Les banques prospèrent, la population se serre la ceinture
En pleine crise budgétaire, alors que le gouvernement s’apprête à imposer
40 milliards d’euros d’économies, les banques européennes réalisent des profits boursiers historiques. Cette envolée spectaculaire, saluée par les marchés financiers, pose une question politique essentielle : à qui profite réellement la prospérité bancaire ?
Depuis le début de l’année 2025, les banques européennes enregistrent une progression fulgurante en Bourse. L’indice STOXX 600 Banks, qui regroupe les principales valeurs bancaires du continent, a bondi de près de 30 % en six mois. Ce mouvement est le plus fort enregistré depuis 1997.
Derrière cet indicateur, on retrouve des hausses spectaculaires : la Société Générale a vu sa valeur augmenter de 80% depuis janvier, atteignant des niveaux inédits depuis huit ans. UniCredit (Italie) a progressé de plus de 50 %. Banco Santander, en Espagne, s’est envolée de 57 %. Même Commerzbank, longtemps jugée fragile, atteint une valorisation record de plus de 30 milliards d’euros. Les dividendes s’annoncent exceptionnellement élevés, renforçant une dynamique d’enrichissement privé au bénéfice quasi exclusif des actionnaires.
Un « casse du siècle » et pas de mémoire collective
Ce « casse du siècle », comme le qualifient certains analystes, intervient dans un silence politique presque total. Pourtant, il interroge de manière fondamentale la mémoire collective : ce sont ces mêmes banques qui, en 2008, avaient été sauvées de la faillite par l’argent public. La crise des subprimes avait mis à nu les dérives du secteur financier. Les États avaient alors mobilisé des centaines de milliards d’euros pour sauver le système.
En France, le plan de soutien direct s’était élevé à plus de 20 milliards en plus des 77 milliards de prêts d’urgence. Mais cette intervention n’a été suivie d’aucune réforme structurelle, ni d’exigence de transformation du modèle bancaire.
Une prospérité privée, un appauvrissement public
Seize ans plus tard, aucune contrepartie n’a été exigée. Aucun mécanisme de redistribution, aucune fiscalité sur les superprofits, aucune obligation d’investissement dans l’économie réelle. L’argent public a sauvé les banques, mais les profits actuels ne bénéficient qu’aux actionnaires. Pendant ce temps, l’État affirme qu’il n’a plus les moyens de financer ses hôpitaux, ses écoles, sa politique climatique.
Le budget 2025 prévoit 40 milliards d’euros d’économies. L’austérité devient un objectif en soi, au nom de la soutenabilité de la dette. Mais ce contraste entre prospérité financière et régression sociale ne relève pas d’un impératif budgétaire : il traduit un choix politique.
Et si l’État reprenait la main ? Le rôle oublié des banques publiques
Ce choix n’est pas inévitable. Il résulte d’une orientation politique qui favorise la dérégulation, la rentabilité du capital et l’absence de contrôle public sur le crédit. Pourtant, d’autres voies sont possibles.
Des banques publiques, dotées d’un mandat clair — financement de la transition, relance des services publics, appui aux PME, soutien aux territoires — offriraient à l’État une véritable marge de manœuvre économique. Plutôt que de dépendre des marchés pour financer ses politiques, l’État pourrait s’appuyer sur des outils bancaires publics puissants, transparents et orientés vers l’intérêt général.
La nationalisation partielle ou le renforcement du rôle de structures comme la Banque Postale ou la Caisse des Dépôts permettrait de réinternaliser une partie de la création monétaire et de desserrer l’étau des politiques d’austérité. C’est une piste quasiment absente du débat public, pourtant essentielle dans un contexte où l’État se prive volontairement de ses leviers d’action (Nous y reviendrons).
Le retour en grâce des établissements financiers aurait pu être une opportunité de rééquilibrer les priorités économiques. Il n’en est rien. Pendant que les banques réalisent un casse en toute légalité, ce sont les citoyens qui paient la facture. À travers des services publics dégradés, une protection sociale affaiblie et une démocratie vidée de son contenu social. Ce n’est pas une crise budgétaire, c’est un choix de société.
Résultats record pour les banques françaises en 2024
L’année 2024 a déjà été exceptionnelle pour les grandes banques françaises. Selon les résultats annuels publiés début 2025 (source : Les Échos, février 2025), les principaux établissements affichent des profits en forte hausse, portés par la remontée des taux et la croissance des marges.
- BNP Paribas : bénéfice net de 11,2 milliards d’euros, en hausse de 8 %.
- Société Générale : bénéfice net de 5,6 milliards d’euros, en hausse de 12 %, avec un retour à la rentabilité après une restructuration.
- Crédit Agricole SA : bénéfice net de 6,4 milliards d’euros, en hausse de 9 %.
- BPCE (Banques Populaires / Caisses d’Épargne) : résultat net part du groupe de 4,1 milliards d’euros.
Les principaux bénéficiaires des excellents résultats des banques sont d’abord les actionnaires, qui touchent des dividendes en forte hausse et profitent de la valorisation de leurs titres. Viennent ensuite les dirigeants, dont la rémunération variable est souvent indexée sur la performance financière. Les salariés, en revanche, ne sont pas toujours associés à cette prospérité : dans plusieurs groupes, les hausses de salaires sont limitées et les effectifs parfois réduits. L’État, de son côté, bénéficie indirectement via l’impôt sur les bénéfices, mais dans des proportions bien moindres que les actionnaires.
Paradoxalement, certaines banques utilisent leurs bons résultats pour engager des plans de restructuration, réduire le nombre d’agences ou automatiser davantage leurs services. Dans le même temps, les frais bancaires augmentent pour les particuliers, accentuant le sentiment d’injustice : alors que les banques se portent mieux que jamais, la qualité du service pour le grand public se dégrade.