Économie

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Italie : le « miracle » Meloni n’existe pas

Depuis qu’elle est arrivée au pouvoir en octobre 2022, Giorgia Meloni est devenue pour l’extrême droite européenne une vitrine : celle de la dirigeante qui aurait redressé l’Italie, rendu du pouvoir d’achat à tous, fait baisser la pauvreté et fermé la porte aux migrants. Une success-story tellement belle que certains voudraient l’importer telle quelle en France.

Sauf que derrière les slogans, les chiffres racontent une tout autre histoire. Oui, certains indicateurs se sont améliorés. Mais aucun miracle : la pauvreté reste à un niveau record, le pouvoir d’achat peine à revenir à son niveau d’avant-crise… et l’Italie a en réalité augmenté son immigration de travail. Analyse chiffres à l’appui.

La pauvreté ? Stable… mais à un niveau record

Les visuels qui circulent comparent parfois l’Italie et la France depuis 2017 pour conclure que la pauvreté aurait baissé là-bas¹. Un joli graphique, mais trompeur : d’abord, parce que l’essentiel de cette baisse a eu lieu avant Meloni. Et surtout, parce que l’Italie reste bien plus pauvre que la France sur les indicateurs européens².

Dans les faits, l’extrême pauvreté en Italie touche encore près de 9,7 % de la population³ – un record depuis 2014, date à laquelle l’Istat, l’institut statistique italien, a commencé à mesurer cet indicateur. Cela représente 5,75 millions de personnes qui n’ont pas les moyens de payer un panier de biens essentiels. La précarité matérielle, elle, a même augmenté en 2024⁴.

En France, la pauvreté monétaire a bondi en 2023, atteignant 15,4 % de la population⁵. Mais ce triste record français ne rend pas l’Italie « vertueuse » pour autant : là-bas, la pauvreté est simplement plus élevée depuis longtemps.

Pouvoir d’achat : un rattrapage, pas un bond

C’est l’autre promesse brandie : les Italiens auraient retrouvé un véritable pouvoir d’achat. En réalité, l’inflation a été bien plus forte qu’en France en 2022 (12,6 % contre 7,1 %)⁶ et les salaires réels restent aujourd’hui inférieurs à leur niveau de 2021⁷.

Giorgia Meloni a bien baissé les cotisations pour les bas et moyens salaires⁸, ce qui a donné un petit coup de pouce sur les fiches de paie. Il est question de dizaines d’euros par mois, pas d’un choc massif. La réalité : on recolle doucement aux niveaux d’avant-crise, mais on n’y est pas encore.

Emploi : des chiffres solides… mais beaucoup de travailleurs pauvres

L’Italie affiche un chômage historiquement bas, autour de 6,3 %⁹, et un taux d’emploi record10. Là-dessus, difficile de nier une dynamique positive. Mais elle ne se traduit pas par une baisse de la pauvreté, parce qu’une part importante des emplois sont précaires ou mal payés. Travailler ne garantit pas de vivre dignement.

Budget : un « surplus » qui cache toujours un déficit

Rome se félicite d’avoir dégagé un excédent primaire (budget hors intérêts de la dette) d’environ 9 milliards d’euros¹¹ en 2024. C’est vrai. Mais le déficit global reste à 3,4 % du PIB¹² et la dette publique flirte avec les 137 %, quand la France est à 113%. Autant dire que ce n’est pas la révolution budgétaire vendue par ses soutiens.

Commerce extérieur : un atout ancien, pas un coup de baguette magique

Autre chiffre brandi, l’excédent commercial de l’Italie, qualifié de « record historique » par ses soutiens. Oui, en 2024 l’Italie a dégagé un large excédent¹³, porté par l’énergie moins chère et ses secteurs phares (la mécanique, l’agroalimentaire, la mode, le design). Mais ce n’est pas une nouveauté : l’Italie est depuis longtemps une économie très tournée vers l’exportation¹⁴, avec des excédents récurrents bien avant Meloni. Présenter ce résultat comme une « révolution » est donc trompeur.

Immigration : le grand écart entre le discours et la réalité

C’est sans doute la plus grosse différence entre le récit et les faits. Giorgia Meloni avait promis de « fermer les frontières » et de réduire drastiquement l’immigration. Dans les faits, son gouvernement a ouvert un plan triennal pour accueillir 452 000 travailleurs étrangers15 entre 2023 et 2025, dans la construction, l’agriculture, la restauration et l’aide à domicile.

Pourquoi ? Parce que l’Italie vieillit, manque de main-d’œuvre et que son économie ne tourne pas sans immigration16. Côté immigration irrégulière, les arrivées par mer ont explosé en 2023 avant de baisser en 202417 — une variation largement liée aux conditions extérieures.

La vérité derrière la vitrine

L’extrême droite essaie de vendre l’Italie de Meloni comme la preuve qu’avec ses idées, la pauvreté recule, les salaires grimpent et les frontières se ferment. Les chiffres montrent au contraire que : la pauvreté reste à son plus haut niveau depuis 10 ans ; le pouvoir d’achat se contente de rattraper une partie de ce qu’il a perdu ; l’Italie a besoin d’immigration et l’organise massivement ; son excédent commercial vient d’une force structurelle ancienne, pas d’un miracle récent.

Si c’est ça, le « miracle » qu’on promet aux Français, alors il repose surtout sur un art maîtrisé : celui de raconter une histoire qui arrange. Quitte à oublier les faits.

(Photo © European Union – GAETAN CLAESSENS – CC)

Notes
 
¹ Eurostat – At-risk-of-poverty rate (Italie/France)
  ² TradingEconomics – At Risk of Poverty Rate
  ³ Istat – Povertà 2023
  ⁴ Save the Children – Privazione materiale 2024
  ⁵ INSEE – Pauvreté 2023
  ⁶ Eurostat – HICP Oct. 2022
  ⁷ OCDE – Real wages 2025
  ⁸ Ministère du Travail Italie – Taglio del cuneo fiscale
  ⁹ Istat – Chômage Juin 2025
  ¹⁰ Istat – Emploi T4 2024
  ¹¹ Istat – Solde primaire 2024
  ¹² Commission européenne – Prévisions Italie
  ¹³ ISTAT – Statistiche sul commercio estero
  ¹⁴ Commission européenne – Italy Trade Profile
  ¹⁵ Ministère de l’Intérieur Italie – Decreto flussi 2023-2025
  ¹⁶ Banque d’Italie – Considérations 2024
  ¹⁷ UNHCR – Arrivées par mer

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