L’impôt minimum mondial : chronique d’un sabotage néolibéral
Trump et les dirigeants du G7 ont enterré en fin de semaine dernière l’un des rares projets consensuels de lutte contre l’évasion fiscale. Retour sur une capitulation qui illustre parfaitement les rapports de force du capitalisme mondialisé.
Lancée en 2021 via l’« Inclusive Framework » — un dispositif de l’OCDE et du G20 réunissant plus de 130 pays pour lutter contre l’évasion fiscale — l’idée était d’instaurer un impôt minimum mondial de 15 % sur les bénéfices des multinationales réalisant plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Le principe était simple : si une entreprise paie moins de 15 % d’impôts dans un paradis fiscal, son pays d’origine peut réclamer la différence. Ce mécanisme dit de « top-up tax » visait à mettre un terme à la course mondiale au moins-disant fiscal.
L’OCDE estimait que cette mesure pouvait générer environ 150 milliards de dollars de recettes supplémentaires chaque année pour les États — et jusqu’à 500 milliards avec un taux relevé à 25 %. Environ 137 pays avaient donné leur accord fin 2021, et une quarantaine ont commencé à l’appliquer dès début 2024.
La contre-offensive impérialiste
C’était sans compter sur le retour de Donald Trump. Le nouveau président américain a immédiatement ordonné à son Trésor de préparer des « revenge taxes », des droits de douane punitifs allant jusqu’à 50 % à l’encontre des pays qui oseraient imposer les multinationales américaines.
Sous cette menace, les réactions des alliés occidentaux ont été tristement prévisibles. L’Union européenne, le Royaume-Uni, le Canada et le Japon ont tous accepté, le principe d’un « side-by-side system », une dérogation sur mesure qui permet aux groupes américains d’échapper à la taxe minimale.
Cette exemption représente plus de 100 milliards de dollars de profits supplémentaires sur la décennie pour les géants américains, créant une concurrence déloyale institutionnalisée. Pendant ce temps, les entreprises européennes ou asiatiques devront, elles, s’acquitter de la taxe.
Les conséquences désastreuses
Cette capitulation occidentale relance la course aux armements fiscaux entre États. Les paradis fiscaux retrouvent une seconde jeunessejeunesse : l’Irlande, le Luxembourg ou encore Singapour peuvent se frotter les mains.
Les pays du Sud sont les grands perdants. Leur fiscalité dépend beaucoup plus des impôts sur les bénéfices des entreprises. Privés des recettes que cette taxe aurait dû générer, ils voient s’éloigner un peu plus les moyens d’investir dans la santé, l’éducation, les infrastructures ou la transition écologique. Le néocolonialisme fiscal trouve ici une illustration flagrante.
Au-delà des enjeux immédiats, c’est un précédent grave qui s’installe : une grande puissance peut désormais faire échouer un accord multilatéral en agitant la menace économique. Cette stratégie de chantage réussie compromet durablement toute tentative de créer un système fiscal mondial plus juste.
Un camouflet à la solidarité mondiale
L’enterrement de cette mesure représente une défaite historique pour la justice fiscale. En cédant au chantage trumpien, les dirigeants occidentaux ont choisi leur campcamp : celui des multinationales, contre celui de l’intérêt général. Les États, surtout les plus fragiles, sortent affaiblis de cette trahison. Le néolibéralisme globalisé a une nouvelle fois montré qu’il défend ses privilèges au détriment du bien commun.
Plus que jamais, la bataille pour la justice fiscale est à mener. Mais elle ne gagnera visiblement pas dans les salons du G7 ou dans les deals discrets entre puissances.
(Photo RawPixel – CC)