Trump II : chronique d’une démocratie en péril
Réélu en novembre 2024, le président Donald Trump ne se contente plus de défier les normes démocratiques. Il les démantèle, méthodiquement. De Chicago à Washington, des salles de rédaction aux tribunaux fédéraux, l’Amérique assiste à une entreprise de captation du pouvoir dont l’ampleur devrait tous nous alarmer.
Il y a quelque chose de profondément troublant dans le parcours de Donald Trump. Revenu au pouvoir par les urnes, il continue pourtant de faire du soupçon électoral son arme favorite. Le grand mensonge de 2020, cette fraude qui n’a jamais existé, n’a jamais été contredite par son camp. Il flotte désormais comme une menace pour chaque scrutin à venir. Le message est limpide : si nous perdons, c’est qu’on nous aura volé la victoire. Cette rhétorique n’est pas un accident de parcours. Elle est la colonne vertébrale d’une stratégie qui vise à rendre l’exécutif incontestable, et ses pouvoirs quasi-absolus. Ainsi, la confiance dans l’arbitrage électoral, cette condition sine qua non de toute alternance pacifique, se fissure un peu plus chaque jour. C’est la première phase d’un plan d’ampleur menant droit à l’autocratie.
Quand les contre-pouvoirs tombent un à un
Les régimes autoritaires ne naissent pas toujours dans le fracas d’un coup d’État. Ils peuvent aussi s’installer de manière beaucoup plus insidieuses, lorsque les différentes digues du contre-pouvoir cèdent les unes après les autres.
Prenez la Réserve fédérale. En mars dernier, Trump a tenté de limoger Lisa Cook, l’une de ses gouverneures, économiste respectée et indépendante. L’objectif ? La remplacer par un fidèle. Un juge fédéral a bloqué l’opération in extremis. Mais l’intention était là, sans ambiguïté : faire plier une institution conçue pour échapper aux humeurs politiques.
Même scénario à la Commission fédérale du commerce. En septembre, la Cour suprême, désormais solidement ancrée à droite, a autorisé le président à évincer une commissaire 1. Un tabou est tombé : les autorités de régulation, censées être indépendantes, peuvent désormais être purgées au gré du pouvoir exécutif.
Trump ne s’en cache même plus. « J’utilise simplement le pouvoir présidentiel comme il est censé l’être », a-t-il déclaré. Traduction : la Constitution doit s’incliner devant ma volonté. L’équilibre des pouvoirs imaginé par les Pères fondateurs ? Un obstacle qu’on contourne, qu’on grignote, qu’on finit par neutraliser. Avec comme seule légitimité celle d’avoir été élu.
La presse qui ne le soutient pas est ennemie du peuple
Autre contre-pouvoir, la presse. La guerre de Trump contre les médias n’a jamais cessé. Elle s’est juste professionnalisée. Les insultes rituelles (« Fake News CNN », « ennemis du peuple ») ne sont plus de simples saillies. Elles s’accompagnent désormais d’actes concrets. En avril, le ministère de la Justice a abrogé les protections accordées aux journalistes et à leurs sources, un dispositif pourtant instauré sous Biden pour limiter les poursuites fédérales 2. Dans la foulée, la procureure générale Pam Bondi a ouvert des enquêtes ciblées contre plusieurs médias, sous le prétexte de traquer les « fuites illégales ». Le résultat est immédiat : autocensure, climat de suspicion, recul du pluralisme. Dans certaines rédactions, on compare déjà l’atmosphère actuelle à celle de pays où la presse libre n’existe que par tolérance du pouvoir.
Trump, lui, continue d’occuper tout l’espace en s’efforçant de détourner les électeurs des médias traditionnels et de les orienter vers des influenceurs à sa botte 3. Conférences-spectacles, humiliations en direct, saturation médiatique… Il impose son récit par la force de son omniprésence. Le débat public, lui, s’étiole.
Pire encore, Donald Trump n’hésite plus à s’attaquer à l’histoire et aux musées, jugés beaucoup trop « woke » à son goût.
L’armée comme bras armé politique
Il y a des images qui marquent une époque. Celle du déploiement massif de la police anti-immigration dans tous les états frontaliers est de celles-là. Encore plus symbolique, l’arrivée des gardes nationaux à Chicago contre l’avis du gouverneur de l’Illinois est une déflagration démocratique. Trump a justifié cette décision en décrivant la ville comme une « zone de guerre » gangrenée par le « terrorisme d’extrême gauche » 4. Le sénateur Dick Durbin a dénoncé une manœuvre « purement politique ». Un juge fédéral a suspendu le décret permettant le déploiement des troupes 5. Mais le scénario est maintenant rôdé : Los Angeles, Portland, Memphis, Washington D.C. sont autant de villes démocrates transformées en vitrines d’une présidence qui veut montrer ses muscles.
Le sommet a été atteint en août avec un décret présidentiel déclarant une « urgence criminelle » à Washington, permettant de placer la police locale sous contrôle fédéral. Sous couvert de rétablir l’ordre, Trump redéfinit la sécurité intérieure comme une extension de son autorité politique. La frontière entre maintien de l’ordre et intimidation a disparu.
Criminaliser l’adversaire
En octobre, Donald Trump a franchi une ligne rouge supplémentaire. Il a menacé publiquement de « faire emprisonner » certains élus démocrates, accusés de « haute trahison » pour leur opposition à son plan de sécurité nationale.
Ce n’est plus de la rhétorique politique. C’est de la criminalisation pure et simple de l’opposition. Dans son sillage, des figures du mouvement MAGA saluent désormais le président salvadorien, Nayib Bukele, pour avoir « nettoyé » son système judiciaire. Des appels explicites sont lancés pour que Trump fasse « de même » 6.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon l’Association des juges fédéraux, les menaces directes contre des magistrats ont augmenté de 40 % depuis janvier 7. Les institutions judiciaires ne sont plus simplement contestées. Elles sont désignées comme ennemies de la nation. C’est l’objectif des régimes autoritaires : remplacer la justice par la loyauté.
Le droit comme masque du pouvoir
L’une des formes les plus insidieuses des dérives autoritaires, c’est celle qui se drape dans la légalité. Trump ne viole pas toujours la loi. Il la réécrit, l’instrumentalise, l’étire jusqu’à la faire craquer.
Les décrets présidentiels s’enchaînent : suspension de protections environnementales, restrictions migratoires, extension des pouvoirs du FBI en matière de surveillance intérieure. Chacun d’entre eux est présenté comme une « mesure d’urgence ». Et derrière cette avalanche bureaucratique, une cohérence redoutable. À chaque fois, le principe d’indépendance recule. À chaque fois, la présidence s’enracine un peu plus. Le droit, conçu pour protéger, devient ainsi le masque légal de l’arbitraire. L’État de droit glisse vers l’État par le droit.
L’ombre de Poutine
À mesure que son pouvoir s’étend, Trump ne cache plus ses modèles. Erdogan, Xi Jinping, Kim Jong-un… et surtout Vladimir Poutine, qu’il qualifie de « leader brillant ».
Les parallèles sont glaçants : refus des contre-pouvoirs, contrôle des médias, usage politique de la justice, et même évocation d’une révision du XXIIᵉ amendement pour permettre un troisième mandat. « Je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas rester, si le peuple le veut », a-t-il déclaré en juin.
En Russie, Poutine a transformé le vote en rituel de légitimation. Aux États-Unis, Trump semble vouloir en faire un plébiscite permanent. Dans les deux cas, le suffrage universel reste la façade d’un pouvoir concentré entre les mains d’un seul homme.
La France loin d’être à l’abri
Il serait rassurant de croire qu’un tel scénario reste purement américain. Il ne l’est plus. En France, depuis plusieurs années, une partie du champ politique prépare mentalement le pays à tolérer la mise au pas des institutions. Le Rassemblement National en tête, mais aussi certains cadres des Républicains, multiplient les attaques contre la justice, le Conseil constitutionnel, les médias.
Marine Le Pen et Jordan Bardella parlent de « République des juges » pour disqualifier toute décision défavorable. Après la condamnation de Le Pen dans l’affaire des assistants parlementaires européens, le RN a dénoncé « l’exécution politique d’une opposante » 8 et 9. La justice devient un adversaire idéologique, non une garantie démocratique.
Chez Les Républicains ou à l’UDR, Bruno Retailleau et Eric Ciotti qualifient le Conseil constitutionnel de « pouvoir politique déguisé ». Le contrôle de constitutionnalité ? Une « entrave à la volonté populaire ». Une formulation qui ressemble étrangement aux argumentaires trumpistes.
Parallèlement, les médias indépendants sont accusés d’être « subventionnés », « idéologisés », « antinationaux ». Cette délégitimation vise à affaiblir la presse critique avant même d’accéder au pouvoir.
Plus inquiétant encore, certains élus évoquent déjà la réforme du Conseil constitutionnel pour limiter son pouvoir de censure ou la suppression du Parquet national financier, jugé « trop politisé ». Ces idées, autrefois marginales, trouvent aujourd’hui un écho jusque dans les cénacles institutionnels. Le discours de défiance contre les contre-pouvoirs est prêt. Il ne reste qu’à l’activer, le jour où la majorité politique qui le porte aura les moyens de l’imposer.
La France reste une démocratie robuste. Mais l’histoire américaine récente nous rappelle une vérité glaçante : aucune Constitution, aussi solide soit-elle, ne résiste longtemps si ses dirigeants décident d’en mépriser l’esprit.
Ce qui se joue outre-Atlantique n’est pas un spectacle lointain. C’est un avertissement.
(Photo Ron Rogers – CC)
Notes
1 – SCOTUSblog – Supreme Court allows Trump to fire FTC commissioner.
2 –Reporters Committee for Freedom of the Press – DOJ rescinds Biden-era protections for journalists & sources (30 avril 2025).
3 – The Washington Post – For Trump, media manipulation is his show of force (11 octobre 2025)
4 – Reuters – National Guard poised to enter Chicago as Trump calls for jailing Democratic leaders (8 octobre 2025)
5 – Reuters – Appeals court rejects Trump request to deploy National Guard in Chicago area (11 octobre 2025)
6 – The Guardian – MAGA figures back Bukele’s call for Trump to crack down on US judges (12 octobre 2025)
7 – Associated Press — Federal judges detail rise in threats as Trump ramps up criticism (31 juillet 2025)
8 – Le Monde — Condamnation de Marine Le Pen : « La rhétorique du « gouvernement des juges » vise moins à défendre la souveraineté du peuple que celle des gouvernants » (31 mars 2025)
9 – Le Monde — « Le Monde » publie les principaux extraits du jugement condamnant Marine Le Pen : « Un système mis en place pour alléger les charges du parti » (1ᵉʳ avril 2025)
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