Et si on reprenait le contrôle de l’argent public ?
Dans cette rubrique, Le Nouveau Paradigme explore les idées qui sortent des sentiers battus. L’étude que nous relayons ici, publiée par les économistes Pierre Funalot et Léo Malherbe (avril 2025, Les Économistes Atterrés), propose une piste audacieuse : reconstruire un pôle public bancaire pour financer la bifurcation écologique sans s’en remettre aux marchés financiers.
2,1 milliards d’euros. C’est le montant soustrait au budget du ministère de la Transition écologique en 2025 par le gouvernement de François Bayrou. Ce choix, loin d’être anecdotique, sert à leurs yeux une logique persistante : celle qui place la sacro-sainte réduction des déficits publics au-dessus de la survie écologique. Comme si l’État n’avait pas les moyens de ses ambitions. Comme si la dette était en soi un mal absolu.
Mais pour Pierre Funalot et Léo Malherbe, ce n’est pas la dette publique qui pose problème, c’est le cadre dans lequel elle s’inscrit. Une dette à taux élevé, exigible rapidement, peut devenir un piège. Mais une dette longue, sans intérêts, peut au contraire être un levier puissant. Tout dépend des conditions — et surtout, des créanciers. « La question n’est pas de savoir si l’État est endetté, écrivent-ils, mais dans quelles conditions il l’est. »
Se libérer des marchés : réactiver une histoire oubliée
Pour appuyer leur thèse, les deux économistes remontent à l’histoire budgétaire française d’après-guerre. À l’époque, l’État ne dépendait pas des marchés pour se financer. Il existait un outil peu connu du grand public : le circuit du Trésor.
Ce système reposait sur un principe simple : les salaires des fonctionnaires, les retraites et autres prestations sociales transitaient par des Comptes de Chèques Postaux (CCP), gérés par La Poste. Ces fonds étaient déposés directement au Trésor public, où ils pouvaient être mobilisés temporairement pour financer des dépenses publiques. Un circuit de financement gratuit, souple, stable… et souverain.
Mais à partir des années soixante, ce système a été progressivement démantelé. L’obligation de dépôt a été supprimée. Les flux ont été externalisés vers les banques commerciales. Et dans les années 1990, les réformes budgétaires ont finalisé ce virage : la dette publique est devenue un produit financier, soumis aux humeurs des marchés. Non plus un levier d’action, mais un outil de discipline.
Repartir des cendres : pour un nouveau pôle public bancaire
Selon les auteurs, il est encore possible de renverser la vapeur. Car si le circuit du Trésor a été affaibli, ses fondations existent toujours. Aujourd’hui encore, certaines institutions (collectivités, opérateurs publics) versent leur trésorerie au Trésor. La Banque Postale continue de drainer une épargne populaire importante. La Caisse des Dépôts finance, chaque année, des projets d’intérêt général à hauteur de plusieurs dizaines de milliards d’euros.
Mais toutes ces institutions sont désormais soumises à des objectifs de rentabilité. Depuis la loi PACTE de 2019, le pôle financier public — Banque Postale, Caisse des Dépôts, Bpifrance — doit être géré « selon les standards du marché ».
Les auteurs appellent donc à un basculement. Non pas à créer ex nihilo de nouvelles structures, mais à réorienter celles qui existent déjà vers une mission claire : financer la transition écologique, indépendamment des logiques de profit.
Un financement démocratique, ancré dans les territoires
Le pôle public bancaire proposé par Pierre Funalot et Léo Malherbe aurait pour mission de réactiver une version modernisée du circuit du Trésor. Son rôle : capter l’épargne disponible, mutualiser la trésorerie publique et la réinjecter dans des projets écologiques et sociaux : logements bas carbone, transports publics, agriculture durable, reconversion industrielle.
Mais il ne s’agirait pas d’un pilotage technocratique depuis Paris. L’étude insiste sur l’importance de la gouvernance démocratique et territorialisée. En lien avec le Secrétariat à la planification écologique (affaibli sous Michel Barnier), le pôle pourrait soutenir des COP régionales, réunissant élus locaux, citoyens, acteurs économiques et associatifs pour identifier les besoins prioritaires de chaque territoire.
La Caisse des Dépôts jouerait un rôle pivot dans ce financement localisé. La DGFiP garantirait la cohérence nationale. Et Bpifrance accompagnerait les entreprises dans leur adaptation industrielle. Un système articulé, transparent, au service du long terme.
Redonner du sens aux institutions
Ce que défendent les auteurs, ce n’est pas une utopie hors sol, mais une stratégie d’action réaliste fondée sur les interstices du système existant. Loin de prôner un grand soir budgétaire, ils proposent de tirer parti des institutions déjà en place, en leur redonnant du sens et de l’utilité publique.
Il suffirait, écrivent-ils, « d’un projet politique clair » pour articuler autrement la Banque Postale, la Caisse des Dépôts, Bpifrance et la DGFiP. Un projet capable de mobiliser l’épargne non pour alimenter les marchés, mais pour construire un avenir commun.
Face à la crise écologique, le message est limpide : nous n’avons pas seulement besoin d’argent, nous avons besoin de reprendre le contrôle de notre argent. Et cela commence par une décision collective : redonner à l’État les moyens de financer ce qui compte.
Lexique (source Wikipédia) :
Banque Postale : La Banque postale est une banque publique française née le 1er janvier 2006 , filiale à 100 % du groupe La Poste dont elle a repris les services financiers. Elle est la succession transformée des anciens CCP.
La Caisse des dépôts : La Caisse des dépôts et consignations et ses filiales constituent un groupe public au service de l’intérêt général et du développement économique du pays. Ce groupe remplit des missions d’intérêt général en appui des politiques publiques conduites par l’État et les collectivités territoriales et peut exercer des activités concurrentielle
Bpifrance : Bpifrance est une banque publique d’investissement française, ayant pour mission le financement et le développement des entreprises.