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Affection Longue Durée : pourquoi les propositions de François Bayrou sont dangereuses pour la santé… et l’emploi

Le Premier ministre a récemment présenté des pistes pour réaliser 43,8 milliards d’euros d’économies en 2026, dont 5 milliards à la charge du secteur de la santé. Parmi les mesures phares figure une réforme du dispositif d’Affection Longue Durée (ALD), un mécanisme qui garantit aujourd’hui à plus de 13 millions de Français atteints de maladies graves ou chroniques une prise en charge quasi totale de leurs traitements. Zoom sur les conséquences concrètes de ces orientations politiques.

  • Qu’est-ce que l’Affection Longue Durée ?
     
    Le dispositif Affection de Longue Durée (ALD) désigne en France la prise en charge d’une maladie grave ou chronique nécessitant un traitement prolongé et souvent coûteux. Il englobe une trentaine de pathologies reconnues par l’Assurance maladie, telles que le cancer, le diabète ou la sclérose en plaques. L’inscription en ALD donne droit à une prise en charge à 100 % des soins et des traitements liés à cette maladie, sans avance de frais, grâce à une exonération du ticket modérateur. Ce dispositif vise à garantir un suivi médical adapté tout en limitant l’impact financier des soins longs et coûteux pour les patients. La reconnaissance de l’ALD se fait via un protocole thérapeutique établi par le médecin traitant et validé par l’Assurance maladie, renouvelable selon l’évolution de la pathologie.
  • Fin du remboursement intégral des médicaments sans lien direct avec l’ALD
    À ce jour, toute personne en ALD bénéficie donc du remboursement total des médicaments liés à sa maladie. La réforme entend restreindre ce droit aux seuls traitements jugés spécifiquement liés à l’affection principale. Par exemple, un patient diabétique pourrait ne plus être remboursé à 100 % pour des médicaments prescrits pour d’autres pathologies. Les critères définissant ce « lien direct » n’ont pas encore été précisés, ce qui entretient une incertitude sur les modalités d’application. 
  • Accès restreint au statut ALD et sorties possibles du dispositif
     
    Le gouvernement souhaite également durcir les critères d’entrée dans le régime ALD et prévoir des sorties pour les patients dont la maladie serait considérée comme stabilisée. Des affections comme le diabète de type 2 sans complication ou certaines pathologies rénales légères pourraient ainsi ne plus ouvrir droit à ce statut. Un renforcement des contrôles médicaux réguliers est également envisagé. Des orientations qui suscitent de vives inquiétudes quant à la continuité de la couverture et au suivi médical des malades concernés.
  • Quid des patients en rémission complète d’un cancer ?
     
    En France, environ 3,8 millions de personnes vivent avec un diagnostic de cancer, un chiffre incluant à la fois les malades en phase active et ceux en rémission. Le projet de réforme envisage de retirer le statut ALD aux patients en rémission complète, en les faisant basculer sous un dispositif de suivi renforcé. Concrètement, leurs soins ne seraient plus systématiquement exonérés. Toutefois, si une rechute ou une aggravation de la pathologie survenait, le statut ALD pourrait être réactivé. Cette suppression génère elle aussi de nombreuses craintes. Ses retombées sont difficiles à mesurer puisque qu’aucune donnée chiffrée spécifique sur le nombre de malades en rémission n’est disponible. 
  • Inquiétudes du monde médical et associatif
     
    De nombreuses associations de patients et collectifs de malades chroniques se mobilisent contre cette réforme jugée trop restrictive. Dans une lettre ouverte au ministre de la Santé, vingt-cinq associations représentant des pathologies telles que les cancers, le diabète ou la maladie d’Alzheimer dénoncent un « démantèlement » du dispositif, et alertent sur une volonté de réaliser des économies « au détriment des plus fragiles ». Elles rappellent que l’ALD est essentielle pour garantir l’accès à des traitements souvent longs et coûteux et qu’elle constitue un pilier du système de santé solidaire. Regrettant l’absence de concertation, elles appellent à des solutions élaborées conjointement, prenant en compte les réalités des patients et la nécessité de maintenir une protection équitable.
     
  • Un reste à charge significatif pour les personnes en ALD
     
    D’après un rapport de l’Inspection générale des finances et de l’Assurance maladie, la dépense annuelle moyenne de soins pour une personne en ALD atteint 9 300 €, pour un reste à charge de 840 €, un montant plus élevé que pour la population générale à âge comparable, et ce jusqu’à 80 ans. Cette différence s’explique par la fréquence accrue des consultations, hospitalisations et prescriptions non entièrement remboursées.
      La situation est particulièrement marquée chez les assurés les plus vulnérables : en moyenne, les bénéficiaires de l’ALD sont plus âgés (65 ans contre 41 pour la population générale) et appartiennent souvent à des catégories sociales précaires. Ainsi, malgré le rôle protecteur du dispositif, une part importante de ces patients reste confrontée à une charge financière lourde.
  • Vers un risque d’abandon de l’emploi pour certains patients
    Lorsqu’un patient perd le statut d’Affection de Longue Durée, il doit à nouveau payer une grande partie de ses soins, qui peuvent être très coûteux. De plus, il n’a plus droit aux arrêts maladie longue durée bien indemnisés. S’il ne peut pas reprendre son travail à temps plein à cause de sa maladie, il risque donc de se retrouver sans revenu de remplacement suffisant. Sans l’ALD, il est aussi plus difficile de justifier ses absences pour soins ou d’obtenir des aménagements d’horaires auprès de son employeur. Face à ces difficultés financières et administratives, certaines personnes malades sont contraintes de s’arrêter complètement de travailler, voire de demander une pension d’invalidité.
     
  • Et pour tout le monde, la franchise médicale doublée
    La franchise médicale est une somme déduite des remboursements de la Sécurité sociale pour certains actes : 1 € par boîte de médicament, 1 € par acte paramédical (plafonné à 4 € par jour), et 4 € par transport sanitaire (jusqu’à 8 € par jour). Actuellement, le montant annuel est limité à 50 € par assuré. Le projet prévoit de doubler ce plafond, ce qui signifie que chaque assuré pourrait devoir payer jusqu’à 100 € par an, sans possibilité de prise en charge par sa complémentaire santé. Soit 200 euros par an pour un couple. Les mineurs et les femmes enceintes resteraient toutefois exonérés. 

Au-delà des économies espérées, la réforme pourrait entraîner une série de conséquences en chaîne : renoncements aux soins, aggravation des pathologies, perte d’emploi et précarisation accrue. Dans un contexte de progression des maladies chroniques et de vieillissement de la population, nombreux sont ceux qui plaident pour un dispositif renforcé, davantage préventif et solidaire.
  Cette réforme soulève donc un enjeu fondamental d’équilibre entre impératifs budgétaires, solidarité sociale et santé publique. Elle appelle une réflexion transparente et concertée, afin d’éviter que l’effort ne repose principalement sur les plus fragiles. Sans cette vigilance, c’est l’un des piliers de la protection sociale qui pourrait vaciller, avec des répercussions lourdes pour les malades chroniques et la société dans son ensemble.


Comparaison des systèmes de santé français et allemand

20 % de Français en ALD, 5 % d’Allemands : une illusion statistique

 
  Lors de sa présentation des réformes, François Bayrou a avancé un chiffre marquant : environ 20 % des Français sont en Affections de Longue Durée (ALD), contre seulement 5 % des Allemands, tout en affirmant que cela ne reflétait pas de différences majeures en matière de santé entre les deux pays. Cette comparaison, souvent reprise, mérite toutefois d’être nuancée.

Le dispositif français des ALD repose sur un principe fort de solidarité : il permet une prise en charge intégrale des soins liés à une pathologie chronique grave. L’Allemagne ne dispose pas d’un système équivalent.
  Le modèle allemand s’appuie sur une combinaison de franchises annuelles, de cotisations obligatoires, d’assurances complémentaires et d’aides sociales. Il ne classe pas les patients en fonction de leurs pathologies comme en France.
  Dans l’Hexagone, seuls les patients atteints de maladies inscrites sur une liste officielle, validée par un médecin-conseil, peuvent accéder à l’ALD, bénéficiant alors d’une exonération du ticket modérateur. À l’inverse, l’Allemagne applique une franchise proportionnelle au revenu (environ 1 à 2 %) sans classification comparable.

Des inégalités plus marquées Outre-Rhin

Le taux plus faible de bénéficiaires outre-Rhin ne traduit donc pas une meilleure santé publique, mais une différence d’organisation. En France, le champ des ALD s’est progressivement élargi, incluant des affections modérées comme le diabète de type 2, ce qui explique en partie les 20 %.
  De plus, le reste à charge peut être plus lourd en Allemagne, malgré les plafonds. Le système français protège mieux les foyers modestes, alors que l’accès aux aides allemandes varie fortement selon les régions et le statut social.
  Si les indicateurs de santé comme l’espérance de vie sont globalement comparables, les inégalités d’accès aux soins et le renoncement pour raisons financières sont plus marqués en Allemagne.
  En résumé, comparer les taux d’ALD entre les deux pays est peu pertinent : ils relèvent de systèmes différents, fondés sur des choix politiques distincts. Le taux plus élevé en France reflète avant tout une volonté d’élargir la solidarité, au prix d’un effort budgétaire plus important.

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