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Pourquoi il faut nationaliser ArcelorMittal

La maîtrise des grands outils industriels est aujourd’hui essentielle pour la France et l’Europe. Au-delà d’un enjeu de souveraineté, il s’agit également d’une nécessité sociale, environnementale et économique.

On ne le rappellera jamais assez, la priorité d’un dirigeant de grande société est, et sera toujours, de répondre à la volonté des actionnaires. Pour ce faire, il n’y a pas cinquante solutions : il faut leur verser des dividendes, et si possible pas dans dix ans. Alors lorsque les perspectives économiques ne sont pas enthousiasmantes, comme lorsque plusieurs conflits sont en cours et qu’un fou furieux s’amuse avec la première économie du monde et donc avec la planète, il faut trouver d’autres solutions que la croissance du chiffre d’affaires pour faire des bénéfices. En fait, il n’en existe réellement qu’une dans un tel cas de figure : réduire les coûts, ce qui passe la plupart du temps par des coupes claires dans les ressources humaines. En gros, on vire une partie de ses salariés pour faire du résultat. Et il n’est rien que l’on puisse faire, le système est fait comme ça.

L’illusoire « compétitivité »

Face à ce triste constat, Emmanuel Macron n’a toujours eu qu’une seule réponse : « Il faut créer un choc de compétitivité ». Comme si il était possible pour la France et ses industries d’aller concurrencer les coûts de production de la Chine, de l’Inde, du Vietnam, du Bangladesh… Il a pourtant bien essayé : baisse massive des impôts, milliards distribués aux entreprises et attaques sans cesse renouvelées sur notre modèle social afin d’attirer les investisseurs. Quasiment en vain (lire ci-dessous). Pire, les industriels encaissent les aides, accordées la plupart du temps sans contreparties, et n’hésitent plus à licencier peu de temps après.

C’est encore le cas avec ArcelorMittal, qui a annoncé le mois dernier la suppression de près de 600 postes support après avoir encaissé 300 millions d’euros d’aides publiques en 2023. Un comble au moment même où l’Europe vient d’accéder à toutes les exigences de l’industriel. Il ne reste plus aux politiques qu’à espérer que le géant de l’acier ne délocalise pas définitivement la production dans des pays bien plus arrangeants sur les plans salarial, environnemental et fiscal. Ce qui, en toute logique, arrivera forcément pour des raisons évidentes de « compétitivité ».

L’exemple des chantiers de l’Atlantique

En fait, la seule solution pour éviter un désastre humain et économique est celle dont nos dirigeants ultra-libéraux ne veulent pas entendre parler : la nationalisation. Ils font mine d’oublier qu’ils l’ont pourtant utilisée récemment dans le cadre des chantiers navals STX France (aujourd’hui Chantiers de l’Atlantique). En son temps, Bruno Le Maire, que l’on aura du mal à qualifier d’affreux communiste, a nationalisé la filiale française du groupe sud-coréen afin d’éviter des pertes d’emploi et le transfert de technologies sensibles, Saint-Nazaire étant le seul site français capable de construire de grandes coques pour des navires militaires. Aujourd’hui, l’État a largement récupéré son investissement, s’est assuré que le savoir-faire stratégique est protégé et que la société est durablement en bonne santé, les carnets de commandes étant pleins.

Le pari de la nationalisation pourrait être encore plus intéressant pour les sites français d’ArcelorMittal. L’acier est en effet au cœur de la transition écologique (éoliennes, rails, bâtiments bas carbone) et laisser le contrôle de sa production à un groupe étranger, sans leviers publics, compromet grandement notre autonomie. Sur le plan social, alors que la France a perdu 2 millions d’emplois industriels en 40 ans, cette nationalisation pourrait incarner une reconquête assumée de nos outils de production avec, pour commencer, la sécurisation des plus de 15 000 salariés français de la société. Elle permettrait aussi d’investir dans une décarbonation massive, la sidérurgie représentant à elle seule 7% des émissions de CO2 du pays (22% de celles de toute l’industrie).

Des effets positifs en cascade

Concrètement, selon que l’on veuille une prise de participation majoritaire ou totale, il est possible d’estimer l’investissement avec dans une fourchette allant de 2 à 8 milliards d’euros. Un chiffre à mettre en relation avec les 300 milliards de dépenses annuelles de l’État. Un plan d’investissement évalué à 1,8 milliard d’euros, pour lequel l’État a déjà acté de financer 850 millions d’euros, doit aussi être mis en œuvre pour moderniser l’outil et le rendre moins polluant, notamment avec un programme de réduction directe du minerai de fer et l’installation à Dunkerque de deux fours électriques. Pour peu qu’un gouvernement ait le courage de favoriser fiscalement un acier  plus vert et produit localement, l’investissement de l’État pourrait aussi permettre de rendre viable des technologies coûteuses, mais prometteuses (électrolyse de l’acier, hydrogène vert) et susceptibles de faire baisser les émissions de CO2 de 40%. De plus, en conservant la production en France, et plus largement en Europe, il est possible de travailler sur des logiques de recyclage, d’économie circulaire.

Le choix d’un autre avenir

Ainsi, en considérant l’ensemble de ces données, il n’est pas inimaginable d’espérer un retour des bénéfices à horizon 2030 et un retour sur investissement au bout de dix ans.Le FMI estime même que, s’il est bien ciblé, un investissement public équivalent à un point de PIB peut en rapporter 2,5 sur le long terme. Sans oublier qu’il est généralement admis qu’un emploi sauvé dans l’industrie correspond à trois emplois de plus sauvés dans le reste du tissu économique et que plusieurs bassins d’emploi fragiles seraient ainsi préservés  (Fos, Dunkerque, Lorraine,…).

On notera d’ailleurs que l’Italie et l’Angleterre, que l’on ne taxera pas non plus de pays communistes, n’ont pas hésité longtemps et ont sauté le pas de la nationalisation pour leur sidérurgie.  Nationaliser l’acier français, ce serait investir dans un actif industriel rentable à moyen terme, et dans l’avenir de notre économie décarbonée. Ce serait aussi une promesse faite aux travailleurs, aux familles, aux territoires.


Une désindustrialisation marquée depuis les années 1970

Entre le début des années 1970 et 2020, la France s’est imposée comme le pays d’Europe ayant le plus fortement réduit sa base industrielle. Depuis 1974, environ 2,5 millions d’emplois dans l’industrie ont disparu. Ce recul massif s’est accompagné d’un effondrement de la contribution de l’industrie manufacturière à l’économie nationale : alors qu’elle représentait encore un quart de la valeur ajoutée en 1961, sa part tombe à seulement 11 % en 2010. En 2001, les secteurs de l’industrie et du bâtiment réunissaient encore un actif sur quatre.

Cette contraction du tissu industriel a affecté la compétitivité du pays. Entre 2000 et 2010, la France a vu sa part de marché à l’export reculer de 3,5 points, soit la plus forte baisse observée au sein de la zone euro. Les répercussions sur l’emploi sont aussi indirectes : selon certaines analyses, chaque poste industriel supprimé entraînerait la perte de trois emplois supplémentaires dans d’autres secteurs.

La période 2009-2013 est marquée par une véritable hémorragie : plus d’un millier de sites de production de plus de dix salariés cessent leur activité. Entre 2012 et 2017, ce sont encore 150 000 emplois industriels qui disparaissent.

Un retournement timide depuis le milieu des années 2010

À partir de 2015, la baisse des effectifs industriels semble marquer le pas. Entre 2017 et 2019, le secteur connaît même une embellie, avec des créations nettes d’emplois — une première depuis le début des années 2000. Dans son rapport Les métiers en 2030, publié en 2022, France Stratégie souligne que la tendance à la désindustrialisation s’est atténuée, et anticipe une stabilisation durable de la place de l’industrie dans l’économie. Mieux encore, certains métiers industriels qualifiés pourraient voir leurs effectifs progresser.

Sur le long terme, la valeur ajoutée de l’industrie a continué à croître en valeur absolue : elle passe de 28 à 41 milliards d’euros constants entre 1970 et 2019. Toutefois, cette hausse masque une perte d’importance relative, son poids dans la valeur ajoutée globale ayant chuté de 25 % à 13 %. Les données confirment une légère reprise de l’emploi industriel depuis 2017.

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