Une « année blanche » pour le budget 2026 ? Une cure d’austérité déguisée
Derrière l’apparente rigueur comptable, le gel des dépenses publiques pourrait peser lourdement sur les services publics, aggraver les inégalités et freiner la relance économique.
Geler l’ensemble des dépenses publiques à leur niveau de 2025, sans revalorisation liée à l’inflation : la piste de « l’année blanche » semble faire son chemin. Lors de son audition devant le Sénat, ce mardi 17 juin, la ministre chargée des comptes publics, Amélie de Montchalin, s’est même déclarée prête à aider les élus à évaluer les gains possibles d’une telle mesure. Objectif affiché de la démarche : réduire rapidement le déficit public, qui atteindra 5,4 % du PIB en 2025, pour le ramener à 4,6 % en 2026, tout en évitant de nouvelles hausses d’impôts. Le tout pour se rapprocher du seuil des 40 milliards d’euros d’économies que le gouvernement s’est fixé pour redresser les finances publiques et respecter les règles budgétaires européennes.
Soutenue du bout des lèvres par une partie de la majorité présidentielle (Renaissance), notamment des députés comme Mathieu Lefèvre, qui la considèrent comme « la moins mauvaise des solutions », considérée comme « plausible et politiquement acceptable »par les centristes, elle est érigée en solution par la droite sénatoriale et Les Républicains, avec des figures comme Gérard Larcher, qui plaident pour un gel budgétaire « dans tous les domaines, y compris social ».
Baisse déguisée des moyens
Sur le fond, le principe de « l’année blanche » semble simple, voire simpliste : ne pas dépenser, en 2026, plus que ce qui a été engagé en 2025. Le gouvernement espère ainsi dégager 15 à 25 milliards d’euros d’économies brutes : près de 10 milliards sur les dépenses de l’État, 6 milliards sur la santé, 7 milliards sur les prestations sociales (retraites, SMIC, RSA…), 4 milliards sur les budgets des collectivités.
Pourtant, les besoins sociaux, eux, ne s’arrêteront pas en 2025. Avec une inflation estimée à 1,4 % en 2026, ce gel équivaudrait en réalité à une baisse déguisée des moyens réels pour l’État, les collectivités locales et la Sécurité sociale. Ce qui conduit le président de la commission des Finances de l’Assemblée et membre de LFI, Éric Coquerel, à qualifier cette proposition de « pire des méthodes », dénonçant son impact social et économique. Des experts et économistes, dont Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes, jugent quant à eux cette mesure insuffisante et plaident pour des réformes structurelles plutôt qu’un simple gel ponctuel.
Un impact social massif… et injuste
Le non-ajustement des prestations sociales face à l’inflation toucherait d’abord les ménages les plus modestes : allocataires du RSA, familles dépendantes des aides sociales, retraités aux pensions modestes. Le pouvoir d’achat de ces populations, déjà mis à mal par l’envolée des prix des biens de première nécessité, subirait un nouveau coup.
Le risque d’une augmentation de la pauvreté, notamment dans les territoires les plus fragilisés, est bien réel.
Les services publics, dont dépendent des millions de citoyens pour leur santé, leur éducation ou l’accès aux droits, subiraient quant à eux une dégradation mécanique : non-remplacement de personnels, retards dans les investissements, vieillissement des équipements. Ce scénario, déjà observé dans de nombreux hôpitaux et établissements scolaires, pourrait encore s’aggraver en 2026. Une fois de plus, les plus vulnérables seraient les premiers touchés.
Une mesure contreproductive pour l’économie
Au-delà de l’impact social, cette stratégie budgétaire risque également de peser sur l’activité économique. En réduisant la capacité d’achat des ménages et en affaiblissant le soutien public à la demande, le gel budgétaire pourrait freiner la croissance, prévue à seulement 0,6 % en 2026. Moins de consommation, moins d’investissements publics, des tensions sociales accrues : tous les ingrédients seraient réunis pour alimenter une spirale négative. Et, paradoxalement, plutôt que de contenir l’inflation, cette politique pourrait l’aggraver indirectement, par des effets de second tour liés aux hausses de prix ou aux revendications salariales.
Cette « année blanche » est une manière pour le gouvernement de répondre aux injonctions de Bruxelles ou de la Cour des comptes, tout en évitant d’ouvrir un débat démocratique sur la fiscalité et la redistribution. Or d’autres solutions pourraient contribuer au redressement des finances publiques : taxation accrue des plus hauts revenus, lutte renforcée contre l’évasion fiscale, révision des niches fiscales inefficaces… Des leviers plus efficaces et socialement plus justes que ce gel budgétaire qui risquerait de fragiliser le tissu social. Seront-ils au moins considérés ? Réponse à la mi-juillet, lorsque le gouvernement dévoilera ses décisions clés pour le budget 2026.
(Photo F.Blanc-CC)