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Universités : la liberté académique sous tension, un combat vital pour la démocratie

Fruit d’une enquête menée par la politologue Stéphanie Balme pour France Universités, le rapport Défendre et promouvoir la liberté académique dresse un constat alarmant : en France comme ailleurs, la liberté d’enseigner, de chercher et de penser s’effrite sous les coups de la polarisation politique, de la peur et des logiques marchandes.

Partout dans le monde, la liberté universitaire vacille. De Pékin à Budapest, de Washington à Paris, les chercheurs voient leurs marges de manœuvre se réduire, leurs travaux contestés, leurs conférences annulées, leurs propos scrutés comme s’ils étaient suspects par nature. Le savoir devient une zone de tension, traversée par les peurs politiques, les intérêts économiques et les réflexes idéologiques. Même dans les démocraties établies, l’espace de la pensée critique se referme peu à peu.

C’est dans ce contexte que la politologue Stéphanie Balme, directrice du Centre de recherches internationales à Sciences Po, a remis à France Universités un rapport sans précédent, « Défendre et promouvoir la liberté académique » 1. Fruit d’un an d’enquête auprès de chercheurs du monde entier, il décrit une crise globale de la pensée libre et les fragilités très françaises d’un système universitaire soumis à de multiples pressions.

Maccarthysme contemporain 2.0

Plus de la moitié de la population mondiale vit aujourd’hui dans des pays où la liberté académique est « sévèrement restreinte », rappelle Balme. Trois forces convergent : la remise en cause de la science, la viralité de la désinformation et la fragilisation institutionnelle des universités. Définir ce qu’il est permis d’enseigner, de publier ou même de penser devient, dans certains contextes, un réflexe politique.

La France n’échappe pas à ce mouvement. Le rapport évoque un climat de suspicion inédit, où la science se retrouve piégée entre la peur du scandale et les récupérations idéologiques. Des conférences sont annulées, des financements suspendus, des chercheurs sanctionnés pour avoir abordé des sujets jugés sensibles. Lors de la guerre entre Israël et Gaza, plusieurs débats universitaires ont été interdits au nom du maintien de l’ordre public.

En mars 2024, la visite inopinée du Premier ministre Gabriel Attal à la Fondation nationale des sciences politiques, organe gestionnaire de Sciences Po, a marqué les esprits : une intrusion politique dénoncée par de nombreux directeurs et doyens. Pour Stéphanie Balme, cet épisode illustre ce qu’elle appelle un « maccarthysme contemporain 2.0 », où la peur du désordre idéologique justifie la surveillance du monde académique.

Mais les attaques ne viennent pas seulement du pouvoir. Elles se nourrissent aussi d’une autocensure rampante, favorisée par la précarité des statuts et la logique de performance. De jeunes chercheurs, soumis à des contrats temporaires et à des évaluations fréquentes, renoncent à aborder des objets de recherche jugés sensibles.

L’université sous dépendance financière

Au cœur de la crise, la logique marchande a pénétré les universités. La multiplication des appels à projets, l’obsession des classements et la dépendance accrue aux financements privés ont introduit dans la recherche les critères du rendement et de la rentabilité.

Le rapport dénonce aussi la montée des censures indirectes : retraits de subventions, refus de bourses, menaces sur des programmes considérés comme « trop politiques ». À cela s’ajoutent les procédures judiciaires abusives engagées par certaines entreprises contre des chercheurs critiques. Autrefois protégée par l’autonomie universitaire, la liberté académique devient vulnérable face aux pressions économiques.

Un enjeu démocratique et constitutionnel

Stéphanie Balme plaide pour une refondation juridique : inscrire la liberté académique dans la Constitution française. Une telle mesure lui donnerait la même portée que la liberté de la presse. Mais elle alerte sur le danger d’une définition politique trop étroite, qui pourrait se retourner contre l’objectif initial.

Le rapport préconise aussi un régime autonome de protection des sources scientifiques, des amendes dissuasives contre les procédures-bâillons, et la création d’un observatoire européen chargé de mesurer les atteintes à la liberté académique. Balme suggère enfin que cette liberté devienne un critère reconnu dans les classements internationaux, afin que l’indépendance intellectuelle soit valorisée autant que les performances.

Une culture à reconstruire

En France, la liberté académique n’a jamais fait l’objet d’un enseignement structuré. Peu d’étudiants savent qu’elle fonde leur droit à un savoir indépendant. Le rapport propose donc de l’intégrer aux formations universitaires et à l’éducation civique, comme on enseigne la liberté de la presse.

Cette réflexion rejoint celle des Économistes atterrés, qui dénoncent la marchandisation du savoir. Pour eux, défendre la liberté académique revient à défendre un savoir public, accessible, sans lequel aucune démocratie ne peut prospérer.

Pour que le savoir reste un bien commun

Derrière le débat juridique se profile une question essentielle : à qui appartient la connaissance ? Si elle devient une marchandise, elle cesse d’être un instrument d’émancipation. Si elle se plie à la peur, elle trahit sa mission. Stéphanie Balme le rappelle : « La liberté académique n’est pas une option. La démocratie est son enjeu, l’éthique sa boussole. »

Ce combat dépasse les murs de l’université. Il engage la société tout entière. Car lorsque la science se tait, la démagogie prend sa place. Défendre la liberté académique, c’est défendre notre droit collectif à comprendre le monde, à douter et à penser autrement.

1 France Universités présente dix propositions pour défendre la liberté académique


Procédures-bâillons : la science sous pression judiciaire

Elles ne cherchent pas à gagner, mais à épuiser. Les procédures-bâillons, ou SLAPP pour Strategic Lawsuits Against Public Participation, sont devenues l’arme préférée de certains acteurs économiques pour réduire au silence les chercheurs dont les travaux dérangent. Elles consistent à engager des poursuites longues et coûteuses pour diffamation, atteinte à la réputation ou préjudice commercial, sans autre objectif que d’intimider.

En France, plusieurs scientifiques travaillant sur les pesticides, le climat ou la santé publique ont été visés par ces actions. Même lorsqu’elles n’aboutissent pas, elles laissent des traces : fatigue, isolement, autocensure.

En réponse, le rapport propose la création d’amendes civiles dissuasives contre les plaignants abusifs, un fonds national pour couvrir les frais de défense et une reconnaissance juridique spécifique des victimes d’intimidation scientifique. Ces mesures rejoignent les demandes des associations de chercheurs, qui réclament depuis des années une protection inspirée de celle accordée aux journalistes.


L’appel à la société civile : refonder la culture du savoir

La liberté académique ne se défendra pas seule. Pour Stéphanie Balme, il est temps d’en faire une cause commune, partagée par tous ceux qui croient encore en la valeur du savoir. Elle appelle à une vaste campagne publique, mêlant chercheurs, artistes, journalistes, enseignants et citoyens, afin de replacer la connaissance au cœur du débat démocratique.
Parmi ses propositions, une idée forte : transformer la Fête de la science en « Fête de la science et de la liberté académique », un moment populaire où l’on apprend à douter, à débattre et à penser librement. Des dessinateurs seraient invités à représenter, avec humour et poésie, les menaces qui pèsent sur le savoir.
Ce mouvement s’inscrit dans la continuité du manifeste « Défendre la liberté de savoir »1, signé notamment par Sibyle Veil, Yasmine Belkaïd et Stanislas Dehaene, et relayé par les médias publics. Une alliance inédite entre ceux qui informent et ceux qui enseignent, unis par la conviction qu’aucune démocratie ne peut survivre sans liberté de pensée.
L’objectif est simple : redonner confiance dans la science, non comme vérité absolue, mais comme méthode de doute rigoureuse. Réaffirmer qu’apprendre, chercher, questionner relèvent d’une démarche citoyenne. Et rappeler que le savoir n’appartient à personne, sauf à celles et ceux qui le partagent.

1 Appel pour la liberté de savoir

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