements. Ce qui se traduirait par moins de démarches complexes et un interlocuteur unique en cas de problème.

Des écueils, mais rien d’insurmontable

Une telle réforme nécessiterait forcément un temps d’adaptation. Près de 55 000 personnes travaillent actuellement pour le compte des mutuelles. La plupart d’entre elles possèdent des compétences en gestion des contrats, relation client, et traitement des prestations, similaires à certaines fonctions au sein de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie. Des reclassements, après des formations et un travail de négociation pour harmoniser les conditions de travail et les rémunérations, seraient envisageables afin d’absorber le surplus de travail pour la CPAM. Tout comme des plans de reconversion ou de départ volontaire pour ceux qui le souhaitent.

Par ailleurs, comme évoqué plus haut, les mutuelles sont des organismes à but non lucratif. Or, il est établi que les complémentaires santé disposent, selon l’Institut santé, d’une réserve financière de 82 milliards d’euros, dont les deux tiers ne sont pas des réserves prudentielles. Et comme au moins la moitié de cette somme appartient aux mutuelles, leur absorption par la Sécurité sociale (lire ci-dessous) serait une aubaine et la possibilité de changer durablement le visage de notre système de santé.


40 milliards qui pourraient tout changer

Un plan de 40 milliards d’euros pour la santé publique en France pourrait transformer en profondeur notre système de soins, fragilisé par des années d’austérité. Ce montant, équivalent à deux fois le budget annuel d’investissement des hôpitaux publics, permettrait d’agir simultanément sur plusieurs fronts vitaux. Simulation.

1. Sauver l’hôpital public
  Près de 12 milliards pourraient être mobilisés pour rénover les bâtiments, moderniser les blocs opératoires, équiper les services en matériel de pointe (IRM, scanners, respirateurs) et informatiser les dossiers médicaux. Un investissement massif pour enrayer la dégradation des conditions d’accueil.

2. Redonner du souffle aux soignants
  Revaloriser les salaires, embaucher, créer de nouveaux postes pour rouvrir les lits fermés : 12 milliards supplémentaires offriraient un répit nécessaire à celles et ceux qui tiennent le système à bout de bras et freineraient l’hémorragie des vocations.

3. Réanimer la médecine de ville
  Pour lutter contre les déserts médicaux, 5 milliards pourraient servir à développer les maisons de santé, soutenir les installations en zones sous-dotées et simplifier les parcours de soins. Renforcer le lien entre la ville et l’hôpital devient une priorité absolue.

4. Reconquérir la souveraineté pharmaceutique
  Face aux pénuries de médicaments, un plan de 4 milliards permettrait de relocaliser les productions stratégiques, soutenir la recherche publique et sécuriser des stocks pour les produits essentiels.

5. Investir dans la prévention
  Avec 3 milliards, la prévention pourrait sortir de la marginalité : campagnes de dépistage, santé mentale, médecine scolaire, nutrition, lutte contre les addictions. Prévenir plutôt que guérir.

6. Miser sur la recherche et l’innovation
  Enfin, 4 milliards dédiés à la recherche médicale, aux coopérations universitaires et à un numérique hospitalier souverain favoriseraient l’émergence d’une médecine plus connectée, plus pertinente, et plus humaine.Plutôt que de réagir en urgence à chaque crise, ce plan offrirait une refondation structurelle, capable de répondre aux défis démographiques, climatiques et technologiques. Il ne s’agit pas d’un luxe, mais d’un investissement pour l’aveni

A lire aussi, l’excellent article de Nicolas Da Silva, maître de conférences en sciences économiques à l’Université Sorbonne Paris Nord, sur le site Frustration. Écrit en 2021, et très bien documenté, il rappelle entre autres les spécificités des mutuelles françaises et de la Sécurité sociale.

À nos lecteurs
Cet article est le premier des « Dossiers LNP ». Plus qu’un exercice de style, nous allons chercher régulièrement à lancer des pistes, faire des propositions pour un monde différent. Et comme nous n’estimons pas détenir le savoir absolu, les « Dossiers LNP » ne seront qu’une base de discussion. Chacun et chacune pourra s’exprimer, avec la courtoisie pour seule limite. Les meilleures contributions seront même mises en avant et pourront venir alimenter ces dossiers.

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