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En France, les inégalités tuent dès la naissance

La mortalité infantile repart à la hausse, à rebours des tendances observées ailleurs en Europe. Ce recul inquiétant révèle l’ampleur des inégalités sociales dès le berceau. Dans les territoires les plus pauvres, le risque de décès est jusqu’à sept fois plus élevé.

Plus de 2700 : c’est le nombre de nourrissons qui meurent chaque année en France avant de souffler leur première bougie. Un chiffre qui ne cesse d’augmenter. Selon l’INSEE, en 2024, le taux de mortalité infantile a atteint 4,1 pour 1 000 naissances vivantes contre 3,5 pour mille en 2012. Cette progression, en rupture avec les décennies de baisse continue qui ont précédé, inquiète d’autant plus qu’elle place désormais la France parmi les pays les moins performants d’Europe. L’Institut national d’études démographiques (INED) rappelle qu’en 2022, ce taux s’élevait à 4,5 pour mille chez les garçons et 3,7 pour mille chez les filles, alors que la moyenne européenne tourne autour de 3,5 et 3,0 pour mille respectivement. La France figure désormais entre la vingt-deuxième et la vingt-quatrième place sur vingt-sept pays de l’Union européenne, derrière la Slovénie, la Suède ou la Finlande.

La pauvreté, facteur déterminant dès la grossesse

Les raisons médicales de ces décès sont connues : prématurité extrême, infections néonatales, complications à la naissance ou malformations congénitales. Des causes qui ne sauraient occulter une réalité aujourd’hui très largement décrite par de nombreuses études dont les conclusions sont sans équivoques : les déterminants socio-économiques pèsent lourdement sur la survie des nourrissons.

Dans son rapport de mai 2024 intitulé « La politique de périnatalité – Des résultats sanitaires médiocres, une mobilisation à amplifier », la Cour des comptes l’écrit noir sur blanc : la pauvreté multiplie par cinq à sept le risque de mortalité infantile au cours des trois premières années. En toute logique, les territoires les plus fragiles sont les plus exposés, à l’instar de la Seine-Saint-Denis, la Guyane, Mayotte, les zones rurales reculées ou encore les quartiers urbains délaissés. Ce sur-risque est d’autant plus préoccupant qu’il se cumule avec d’autres inégalités.

L’Observatoire des inégalités rappelle que le niveau d’instruction de la mère, son statut professionnel ou encore ses conditions de logement jouent un rôle majeur. Une femme ouvrière ou inactive, sans diplôme et vivant dans un logement insalubre, présente un risque de perdre son enfant bien supérieur à celui d’une femme cadre disposant d’un suivi médical régulier. L’étude ELFE 1, qui suit 18 300 enfants nés en 2011 en Métropole, a montré que le tabagisme pendant la grossesse, plus fréquent chez les femmes peu diplômées, expliquait jusqu’à 39% des cas de petit poids à la naissance, l’un des principaux facteurs de mortalité dans les premières semaines de vie. À cela s’ajoutent les discriminations systémiques que subissent certaines populations, en particulier les mères migrantes en situation précaire, souvent mal orientées dans le parcours de soins ou peu prises en charge faute de moyens adaptés.

Un système de santé qui ne compense plus les inégalités

Autant d’inégalités sociales qui ne sont pas compensées par notre système de santé. Depuis vingt ans, environ un tiers des maternités françaises ont fermé, allongeant les distances à parcourir pour accoucher et réduisant la capacité d’accueil des services de néonatologie. Ce recul touche d’abord les territoires déjà fragiles, où la désertification médicale est aggravée par la fermeture d’hôpitaux et le manque de professionnels spécialisés. Le rapport de la Cour des comptes souligne également que 40% des décès néonatals enregistrés entre 2015 et 2017 auraient pu être évités si la France atteignait les standards des pays européens les plus performants. Cela représente plus de 2000 vies qui auraient pu être sauvées avec une meilleure organisation des soins.

Les 1 000 premiers jours, une ambition freinée par manque de moyens

Face à ce constat, la politique des 1 000 premiers jours, lancée en 2020 sur la base des recommandations du neuropsychiatre Boris Cyrulnik, visait à inverser la tendance. Cette initiative entendait mieux accompagner les familles dès la grossesse jusqu’aux 2 ans de l’enfant. Plusieurs mesures ont été mises en place : un entretien prénatal précoce généralisé, des référents de parcours périnatalité expérimentés dans certains territoires, des Maisons des 1 000 jours comme celle ouverte à Orléans et des campagnes d’information destinées aux jeunes parents. Mais ces actions restent trop timides. Leur déploiement est partiel, inégal selon les territoires et leur portée limitée faute de moyens humains et financiers à la hauteur.

Des solutions connues, une volonté politique attendue

Le potentiel de cette politique est pourtant réel. Des programmes comparables à l’étranger ont montré leur efficacité. Aux États-Unis, le programme Nurse Family Partnership, fondé sur des visites à domicile régulières auprès des jeunes mères en situation précaire, a permis de réduire jusqu’à 48% la mortalité infantile dans les zones défavorisées. Autre point noir : le nombre de décès par mort subite du nourrisson, entre 250 et 350 par an, soit la première cause de mortalité chez les enfants âgés de 28 jours à 1 an. Malgré une baisse considérable (plus de 75%) du nombre de décès dans les années 1990 grâce aux campagnes de prévention, la situation s’est stabilisée depuis les années 2000 et la France figure aujourd’hui parmi les pays européens où la prévalence est la plus élevée. Santé publique France estime qu’environ 50% de ces décès seraient évitables si les mesures de prévention étaient mieux respectées. Une étude menée au Danemark a montré qu’un accompagnement précoce individualisé, incluant conseils sur le sommeil du nourrisson et prévention des risques, réduisait significativement les décès dus au syndrome de mort subite.  

200 à 400 vies pourraient être sauvées chaque année

En France, les visites à domicile sont encore rares et souvent limitées à l’après-naissance immédiat. Leur généralisation, en ciblant les familles les plus à risque, pourrait sauver entre 200 et 400 vies chaque année, selon les projections fondées sur les expériences internationales.

Pour redresser la situation, plusieurs mesures sont identifiées comme prioritaires par les experts. Il faut généraliser le dispositif des référents de parcours périnatalité dans les zones fragiles. Il faut mettre en place un programme national de visites à domicile menées par des professionnels formés, sages-femmes ou infirmières spécialisées. Il faut aussi développer un réseau dense de Maisons des 1 000 jours, avec une équipe pluridisciplinaire, et non quelques structures pilotes symboliques. Il faut enfin renforcer l’attractivité des services de maternité de proximité, en revalorisant les carrières et en investissant dans les plateaux techniques. 

 La hausse de la mortalité infantile en France met en lumière des fragilités bien identifiées : inégalités sociales, accès inégal aux soins, accompagnement trop inégal selon son lieu de résidence. Des leviers d’action existent, documentés, évalués, parfois déjà expérimentés. Reste à leur donner l’ampleur nécessaire pour inverser durablement la tendance.

1 La cohorte ELFE (Étude Longitudinale Française depuis l’Enfance) est la plus grande étude française consacrée au suivi d’enfants nés en métropole. Pilotée par l’INED, l’Inserm et l’Insee, elle suit environ 18 300 enfants nés en 2011 en France pour comprendre comment leur santé et leur développement sont influencés par leur environnement, les conditions de vie et la situation sociale de leur famille.

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