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Budget de la Sécu : que peut encore sauver la gauche ?

À l’heure où le gouvernement mise tout sur un vote hautement incertain, la gauche se divise entre compromis assumé, refus net et vertige institutionnel. Une séquence qui révèle surtout le glissement continu du Parti socialiste vers le bloc macroniste.

Pour la première fois depuis 2022, l’Assemblée nationale s’apprête à voter solennellement, ce mardi, le budget de la Sécurité sociale. Sébastien Lecornu a fait un pari politique aussi spectaculaire que risqué : se passer du 49.3, quitte à s’en remettre entièrement à un Parlement que son mouvement politique a pourtant longtemps contourné. Le Premier ministre joue son mandat, son autorité et la crédibilité d’un exécutif fragilisé puisqu’un rejet du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) entraînerait très probablement, quelques semaines plus tard, un vote négatif sur le budget de l’État et donc une situation institutionnelle inédite.

La gauche, elle, se retrouve placée devant une responsabilité qui n’a rien d’abstrait. Le vote du PLFSS devient un moment de vérité pour des forces politiques tiraillées entre l’exigence de justice sociale et la crainte de servir de déclencheur à une crise politique majeure. Dans cette séquence où chaque geste peut renverser l’équilibre déjà précaire du paysage parlementaire, le Parti socialiste choisit une voie qui concentre à elle seule toutes les contradictions de son histoire récente.

Un Parti socialiste qui glisse vers le centre

La décision d’Olivier Faure d’appeler son groupe à voter pour ce PLFSS marque un tournant décisif. Le premier secrétaire du PS présente ce budget comme « passable » et affirme qu’il faut désormais « à notre tour être fiables » pour permettre son adoption, estimant que le Premier ministre « s’est montré fiable dans toute la discussion ». Il insiste sur les reculs arrachés au gouvernement, notamment la suppression du gel des pensions et du gel des prestations sociales ou encore l’abandon du doublement des franchises médicales. Mais cette stratégie, loin d’incarner un renouveau, fait écho à ce qui a longtemps éloigné des millions d’électeurs : la compromission permanente, la politique du moins pire, la justification du recul par la peur d’un scénario alternatif.

Les échanges rapportés par Le Monde (1) illustrent ce glissement progressif vers le centre. Jérôme Guedj, l’un des artisans du compromis, n’a pas hésité à confier à Elisabeth Borne et à Aurélien Rousseau : « On aurait dû commencer en 2022. » Cette phrase, qui n’est pas anodine et révèle un basculement profond. Elle dit qu’une partie du PS regrette presque la Nupes et assume désormais une convergence politique avec le bloc macroniste. Elle dit aussi que ce vote n’est pas seulement un acte « responsable », mais une étape de plus dans la transformation lente et assumée du PS en parti de gouvernement modéré, « compatible » avec Renaissance et Horizons.

Ce mouvement n’est pas un malentendu. Il est revendiqué. Olivier Faure le présente comme un devoir, Jérôme Guedj comme un accomplissement et Gabriel Attal, lui-même, salue ce rapprochement comme la preuve que « le travail parlementaire a permis de dégager des compromis ». À mesure que le PS salue le texte et la méthode du gouvernement, les lignes de fracture avec le reste de la gauche s’élargissent et les électeurs de gauche reconnaissent de moins en moins dans ce PS un parti capable d’exprimer une alternative.

Une gauche fracturée mais cohérente dans son refus

Pour les autres forces progressistes, la situation est tout aussi délicate mais politiquement plus cohérente. Le texte reste profondément inégalitaire malgré les concessions arrachées. Il ne corrige pas la crise de l’hôpital public, ne revalorise pas les prestations sociales à hauteur de l’inflation réelle et ne revoit pas les exonérations massives accordées au patronat qui creusent année après année le déficit de la Sécurité sociale. Le rejet s’impose donc presque naturellement pour LFI, le PCF ou Les Écologistes.

Stéphane Peu, président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, a été très clair sur ce point en déclarant qu’il ne voterait pas le budget « en l’état ». Les Écologistes, eux, maintiennent que leur décision dépendra exclusivement des moyens accordés aux soignants, rappelant que soigner un système hospitalier à bout de souffle avec un Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) insuffisant ne relève pas d’un débat technique mais d’un choix de société.« À ce stade, le projet de loi de finance protège toujours les plus riches », avance d’ailleurs Cyrielle Chatelain, députée et présidente du groupe Écologiste et social, dans L’Humanité.

Manuel Bompard, pour LFI, est pour sa part très remonté contre la position du PS :« Olivier Faure valide 6 milliards d’euros d’économie sur la santé, une hausse du prix des mutuelles de 1 milliard d’euros, une limitation à 1 mois des arrêts de travail ou encore 500 millions d’euros d’économies sur les personnes atteintes de maladies chroniques comme le diabète. Les députés socialistes vont-ils suivre cette folie, abandonnant le programme sur lequel ils ont été élus et rejoignant ainsi la majorité macroniste ? », écrit-il sur le réseau social X.

La cohérence morale est donc largement du côté des forces qui refusent le texte. Le problème, c’est ce qui suit. Un rejet du PLFSS ouvrirait une crise institutionnelle dont personne ne maîtrise les contours, pas même le gouvernement. Les textes sont clairs : il n’existe aucune procédure automatique garantissant la continuité du financement de la Sécurité sociale en l’absence de budget voté. Le gouvernement pourrait recourir à des ordonnances, mais celles-ci seraient juridiquement fragiles et politiquement explosives. Une nouvelle version du texte devrait être présentée, mais comment imaginer qu’un Parlement fracturé l’adopterait dans les délais ? Jean-Paul Farandou, ministre du Travail, a prévenu que le pays serait alors plongé dans une « crise politique, économique et sociale », tandis que Lecornu évoque un scénario dangereux pour « notre protection sociale et pour le rôle du Parlement ».

Un dilemme insoutenable, une responsabilité mal placée

Le gouvernement tente désormais de faire peser sur la gauche la responsabilité d’une éventuelle chute du budget, alors même qu’il a lui-même dessiné un texte profondément déséquilibré et construit une majorité trop fragile pour gouverner. La gauche ne peut pas être tenue pour responsable de l’incapacité de la majorité présidentielle à rassembler au-delà d’elle-même. Elle ne peut pas non plus être sommée de valider un texte contraire à ses valeurs sous prétexte d’éviter une crise que le pouvoir a lui-même provoquée.

La vérité est qu’il n’appartient pas à la gauche de sauver un budget qui n’a jamais été conçu pour elle. Elle ne peut sauver ni une méthode ni un contenu qui perpétuent les mêmes injustices sociales. Ce qu’elle peut sauver, en revanche, c’est la cohérence politique, la fidélité à ses engagements et la lisibilité auprès de celles et ceux qui attendent d’elle qu’elle reste un contre-pouvoir et non un partenaire docile du bloc central.

Le vote de mardi ne dira pas seulement si le PLFSS passe ou tombe. Il dira dans quelle direction la gauche veut aller et si elle accepte encore de se compromettre au nom de la responsabilité ou si elle choisit de renouer avec l’exigence politique qui a jadis fait sa force.

Note :
1 –Le Monde du 8 décembre : Budget de la « Sécu » : Sébastien Lecornu et Olivier Faure jouent à quitte ou double avant le vote solennel.

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