L’accès aux soins psychologiques reste une affaire de moyens financiers
Alors que débute la 36ᵉ Semaine d’information sur la santé mentale, les inégalités d’accès aux soins psychologiques demeurent criantes. Si le dispositif « Mon soutien psy » visait à démocratiser la psychothérapie, il ne répond que partiellement aux besoins.
En France, de trop nombreuses personnes renoncent à consulter un psychologue pour des raisons de coût. Pire, selon une étude menée par France Assos Santé en 20241 , 40 % des malades chroniques et des personnes en situation de handicap déclarent avoir dû abandonner l’idée d’un accompagnement psychologique. Alors que plus d’un Français sur cinq souffrira d’un trouble psychique au cours de sa vie, la santé mentale n’est toujours pas considérée comme un droit fondamental. Malgré les discours officiels autour de la « grande cause nationale », l’accès à la psychothérapie demeure limité et le dispositif « Mon soutien psy » peine à combler le fossé entre les besoins et l’offre de soins.
Un accès restreint
Lancé en avril 2022, « Mon soutien psy » a évolué : depuis mai 2025, le dispositif permet de bénéficier de douze séances par an avec un psychologue conventionné, sans prescription médicale préalable et sans avance de frais. La première séance sert d’évaluation, les suivantes de suivi. Chaque consultation est facturée 50 euros, remboursée à 60 % par l’Assurance maladie et à 40 % par la complémentaire santé, sans possibilité de dépassement d’honoraires.
Le dispositif s’adresse à tous les publics, dès l’âge de 3 ans, mais uniquement pour des troubles anxiodépressifs légers à modérés : les cas graves, les addictions et les situations à risque suicidaire en sont exclus. Parallèlement, la pénurie de psychiatres rend le suivi des formes plus lourdes de troubles psychiques particulièrement difficile. Les délais d’attente dépassent parfois six mois dans le secteur public et de nombreux postes restent vacants. Autrement dit, même les patients jugés « trop graves » pour bénéficier du dispositif n’ont souvent aucune alternative réelle.
Des moyens toujours insuffisants
Hors du cadre de « Mon soutien psy », les consultations restent entièrement à la charge du patient. En pratique, une séance coûte entre 50 et 70 euros, selon les régions et les spécialités. Le plafond des douze séances annuelles, même pour des cas modérés, ne reflète pas la réalité des suivis nécessaires, souvent bien plus longs. Les psychothérapies approfondies, qu’elles soient d’inspiration psychanalytique, systémique ou humaniste, exigent du temps, de la régularité et de la continuité. En limitant la prise en charge à quelques semaines, l’État institutionnalise un soin psychique bref, quasi standardisé, sans tenir compte de la complexité des parcours individuels.
Un dispositif contesté et limité
Selon le rapport d’évaluation publié par le ministère de la Santé en avril 2025, 5 217 psychologues étaient conventionnés pour environ 3,1 millions de séances réalisées depuis le lancement du dispositif et près de 587 000 patients accompagnés. Toutefois, ce chiffre a depuis été dépassé : selon un communiqué d’Ameli de septembre 2025, plus de 6 200 psychologues participent aujourd’hui au dispositif. Si 63 % des praticiens reconnaissent que ce cadre a permis de repérer plus tôt certains troubles, la profession reste fragmentée : à peine un cinquième des psychologues libéraux ont choisi d’adhérer au dispositif.
Les syndicats dénoncent une tarification jugée trop basse et une standardisation du soin perçue comme dévalorisante. Le dispositif réduit, selon eux, les psychologues à de simples exécutants d’un protocole, niant la diversité de leurs approches et leur autonomie professionnelle. Les praticiens exerçant dans le milieu scolaire, hospitalier ou associatif, déjà confrontés à des conditions de travail dégradées, y voient une tentative supplémentaire de cadrer leur pratique, sans moyens supplémentaires.
Des inégalités persistantes
Les critiques portent aussi sur les disparités territoriales. Le dispositif « Mon soutien psy » apparaît largement concentré en zone urbaine : selon l’Assurance maladie, environ 10 % des psychologues conventionnés sont installés en zone rurale, contre 90 % en zone urbaine (dont 48 % en ville-centre, 33 % en banlieue et 9 % en villes isolées). Les territoires les plus reculés restent souvent dépourvus de praticiens conventionnés. À cette fracture géographique s’ajoute une fracture sociale. Ceux qui en ont les moyens continuent de financer un suivi long et personnalisé, tandis que les plus précaires se contentent du minimum… ou renoncent.
S’ajoute à cela une autre inégalité, plus discrète : celle du non-recours. De nombreuses personnes ignorent encore l’existence du dispositif ou pensent, à tort, qu’il faut une prescription médicale pour en bénéficier. L’information circule mal, notamment auprès des jeunes, des personnes isolées ou à faibles revenus. Les publics pourtant les plus exposés à la détresse psychologique.
Les limites éthiques et structurelles
Plusieurs professionnels alertent aussi sur les questions de confidentialité. Le remboursement crée une traçabilité administrative du soin psychique : code de prestation, nombre de séances, durée… Certains patients redoutent que ce suivi, même anonymisé, puisse compromettre leur intimité ou être interprété par d’autres institutions (employeurs, assurances).
Par ailleurs, le dispositif « Mon soutien psy » ne s’articule pas avec les structures publiques existantes comme les centres médico-psychologiques (CMP), déjà saturés et en sous-effectif. Plutôt que de renforcer le réseau public, l’État a préféré créer un circuit parallèle, contribuant à fragmenter un peu plus le parcours de soin.
Une grande cause nationale… mais marginale
La santé mentale a été proclamée « grande cause nationale 2025 » et l’Assurance maladie multiplie les campagnes d’information. Mais tant que la psychothérapie restera partiellement remboursée, limitée à douze séances et réservée aux cas dits « légers », la politique française en la matière relèvera davantage de l’effet d’annonce que d’un réel engagement structurel. Derrière l’ambition affichée, se cachent un sous-financement chronique et l’absence de vision globale. Pour beaucoup, se soigner psychologiquement demeure un privilège.
Notes
1 Le renoncement aux soins psychologiques est rarement mesuré séparément des soins médicaux. Les données disponibles varient selon les enquêtes et la formulation des questions. L’étude de France Assos Santé (2024), citée ici, portait sur des personnes atteintes de maladies chroniques ou de handicaps : 40 % d’entre elles affirmaient avoir renoncé à un soutien psychologique pour des raisons financières. Ces chiffres ne sont donc pas généralisables à l’ensemble de la population, mais illustrent une tendance structurelle à l’exclusion par le coût.
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