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Milei passe la tête par la Fenêtre d’Overton

La politique du fantasque président argentin est désormais observée de près par les ultralibéraux, qui n’hésitent plus à la prendre en exemple.

Illustration Dall-E

C’était il y a un peu plus d’un an. Le public découvrait une espèce d’hurluberlu, tronçonneuse à la main, en train d’expliquer aux caméras du monde entier qu’il allait redresser une Argentine bien mal en point grâce à des coupes claires sans précédent dans les budgets de l’État, son plus grand ennemi. L’annonce de son élection à la tête du pays a été une première surprise : comment une population peut-elle majoritairement voter pour un homme qui juge les inégalités sociales naturelles, qui voit la justice sociale comme un « concept aberrant », « un vol », et qui veut limiter au maximum les aides sociales ?

Une première explication vient de ses diatribes anti-système, lesquelles ont connu un écho important au plus fort de la crise Covid. Cette période laissera indéniablement des traces quant à la confiance des peuples envers leurs dirigeants, pourtant bien intentionnés, du moins sur le plan sanitaire, dans la plupart des cas. Seul Trump, et son conseil de boire de l’eau de javel, faisait évidemment exception. Le rejet de la classe politique “traditionnelle”, au demeurant compréhensible au vu de son incapacité à mieux faire vivre les populations, est le terreau de tous les populismes, et Javier Milei, homme de télé (à l’instar de son ami américain), maîtrise parfaitement les codes du genre. Les tenants de ces idéologies ont réussi ces dernières années à faire croire aux plus vulnérables que l’État, pourtant censé être leur seul parachute en cas d’accident de la vie ou de crise généralisée, était leur ennemi. Avec l’aide des politiciens, celui-ci n’aurait de but que de leur vider les poches. Pire, la situation alarmante des services publics dans la plupart des pays, hôpitaux et écoles en tête, ne permet même plus de se rappeler à quoi sert vraiment une gestion centralisée de la société. L’anarcho-capitalisme du libertarien Milei avait donc une voie royale dans un pays où l’inflation dépassait les 200 % sur la dernière année du gouvernement précédent.

Une réussite en trompe-l’œil

La tronçonneuse est donc entrée en action : dévaluation de 50% du peso pour essayer de stabiliser l’économie, suppression de 11 ministères et de 25 000 emplois de fonctionnaires, fin des subventions aux transports et à l’énergie, abandon de la plupart des aides sociales et, bien sûr, flexibilisation du travail, dérégulations massives, grande vague de privatisations, et amnistie fiscale pour permettre aux plus riches de déclarer leurs actifs.

Forcément, cette énorme cure d’austérité a eu des résultats. Au premier trimestre 2024, l’Argentine a dégagé un excédent budgétaire pour la première fois depuis 2008. “ Un exploit historique” pour le président, qui rappelait que le déficit était à 5,2 % du PIB l’année précédente. L’inflation a aussi été nettement réduite, ce qui a permis dans un second temps de faire quelque peu refluer le pourcentage de la population vivant sous le seuil de pauvreté, après que celui-ci a littéralement explosé lors des premiers mois du mandat de Milei.

Une « réussite » ostensiblement saluée par le Fonds monétaire international. En moins d’un an, Javier Milei a réussi à franchir à vitesse grand V les différentes étapes d’acceptation de sa politique. Son programme, jugé « impensable » par le plus grand nombre, est devenu « radical » puis, grâce au FMI, «acceptable », voire « raisonnable » si l’on se réfère à la Fenêtre d’Overton 1. Résultat : un prêt du FMI et des investisseurs qui s’intéressent de nouveau au pays. Milei peut se frotter les mains. Car même s’il doit gouverner par décrets, faute de majorité, il a réussi à passer sans encombres les grandes grèves de janvier 2024 et jouit encore d’une certaine popularité.

Et tant pis si près de 2,5 millions de personnes sont passées sous le seuil de pauvreté dans la même période, si le taux de pauvreté extrême atteint presque 20 % de la population.

Ce que n’ont pas manqué de noter certains médias. En France, où le fan club de Milei se résumait un temps au seul Eric Ciotti2, les tenants de l’ultralibéralisme commencent à regarder avec envie celui qui a réussi à mettre en place ces mesures extrêmes sans passer sous les fourches caudines. Depuis, une petite musique se fait entendre. Celle d’une partie très droitière des médias qui entend, par petites touches, amener tranquillement l’idéologie « mileienne », que l’on avait laissée à la case « raisonnable », à celle de « populaire » pour qu’enfin, ultime étape, l’on puisse l’envisager comme une « politique publique » applicable dans l’Hexagone. « Réformes : pourquoi la France devrait s’inspirer de Javier Milei », pouvait-on lire dans la rubrique débat de l’Express.fr. « Michel Barnier devrait s’inspirer de Javier Milei pour redresser la France », explique Michel Taube sur CNews ou dans Opinion Internationale. Le Figaro y va aussi par petites touches en rapportant par exemple l’analyse de Nicolas Bouzou sur la qualité de la politique argentine.

Et tant pis si près de 2,5 millions de personnes sont passées sous le seuil de pauvreté dans la même période, si le taux de pauvreté extrême atteint presque 20 % de la population. La précarisation du travail, les assurances santé que plus personne ne peut se payer, la fin des normes environnementales — « une entreprise peut polluer une rivière autant qu’elle le souhaite […] la valeur de l’eau est égale à zéro », estime le président argentin — ne sont finalement que des maux nécessaires sur l’autel d’un marché bien portant. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Certains, naïfs, pensaient qu’un chef d’État ou de gouvernement était élu dans le seul but d’améliorer la vie de ses concitoyens. Non, désormais, son rôle est de tout faire pour que les capitaux se portent bien et se développent sans entrave. Le fameux « ruissellement » fera le reste.

Pour l’Argentine, il faudra cependant encore attendre un peu. La cure d’austérité a emmené le pays droit vers la récession. Et l’appareil d’État, qui agonise sous les coups de boutoirs de Javier Milei, aura bien du mal à limiter la casse pour la population.

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