Éditos

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Plan alimentaire : l’Etat choisit les lobbies plutôt que la santé publique

Le gouvernement vient de prendre une décision qui en dit long sur ses priorités. Dans la nouvelle stratégie nationale consacrée à l’alimentation, à la nutrition et au climat, publiée aujourd’hui après deux années de retard, la mention invitant à limiter les aliments ultra-transformés a été supprimée. Effacée discrètement. Rayée au dernier moment. Cette disparition est lourde de sens, car elle intervient au moment où les preuves scientifiques sur la dangerosité de ces produits s’accumulent.

Selon les révélations de la Cellule investigation de Radio France, le ministère de la Santé souhaitait maintenir cette référence, tout comme le ministère chargé de l’écologie. Le ministère de l’Agriculture, en revanche, refusait fermement que l’expression « aliments ultra-transformés » figure dans le texte. Matignon a tranché en sa faveur. Ce choix ne relève ni de la nuance ni du débat sémantique. Il marque un alignement clair sur les positions de l’industrie agroalimentaire, qui conteste depuis des années l’existence même de cette catégorie d’aliments.

Ce recul politique arrive pourtant alors que la recherche internationale franchit un seuil. La revue scientifique The Lancet vient de publier une série d’analyses montrant que les aliments ultra-transformés ne sont pas seulement « moins bons pour la santé ». Ils constituent un moteur majeur de la hausse mondiale de l’obésité, du diabète de type 2, des maladies cardio-vasculaires, de certains cancers et même de la dépression. Les travaux publiés s’appuient sur des cohortes suivies pendant des années, des essais cliniques en conditions contrôlées et des comparaisons menées dans près d’une centaine de pays. Les résultats convergent tous vers la même conclusion. Plus ces produits occupent de place dans l’alimentation, plus les risques de pathologies graves augmentent.

Ces aliments ne se contentent pas d’être trop sucrés, trop salés ou trop gras. Ils sont conçus pour stimuler la surconsommation. Les procédés industriels modifient profondément la texture et la structure des aliments, ce qui pousse à manger plus vite et en plus grande quantité. À cela s’ajoute l’exposition à certains additifs, à des contaminants formés lors des process industriels ou à des substances provenant des emballages. La recherche montre également que ces produits remplacent les aliments bruts qui protègent la santé, ce qui aggrave encore leur impact.

Dans un tel contexte, la suppression de la mention « limiter les aliments ultra-transformés » n’est pas un détail administratif. C’est une décision politique qui va à rebours des connaissances scientifiques. Pire, elle affaiblit volontairement la capacité de l’État à informer et protéger la population. Elle revient à nier un problème documenté, pour ne pas contrarier les industriels qui profitent du modèle actuel. L’Association nationale des industries alimentaires réclame depuis longtemps une « redéfinition » de la notion d’ultra-transformation. Le gouvernement lui offre aujourd’hui ce qu’elle souhaite.

Pendant que la recherche alerte, les responsables politiques reculent. Pendant que des millions de familles peinent déjà à accéder à une alimentation saine, l’exécutif renonce à signaler les produits les plus nocifs. Pendant que les maladies liées à l’alimentation pèsent lourdement sur la Sécurité sociale et frappent d’abord les milieux populaires, le Premier ministre et le président avalisent un texte qui ménage les intérêts privés plutôt que la santé publique.

Ce renoncement équivaut à accepter que des produits conçus pour être hyper-appétents, parfois proches du mécanisme addictif, continuent à envahir les rayons sans la moindre contrainte sérieuse. Il revient à privilégier les marges des multinationales plutôt que la prévention des cancers ou du diabète. Il confirme surtout une tendance inquiétante. Chaque fois qu’un choix politique oppose la santé publique aux intérêts économiques des plus puissants, ce sont les seconds qui l’emportent.

Les mesures qui permettraient d’agir réellement sont connues. Interdire la publicité pour les aliments les plus nocifs, comme on l’a fait pour le tabac. Encadrer strictement la composition des produits. Fixer des limites claires. Rendre visibles les risques. Réduire leur présence dans les cantines, dans les distributeurs, dans les enseignes qui ciblent les enfants. Rien de tout cela ne figure dans la stratégie publiée aujourd’hui. Au contraire, l’État se contente de promettre davantage de sensibilisation et de pédagogie, comme si l’on pouvait régler une épidémie de maladies chroniques en expliquant aux consommateurs qu’ils doivent mieux choisir.

Cette responsabilité politique est immense. Elle ne pourra pas être effacée comme l’a été la mention supprimée du document. Le gouvernement ne pourra pas dire qu’il ne savait pas. Il ne pourra pas prétendre découvrir, dans quelques années, que les maladies chroniques explosent et que le coût humain est insupportable. Les connaissances étaient là. Les avertissements aussi. Les scientifiques ont fait leur travail. Ce sont les pouvoirs publics qui ont choisi de s’en détourner.

Ce choix aura des conséquences durables. Il met en danger les prochaines générations en s’alignant sur les exigences de l’industrie au lieu de protéger les citoyens. Il trahit le rôle fondamental de l’État qui devrait être de garantir que les produits autorisés à la vente n’aggravent pas massivement les risques de maladie. Ce qui vient de se jouer ne relève pas de l’oubli ni de la maladresse. C’est un acte politique accompli en pleine conscience. Un acte qui, pour beaucoup de familles, se paiera en années de vie perdues. Un acte dont le Premier ministre et le président portent désormais la responsabilité.

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