Éditos

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Social-démocratie : ne pas jeter les militants avec l’eau du bain

On pourrait encore se bercer de l’illusion que la social-démocratie appartient à la gauche. Après tout, c’est en partie elle qui a façonné l’État-providence, arraché des victoires sociales majeures et permis aux classes populaires de respirer au sortir des ruines de la guerre. Mais ces avancées ne doivent pas empêcher de regarder le désastre en face : la social-démocratie a échoué. Échoué à contenir le capitalisme, échoué à tenir ses promesses d’égalité, échoué à offrir un monde plus juste.

Pendant qu’elle négociait ses petits compromis avec la finance, pendant qu’elle se convertissait à la « modernité » néolibérale dans les années 1980-1990, les inégalités se creusaient, les services publics s’érodaient et les travailleurs perdaient leurs droits. La « gauche de gouvernement », rebaptisée social-démocratie, a troqué la redistribution contre l’austérité, la protection sociale contre la flexibilisation, et les valeurs du mouvement ouvrier contre celles des marchés. Elle n’a pas résisté : elle s’est couchée.

Ce n’est pas une accusation gratuite, c’est un constat historique. En France, le Parti socialiste a fini par incarner la gestion douce du capitalisme, une variante rose pâle du libéralisme. En Allemagne, le SPD de Schröder a saigné l’État social avec les réformes Hartz 1. En Grande-Bretagne, Tony Blair a sanctifié la « troisième voie » 2, ce compromis bancal entre Wall Street et le peuple, qui n’a profité qu’aux premiers. Résultat : partout, la social-démocratie a laissé derrière elle une terre brûlée, un électorat désabusé, et une extrême droite triomphante qui prospère sur ses renoncements.

Alors, peut-on encore appeler ça « la gauche » ? Oui, dans les manuels d’histoire. Non, dans la réalité politique. La gauche, la vraie, ne se contente pas de repeindre le capitalisme en rose. Elle cherche à le dépasser, à le transformer radicalement, parce que le capitalisme et le libéralisme ne sont pas des partenaires de danse : ce sont des machines à broyer l’égalité.

Faut-il pour autant vouer aux gémonies les militants socialistes d’aujourd’hui ? Non. Car c’est là que se joue l’avenir. Le travail de la gauche authentique (écosocialiste, radicale, anticapitaliste) n’est pas de traiter avec mépris ceux qui croient encore à la social-démocratie, mais de leur tendre un miroir : regardez, vos réformes n’ont pas résisté au rouleau compresseur du capital. Ce que vous vouliez défendre, la solidarité, la justice sociale, l’émancipation, ne peut plus être obtenu sans une transformation en profondeur.

Ce n’est pas une question de nostalgie, mais de lucidité. Oui, il peut exister une libre entreprise qui serve l’intérêt collectif. Oui, la propriété peut conserver une place, si elle est raisonnable, dans la société. Mais tant que l’on se refuse à remettre en cause le capitalisme comme système, tout le reste n’est qu’emplâtre sur une jambe de bois.

L’heure est venue de dire les choses simplement : il ne faut surtout pas laisser les sociaux-démocrates retrouver leur leadership à gauche. La gauche ne renaîtra qu’en dépassant ses illusions perdues. Et le plus grand défi des prochaines années sera de convaincre, encore et toujours, que le changement n’est plus possible sans rupture.

(Photo Valéry-Xavier Lentz – CC)

Notes
1 – Les réformes Hartz désignent un ensemble de lois adoptées en Allemagne entre 2003 et 2005, sous le gouvernement du chancelier Gerhard Schröder. Elles comprennent quatre lois principales (Hartz I à IV), visant à augmenter la flexibilité du marché du travail, faciliter l’embauche et inciter à la reprise d’activité.
2 – La Troisième voie de Tony Blair désigne une doctrine politique développée au Royaume-Uni à la fin des années 1990, visant à dépasser l’opposition classique entre social-démocratie traditionnelle et néolibéralisme, et à rénover la gauche de gouvernement en misant sur l’adaptabilité, la méritocratie et le partenariat avec le marché.

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