Aides publiques : 211 milliards pour les entreprises sans réel suivi
Olivier Rietmann, président LR, et Fabien Gay, rapporteur PCF, ont présenté ce mardi 8 juillet à la presse les conclusions du rapport de la commission d’enquête « Transparence et évaluation des aides publiques aux entreprises ». Un domaine où l’opacité semble érigée en règle absolue.
211 milliards d’euros. C’est, selon la commission d’enquête du Sénat, le montant vertigineux des aides publiques versées aux entreprises françaises en 2023. Subventions, crédits d’impôt, exonérations sociales, prêts garantis, avantages fiscaux… un maquis de plus de 2 200 dispositifs qui s’empilent sans vision globale, sans évaluation rigoureuse et surtout, sans véritables contreparties. Pire : des fleurons de l’industrie, largement soutenus par la puissance publique, continuent de délocaliser, de licencier et de remplir les poches de leurs actionnaires.
Un capitalisme assisté mais pas contraint
Créée à la demande du groupe communiste au Sénat, la commission d’enquête avait trois objectifs : mesurer le coût réel des aides publiques aux grandes entreprises, en vérifier le bon usage, et proposer des conditions plus exigeantes, notamment en matière d’emploi. Le constat est accablant : il n’existe aucune base de données exhaustive, aucune cartographie fiable des bénéficiaires et aucune évaluation systématique de l’efficacité des aides.
Les entreprises elles-mêmes — auditionnées publiquement durant 87 heures — se sont souvent montrées incapables de dire combien elles touchaient et combien leurs sous-traitants percevaient. Le ministère de l’Économie ? Incapable d’actualiser une estimation pourtant essentielle. C’est dire l’ampleur de l’aveuglement organisé.
Des milliards en aides… et des plans sociaux en série
Ce qui choque le plus ? L’indécence de certaines situations. Le rapport cite des cas édifiants : Auchan, Michelin, ArcelorMittal, STMicroelectronics, LVMH… Tous ont touché des centaines de millions d’euros d’aides, tout en annonçant suppressions de postes, plans sociaux ou départs « volontaires », et en versant, dans le même temps, des dividendes astronomiques.
À titre d’exemple : Michelin, 1 254 suppressions de postes annoncées, 72,8 millions d’euros d’aides publiques en 2023-2024, et 1,4 milliard de dividendes distribués la même année. Ou encore ArcelorMittal, 600 suppressions de postes, 298 millions d’euros d’aides et une moyenne de 200 millions de dividendes versés chaque année depuis dix ans. Un hold-up légal, organisé avec la complicité des insitutions.
Conditionnalité : le tabou français
Face à cela, la commission propose un « choc de responsabilisation » : interdire l’octroi d’aides aux entreprises condamnées pour infractions graves, exiger leur remboursement en cas de non-respect des engagements et surtout exclure les aides publiques du calcul des dividendes. Une révolution de bon sens, déjà partiellement en vigueur en Allemagne, en Italie ou en Espagne. Tous ont en effet commencé à intégrer des clauses de maintien de l’emploi ou d’interdiction de délocalisation. En France, au nom d’une sacro-sainte liberté d’entreprendre, ces contreparties sont encore l’exception.
La commission déplore aussi l’absence de transparence institutionnelle : aucun tableau de bord, des données éclatées entre ministères, régions, agences, Europe… Résultat ? Impossible de piloter stratégiquement l’effort public, ni même de savoir où vont nos impôts.
Parmi les 26 recommandations figurent la création d’un registre simplifié des aides, un rapport annuel indépendant présenté au Parlement et un audit global des dispositifs existants. Objectif : diviser par trois le nombre d’aides d’ici 2030. A condition bien sûr que la volonté politique suive.
Une politique à repenser totalement
On subventionne à l’aveugle, sous prétexte de compétitivité, sans exiger de garanties sociales, écologiques ou économiques. Le « ruissellement » promis ne vient pas. Ce sont les actionnaires qui profitent des millions, pendant que l’État, bras ballants, regarde les plans sociaux se multiplier.
Pourtant, les outils existent. Ce qu’il manque ? Une volonté politique. Celle d’exiger des contreparties claires, de conditionner l’argent public à l’intérêt général. Car aider les entreprises n’a rien de scandaleux. Encore faut-il que cela serve à autre chose qu’à nourrir la logique du profit sans limite. Ce rapport du Sénat a le mérite de poser les bonnes questions. Il appartient désormais à la société civile de s’en emparer. Pour que l’argent public cesse d’alimenter un capitalisme sous perfusion et recommence à financer l’avenir.
(Photo Arthur Weidman – CC)