Éditos

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Hollande, Macron, Bayrou : les alliés objectifs du RN

Annonce du plan d’austérité de François Bayrou, loi Duplomb, probables mobilisations à venir façon « gilets jaunes »… À l’arrivée, c’est presque toujours le Rassemblement national qui emporte la mise, qui réussit à capitaliser sur le légitime mécontentement de populations chaque jour un peu plus pressurisées par un système profondément injuste.
  Surtout, le malaise ambiant ne profite pas, ou bien trop peu, à la gauche radicale. Celle qui veut réellement changer les choses, combattre les inégalités, redonner un horizon politique à ceux qui n’en ont plus.

Cette situation n’est pas nouvelle. Elle est le fruit d’une lente dérive, amorcée il y a plus de quarante ans. Depuis le tournant de la rigueur de 1983, la gauche mitterrandienne a cessé de vouloir transformer le système pour tenter d’y trouver une place. Elle a renoncé à affronter le capital, préféré les compromis gestionnaires aux ruptures sociales et laissé s’installer l’idée que « gouverner, c’est céder ».

Hollande a brisé les derniers liens de confiance avec son électorat ouvrier.

La droite, elle, n’a jamais renié ses fondamentaux. Chirac puis Sarkozy ont poursuivi l’œuvre de libéralisation, détricoté les acquis, réduit les impôts des plus riches, affaibli les services publics, supprimé des postes dans l’hôpital, l’école, la justice. Ils ont détruit les outils de solidarité, démantelé l’État social, sous couvert de « modernisation ».

Quand la gauche est revenue au pouvoir, elle a poursuivi dans la même veine. Hollande a brisé les derniers liens de confiance avec son électorat ouvrier en imposant la loi Travail, en distribuant des milliards aux entreprises sans contrepartie (CICE), en renonçant à taxer les plus hauts revenus, la finance, en banalisant l’état d’urgence.
 Macron, sorti de son cabinet, a transformé ce libéralisme en programme présidentiel. Réformes antisociales, verticalité autoritaire, négation des corps intermédiaires : le quinquennat a été marqué par le rejet de toute forme de participation populaire.

Et puis, il y a le mépris. Les « gens qui ne sont rien », les « fainéants », les « Gaulois réfractaires », le « il n’y a qu’à traverser la rue pour trouver du boulot ». Une accumulation de petites phrases qui ne sont pas des dérapages, mais une vision du monde. Une vision qui considère les plus modestes comme un problème à gérer, pas comme des citoyens à écouter.

François Bayrou, en soutien constant, a joué le rôle du témoin passif. Toujours prompt à appeler au « front républicain » contre Le Pen, jamais enclin à remettre en cause les politiques qui nourrissent sa progression.

Et pendant que nos dirigeants gouvernaient pour les gagnants de la mondialisation, le RN s’installait. Profitant du désespoir, de la colère, du vide. Car c’est bien de vide qu’il s’agit : vide démocratique, vide idéologique, vide d’alternative. Depuis 2017, Macron a réduit le débat public à un duel artificiel avec Le Pen. Une mise en scène cynique, répétée à chaque élection, qui transforme l’extrême droite en adversaire inévitable… et désormais en option plausible.

Le RN prospère aussi parce qu’il parle un langage simple, émotionnel, clivant. Il parle d’insécurité, d’immigration, de pouvoir d’achat. Il ne propose rien de concret, mais il donne une direction.

La gauche radicale a souvent défendu des causes justes, mais perçues comme secondaires par ceux qui luttent pour remplir leur frigo.

Face à la violence sociale et symbolique, la gauche radicale aurait pu elle aussi incarner une alternative. Elle en avait les arguments. Elle avait même parfois la dynamique, comme en 2017 et en 2022. Mais elle a échoué à capter la colère. Elle parle aussi de pouvoir d’achat, de redistribution, de justice. Mais dans un langage jugé parfois trop technocratique, trop universitaire, trop éloigné de la vie concrète. Elle a souvent défendu des causes justes, mais perçues comme secondaires par ceux qui luttent pour remplir leur frigo.
 La fracture est culturelle autant que politique. Le RN parle simple et clive fort. La gauche radicale, elle, donne parfois l’impression d’être enfermée dans les métropoles, les universités, les codes militants.

Ses divisions chroniques n’arrangent rien. LFI, PCF, Génération.s, NPA, EELV : des sigles, des querelles, des stratégies concurrentes. La NUPES, apparue comme une lueur d’unité en 2022, a vite tourné à l’imbroglio tactique, sans colonne vertébrale ni plan de bataille durable. Le NFP suit le même chemin. Le RN, lui, aussi incongru que cela puisse paraître, apparaît comme un bloc uni, discipliné, lisible.

La gauche radicale souffre aussi d’une faiblesse structurelle : par manque de bras, elle est trop souvent absente des territoires abandonnés, là où l’on ferme les gares, les écoles, les maternités. Là où les seuls à passer sont les élus RN. Là où l’abstention domine et où la défiance envers tout ce qui ressemble à un militant parisien est immense.

Dans ce paysage désolé, le RN ne progresse pas malgré le système : il prospère avec lui.

Enfin, la gauche radicale peine encore à formuler un grand récit collectif. Le RN parle de « France réelle », de sécurité, de peuple trahi. La gauche défend mille causes justes mais rarement articulées dans une vision commune. Elle ne parvient pas à incarner une alternative nationale puissante et rassembleuse. Surtout dans les médias grand public qui ne prennent jamais ses propositions au sérieux, préférant la caricature ou le clash. Quand la gauche radicale parle de planification écologique ou de partage des richesses, on l’accuse d’irresponsabilité. Quand le RN parle de migrants et de frontières, on l’écoute poliment. Ou encore on hurle avec loups du côté de chez Bolloré.

Ajoutons à cela un affaiblissement délibéré des contre-pouvoirs — Parlement marginalisé et non-réprésentatif de la société, collectivités locales sous-financées, référendums écartés — et nous voilà face à une démocratie exsangue. Dans ce paysage désolé, le RN ne progresse pas malgré le système : il prospère avec lui.

Il faut avoir le courage de le dire : la montée de l’extrême droite est une production nationale. Elle est l’enfant des renoncements de la gauche, des brutalités de la droite, et de la stratégie du vide orchestrée par le macronisme. Elle n’est pas une erreur de parcours, mais l’aboutissement logique d’une démocratie transformée en gestion comptable.

Si la vraie gauche veut encore espérer inverser la tendance, elle devra faire beaucoup mieux. Proposer à tous ceux qui le veulent un grand projet de transformation sociale et écologique. Et le défendre bien au delà de la sphère des seuls convaincus. Il faudra une vision du pays et du monde claire, puissante, qui donne envie de se relever.

Sinon, les électeurs iront vers « les seuls que l’on a pas encore essayés ». Avant de se rendre compte, bien trop tard, que l’on a déjà bien trop tenté la haine de l’autre, le repli et l’économie du chacun pour soi.

(Photomontage LNC avec les photos de Vox España, Joao Pedro Correia, Council of the UE et Ugo Bronszewski – CC)

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