Société

Société

L’histoire, champ de bataille des extrêmes droites

« L’histoire appartient aux vainqueurs ». De tout temps, les pouvoirs autoritaires ont cherché à réinventer le récit national à leur avantage. Les dictatures du XXe siècle l’avaient bien compris. Et Orwell prophétisait : « qui contrôle le passé contrôle l’avenir ». Aujourd’hui, la résurgence des nationalismes s’accompagne d’une offensive mondiale inquiétante sur la mémoire collective. Partout, l’extrême droite veut imposer sa version de l’histoire, fût-ce au mépris total des faits.

Aux États-Unis, Donald Trump donne le ton. En croisade, il s’est très rapidement après son élection vanté d’ordonner une enquête fédérale sur les musées qu’il accuse d’être trop « woke ». Leur tort ? Raconter sans fard les pages sombres de l’histoire américaine, comme l’esclavage, ce que le président ne tolère plus. Effacer des pans entiers du passé au nom de l’« anti-wokisme », l’idée fait florès dans son camp. D’autres exemples abondent à travers le globe. En Pologne, le gouvernement ultra-conservateur a fait voter une loi mémorielle qui punit de trois ans de prison quiconque évoquerait la moindre complicité polonaise dans les crimes nazis. Dans le même esprit, un proche du pouvoir y a remanié le musée de la Seconde Guerre mondiale de Gdańsk pour « colorer » l’exposition de nationalisme et mettre l’accent exclusif sur la souffrance polonaise. On l’aura compris : partout où ils montent en puissance, les nationalistes réécrivent l’Histoire à leur main.

Une réécriture inquiétante

La France n’est pas épargnée. L’extrême droite, bien aidée par les médias du groupe Bolloré, s’emploie à remodeler le passé pour servir son projet. Ses ténors et ses influenceurs n’hésitent plus à inverser les rôles. Ainsi osent-ils prétendre que les nazis, parce qu’ils étaient « nationaux-socialistes », auraient été… de gauche ! Les historiens sérieux s’étranglent devant cette énormité : le mot « socialiste » chez Hitler n’était qu’un vernis opportuniste pour séduire les ouvriers, rappelle l’historien Nicolas Patin. Dès son arrivée au pouvoir en 1933 (sans être majoritaire, contrairement à ce que beaucoup aiment laisser à penser) , le régime nazi a interdit le Parti communiste, pourchassé les socialistes et brisé les syndicats. Autre falsification grossière : minimiser, voire nier, le rôle des communistes dans la Résistance, notamment en raison du pacte de non-agression germano-soviétique, pour mieux récupérer l’héritage résistant à l’extrême droite. Ce révisionnisme à rebours défie l’entendement, quand l’on sait qu’une grande partie des maquisards de 1940-1944 étaient de gauche (communistes, socialistes, gaullistes de gauche), même si le PCF n’a appelé à la lutte armée qu’en 1941, tandis que bon nombre d’éléments d’extrême droite collaborèrent avec l’occupant nazi. Un comble historique !

Le plus grave est sans doute l’entreprise de réhabilitation du pire. Certains conservateurs Outre-Atlantique vont jusqu’à relativiser la nocivité du nazisme. On se souvient du rappeur Ye ou de quelques figures de l’alt-right vantant Hitler. Elon Musk a récemment jugé devant l’AFD, l’extreme droite allemande, qui n’en demandait pas tant, qu’on insistait « trop sur la culpabilité du passé » en évoquant les crimes nazis.

La dédiabolisation toujours au programme

En France, Jean-Marie Le Pen avait jadis qualifié les chambres à gaz de « détail » de la Seconde Guerre mondiale, dérapage négationniste assumé qui en dit long sur la tentation de minimiser les abominations fascistes. Plus près de nous, Eric Zemmour a tenté sur CNews de repeindre Pétain en « protecteur » des Juifs de France, thèse heureusement démontée par les travaux de vrais historiens. La bataille du récit se joue donc sur tous les fronts : Vichy blanchi, le fascisme dédouané et la résistance récupérée. À chaque fois, l’objectif est le même : banaliser l’extrême droite en la déconnectant de son héritage violent et xénophobe et renvoyer les crimes passés sur le camp adverse.

Des intellectuels alertent sur le danger de ces manipulations. « Le révisionnisme a toujours été et demeure une caractéristique de l’extrême droite », souligne l’historien Laurent Joly, pour qui ces faussaires n’hésitent pas à mentir, à falsifier et à tordre les faits afin de faire triompher un projet politique fondé sur le racisme. De son côté, l’historien Johann Chapoutot observe la façon dont la sphère médiatique proche de l’extrême droite s’active à « dédiaboliser » ce camp, gommant sciemment l’idée même du danger fasciste. Plus inquiétant encore, une nouvelle génération d’enseignants ou de pseudo « experts » acquis à ces thèses commence à distiller ces contre-vérités, flirtant avec le révisionnisme dans les salles de classe et les colonnes de certains magazines. Des spectacles historiques, financés notamment par le milliardaire Pierre-Edouard Stérin, sont aussi créés pour essayer de reprendre en main l’histoire de France. Cette mainmise rampante sur le passé n’a rien d’anodin : elle vise à façonner les esprits pour légitimer, demain, l’arrivée de ces extrémistes au pouvoir.

L’histoire n’est pas un jouet idéologique. La mémoire des nations mérite mieux que les contes frelatés des extrêmes droites. En France, face à la tentative de reprogrammer le roman national à des fins partisanes, la vigilance s’impose. Défendre la vérité historique n’est pas un caprice d’« intellectuels woke », c’est un impératif démocratique. Car falsifier les horreurs d’hier, c’est préparer les dérives de demain.

(Photo D.R.)

Notre site est accessible, sans abonnement, sans mur payant, sans publicité, parce que nous voulons que tous ceux qui le souhaitent puissent lire et partager nos articles.

Mais ce choix a une contrepartie : sans vos dons, déductibles des impôts, Le Nouveau Paradigme ne peut pas exister.

Nous dépendons donc exclusivement du soutien de nos lectrices et lecteurs.

Je fais un don pour LNP

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Back To Top