Se nourrir sainement sans détruire la planète ? Oui, c’est possible
Face à une crise alimentaire mondiale qui épuise la Terre autant qu’elle rend malades ses habitants, les chercheurs du réseau EAT-Lancet et du Centre français de recherche agronomique tracent les contours d’une révolution alimentaire : produire et consommer autrement, pour que bien manger ne soit plus un privilège.
Nourrir dix milliards d’humains sans épuiser la Terre. L’équation semble impossible, et pourtant, elle n’a jamais été aussi urgente à résoudre. Cinq ans après son premier rapport, la Commission EAT-Lancet revient avec une version actualisée de son étude fondatrice, publiée le 3 octobre 2025 dans The Lancet. Son objectif : définir comment garantir une alimentation saine à l’humanité tout en respectant les limites écologiques de la planète. Le CIRAD, centre français de recherche agronomique, y apporte une contribution décisive : replacer la justice sociale au cœur de cette transformation mondiale.
Depuis 2019, les déséquilibres n’ont fait que s’aggraver : la malnutrition sous toutes ses formes progresse, les émissions agricoles augmentent, la biodiversité recule. Cette mise à jour du rapport ne cherche pas à redire la même chose, mais à mesurer ce que l’humanité a fait, ou n’a pas fait, face à l’urgence d’un système alimentaire en crise.
La Commission EAT-Lancet réunit des scientifiques du monde entier autour d’une même question : comment nourrir sainement dix milliards d’humains sans détruire la planète ?
Créée en 2019 par le réseau EAT (basé en Norvège) et la revue médicale The Lancet, elle associe nutritionnistes, agronomes, climatologues et économistes. Son premier rapport a défini le « régime planétaire sain », une alimentation majoritairement végétale et sobre en viande, bénéfique pour la santé et pour l’environnement.
La nouvelle édition publiée en 2025, à laquelle a participé le CIRAD, actualise ces données et intègre une dimension sociale : conditions de travail, équité entre le Nord et le Sud et adaptation des régimes aux réalités locales. Elle propose ainsi les bases scientifiques d’un système alimentaire à la fois durable, sain et juste.
Depuis des décennies, l’agriculture et l’alimentation mondiales avancent à contre-courant du bon sens. La production intensive dégrade les sols, la déforestation s’accélère, les eaux se polluent et les régimes déséquilibrés favorisent obésité et maladies chroniques. Le nouveau rapport EAT-Lancet, fruit du travail de 42 chercheurs issus de 23 pays, dresse un constat sans ambiguïté : notre modèle actuel hypothèque notre avenir collectif.
Le « régime planétaire » : une boussole pour l’avenir
Face à ce constat, la Commission propose un modèle d’alimentation appelé « régime planétaire sain ». Il repose sur un principe simple : donner davantage de place aux aliments d’origine végétale et réduire la part des produits animaux. Fruits, légumes, légumineuses, noix, céréales complètes et huiles non saturées doivent composer l’essentiel de l’assiette, tandis que la viande rouge, le sucre et les produits laitiers deviennent occasionnels. Ce cadre n’est pas un dogme mais une orientation adaptable à chaque culture et à chaque territoire. Selon les chercheurs, une telle transition permettrait d’éviter jusqu’à onze millions de morts prématurées par an tout en maintenant l’agriculture dans les limites écologiques de la planète.

Le rôle du CIRAD : introduire la question de l’équité
Le CIRAD, dont le chercheur Damien Beillouin a participé à la méta-analyse du rapport, apporte une dimension essentielle : la justice sociale. Le Centre rappelle que moins de 1 % de la population mondiale vit aujourd’hui dans un système alimentaire à la fois bon pour la santé et soutenable pour l’environnement. Autrement dit, la quasi-totalité des habitants de la planète dépend de filières qui détruisent les écosystèmes ou entretiennent la précarité. Le CIRAD met des chiffres sur cette réalité : 32 % des travailleurs du secteur alimentaire gagnent moins qu’un salaire vital et la moitié des producteurs n’a accès à aucune protection sociale. La transition alimentaire, avertissent les chercheurs, ne réussira que si elle s’accompagne d’une transformation sociale en profondeur. Mais cette vision globale ne peut être appliquée uniformément : chaque région du monde a ses propres urgences et ses contraintes.
Des trajectoires multiples selon les territoires

Dans certaines régions d’Afrique ou d’Asie du Sud, où la sous-nutrition reste la première cause de mortalité, réduire la consommation de viande n’aurait aucun sens. Dans les pays riches, au contraire, la surconsommation de produits animaux et d’aliments ultra-transformés pèse lourdement sur la santé publique et le climat. Pour le CIRAD, la clé réside dans des systèmes alimentaires territorialisés, ancrés dans les ressources locales, valorisant les agricultures vivrières et la diversité des cultures. Produire autrement pour nourrir mieux : c’est dans cette articulation entre durabilité, souveraineté et justesse sociale que se joue l’avenir.
L’Europe face à ses contradictions
Ces recommandations interviennent dans un contexte où l’Union européenne reste prisonnière de ses propres incohérences. La Politique agricole commune (Pac) continue de soutenir massivement les élevages intensifs et les monocultures exportatrices, alors que Bruxelles s’est engagée à réduire de moitié l’usage des pesticides d’ici 2030. En France, la loi Egalim peine à améliorer la qualité de l’alimentation dans les cantines, tandis que les lobbys agroalimentaires freinent toute régulation des produits ultra-transformés. Le rapport EAT-Lancet rappelle que sans un changement de cap politique, aucune transition alimentaire ne sera possible. La science ne manque pas : c’est la volonté qui fait défaut.
En France, une inégalité qui se mange
Sur notre propre territoire, la fracture alimentaire est flagrante.Près de dix millions de personnes, selon les associations et les chiffres du Sénat, ont aujourd’hui recours à l’aide alimentaire pour se nourrir, régulièrement ou ponctuellement. Pendant ce temps, les fruits et légumes restent inaccessibles pour une partie croissante de la population. Les produits sains coûtent cher, les produits nocifs sont bon marché. Bref, bien manger est devenu un luxe. Pourtant, des initiatives locales montrent qu’une autre voie est possible. Des villes comme Montpellier, Rennes ou Strasbourg expérimentent des régies agricoles municipales ou des systèmes d’approvisionnement public fondés sur l’agroécologie. Partout, des collectifs citoyens militent pour une Sécurité sociale de l’alimentation, qui garantirait à chacun un accès à une nourriture de qualité sans condition de revenu. Ces expériences esquissent les prémices d’un modèle cohérent avec la vision EAT-Lancet.
Le coût du changement, le prix de l’inaction
Transformer les systèmes alimentaires mondiaux représente un investissement estimé entre 200 et 500 milliards de dollars par an. Mais les bénéfices attendus, en santé, en résilience climatique, en régénération des écosystèmes, pourraient atteindre 5 000 milliards par an. Le message est clair : ne rien faire coûterait dix fois plus cher que d’agir. Pour y parvenir, la Commission et le CIRAD identifient cinq leviers majeurs : adopter des régimes plus sains, transformer la production agricole, protéger les terres et les océans, réduire de moitié le gaspillage alimentaire et instaurer une gouvernance mondiale plus juste.
Redonner du sens à l’acte de nourrir

L’étude EAT-Lancet 2025, enrichie par la contribution du CIRAD, ne propose pas une utopie abstraite. Elle trace un chemin, fondé sur les faits, vers une humanité capable de se nourrir sans se détruire. Manger n’est pas un geste anodin : c’est un acte social, politique et écologique. Ce que nous mettons dans nos assiettes détermine le monde dans lequel nous vivons. Si nous voulons concilier santé, justice et durabilité, la transformation devra être à la hauteur de l’enjeu. Car changer de régime, au fond, c’est changer de société.
Et moi, que puis-je faire ?

Dans un système alimentaire déséquilibré, se nourrir sainement devient parfois un acte de protection. Mieux manger, de façon équitable et économique, n’exige pas de changer de vie, mais de retrouver du sens et du lien dans nos choix quotidiens.
- Manger simple et vrai.
Privilégier les aliments bruts, peu transformés, cuisinés à la maison quand c’est possible. Les légumes secs, les œufs, les céréales complètes ou les soupes de saison restent les meilleurs rapports qualité-prix pour la santé. - Redécouvrir la richesse du végétal.
Donner plus de place aux légumineuses, aux légumes et aux céréales complètes. Redécouvrir la variété du végétal sans renoncer au plaisir de la table. - Acheter autrement.
Les marchés, les coopératives, les AMAP ou les épiceries solidaires permettent d’accéder à de bons produits sans passer par les circuits industriels. Beaucoup proposent aujourd’hui des tarifs solidaires ou des paniers à prix libre. - Planifier, ne pas gaspiller.
Cuisiner un peu plus, conserver les restes, congeler les surplus. Le gaspillage alimentaire coûte cher à chacun : le réduire, c’est économiser tout en respectant les ressources. - Partager et se relier.
Cuisiner à plusieurs, rejoindre un jardin partagé, échanger des recettes, prêter un coup de main à un maraîcher local. L’alimentation redevient un lien social, pas seulement un acte de consommation. - S’informer pour se protéger.
Lire les étiquettes, repérer les labels crédibles, comprendre ce que l’on mange. Dans un monde saturé de marketing, l’esprit critique reste la meilleure défense contre les fausses promesses du « manger sain”. 
À l’échelle individuelle, ces gestes comptent. Mais sans transformation structurelle, ils ne suffiront pas à inverser la tendance.
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