Immigration : les vérités qui fâchent les fachos (1/4)
Philippe de Villiers a lancé récemment une pétition pour demander un « référendum sur l’immigration », pétition qui regroupe à ce jour près d’un million de signatures « non authentifiées », ainsi que l’explique un article du Monde : « L’opération a été dirigée depuis les locaux du groupe de médias de Vincent Bolloré, Lagardère News, qui ne cherche pas à brouiller les pistes. Les courriels des signataires de la pétition vont garnir les fichiers de ses journaux, Le Journal du dimanche (JDD) et le JDNews, à condition qu’une case de consentement soit cochée. L’adresse du groupe, dans le 15e arrondissement de Paris, apparaît sur la page « Politique de confidentialité » du site de la pétition.
L’opération a été lancée le 7 septembre à la une du JDD. Les trois pages d’interview s’ouvrent sur l’annonce de la parution, un mois plus tard, de l’essai de Philippe de Villiers, Populicide, chez Fayard, l’éditeur du groupe de Vincent Bolloré. »
Au sein de la rédaction de LNP, nous nous sommes dit qu’il était grand temps de repartir aux origines de ces vagues migratoires qui gênent tant la fachosphère. Nous publierons au cours de ces prochaines semaines une série de quatre articles. Après les origines de l’immigration, nous évoquerons le rapport entre le néolibéralisme et l’arrivée de migrants, avant de nous pencher sur ces multinationales qui s’enrichissent sur le dos des pays en voie de développement et participent ainsi à la fuite des populations. Enfin nous poserons la question de l’avenir, entre l’Europe qui sort les barbelés et la montée des nationalismes.
Premier volet
Capitalisme et colonialisme : à l’origine du grand déplacement
L’immigration contemporaine n’est pas une surprise ni une rupture. Elle est l’héritière directe de l’esclavage, du colonialisme et de l’impérialisme économique qui ont façonné le monde moderne. Des millions de vies ont été déplacées, brisées ou contraintes par les besoins du capitalisme et ce sont ces logiques de domination qui continuent aujourd’hui d’alimenter les exodes vers l’Europe.

Récolte d’arachides dans les années 1930 au Cameroun. (Photo issue de l’ouvrage « Les Colonies françaises« , Hélio Sadag de France, 1931)
L’idée que les migrations actuelles seraient un phénomène « nouveau » lié à la mondialisation ou à la crise climatique est un contresens historique. Dès le XVe siècle, le capitalisme naissant a trouvé dans l’esclavage et la colonisation les instruments d’une expansion mondiale. Ce système a imposé des déplacements massifs de population et une organisation économique inégalitaire, qui explique en grande partie pourquoi les routes de l’exil sont encore aujourd’hui dirigées du Sud vers le Nord.
L’esclavage, première mondialisation capitaliste
La traite négrière a déplacé de force entre 12 et 15 millions d’Africains vers les Amériques entre le XVIᵉ et le XIXᵉ siècle, selon les estimations de l’UNESCO1. Ces hommes, ces femmes et des enfants sont devenus la main-d’œuvre gratuite des plantations de sucre, de coton et de tabac qui ont enrichi l’Europe.
Le système dit du « commerce triangulaire » reposait sur un schéma simple : armes et produits manufacturés européens exportés en Afrique, esclaves déportés vers les Amériques, denrées coloniales renvoyées vers l’Europe. Les ports de Nantes, Bordeaux, Liverpool ou Lisbonne se sont enrichis sur ce commerce inhumain. Au XVIIIᵉ siècle, près de 40 % des navires négriers européens partaient de France2.
Cet esclavage de masse n’a pas seulement détruit des sociétés entières en Afrique. Il a permis l’accumulation primitive de capital en Europe : les profits tirés des plantations et du commerce négrier ont servi de socle à la révolution industrielle. Comme le souligne l’historien Eric Williams, originaire de de Trinité-et-Tobago : « le capitalisme et l’esclavage sont les deux faces d’une même médaille »3.
Colonisation : restructurer pour exploiter
Lorsque l’esclavage est officiellement aboli au XIXᵉ siècle, le système colonial prend le relais. L’Afrique et le Maghreb deviennent des réservoirs de matières premières et de main-d’œuvre bon marché. Les empires coloniaux organisent des travaux forcés massifs : ainsi, dans les années 1920, près de 8 millions d’Africains étaient soumis au travail obligatoire dans les colonies françaises, selon l’historien Marc Michel4.
Les structures locales sont démantelées : les agricultures vivrières sont remplacées par des cultures d’exportation (coton, cacao, arachide). Résultat : famine et dépendance. En 1940, le gouverneur de l’Afrique occidentale française, Jules Brévié, expliquait en substance : « Nos colonies doivent produire ce dont nous avons besoin, non ce dont elles ont besoin elles-mêmes. »
Des frontières arbitraires, des conflits hérités
La Conférence de Berlin (1884-1885), au cours de laquelle les puissances européennes se partagent l’Afrique sans consulter les peuples concernés, a laissé un héritage explosif. Les frontières tracées à la règle coupent des communautés en deux et obligent des ennemis historiques à cohabiter dans des États artificiels. Aujourd’hui encore, de nombreux conflits (Rwanda, Mali, Nigeria) trouvent leurs racines dans ces découpages coloniaux5.

Caricature parue le 20 décembre 1884 dans Le Frondeur, hebdomadaire satirique. Son auteur François Maréchal représente des souverains européens, Léopold II, roi des Belges, au centre, entouré du tsar Alexandre III et du kaiser Guillaume Ier, en train de festoyer. Le Congo sert de plat principal lors de la conférence de Berlin.
Ces violences politiques et ethniques, qui poussent des populations entières à fuir, ne sont pas des fatalités « locales ». Elles sont les conséquences directes d’un ordre colonial bâti sur la fragmentation et la division pour mieux régner.
Les premières migrations coloniales vers l’Europe
Dès le début du XXᵉ siècle, l’Europe commence à faire venir dans ses usines et ses armées des travailleurs issus des colonies. Pendant la Première Guerre mondiale, 175 000 travailleurs coloniaux et 134 000 tirailleurs sénégalais sont mobilisés par la France6. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ce chiffre explose pour atteindre plus de 500 000 soldats d’Afrique et d’Indochine.

Tirailleurs du 8e bataillon sénégalais du Maroc envoyés en France le 12 septembre 1914. (Photo Jacques Provot)
À la même époque, l’Angleterre recrute massivement des Indiens et des Caribéens pour reconstruire son économie. Ces premiers flux migratoires ne sont pas des migrations « volontaires » mais des prolongements du système colonial. Ils installent un lien durable entre les anciennes colonies et les métropoles.
Héritage direct
L’immigration contemporaine n’est donc pas le fruit du hasard ni d’une vague incontrôlable. Elle est l’héritière d’un système qui, dès ses origines, a déplacé des millions de personnes pour nourrir les besoins du capitalisme européen. Du navire négrier à l’usine de la métropole, de la plantation coloniale au chantier de reconstruction, c’est toujours la même logique : organiser le déracinement au profit de la rentabilité.
Ce legs explique pourquoi aujourd’hui encore, les routes de l’exil se dessinent principalement des anciennes colonies vers leurs ex-métropoles. L’histoire coloniale continue de peser sur les destins migratoires.
Notes
- UNESCO – The Slave Route Project: Resistance, Liberty, Heritage(estimation 12-15 millions de déportés africains).
- Dossier thématique complet sur le patrimoine relatif à la traite négrière et à l’esclavage, mené par le Ministère de la Culture
- Eric Williams – Capitalism and Slavery (1944). Présentation par l’Université de Caroline du Nord
- Marc Michel – L’Afrique dans l’histoire du XXe siècle. Paris, Hachette, 2004. (Référence sur le travail forcé colonial)
- BBC – How the Berlin Conference shaped Africa (2014).
- Ministère des Armées (France) – Les troupes coloniales dans la Première Guerre mondiale.
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