Cotisations salariales et patronales : pourquoi ce ne sont pas des « charges »
Les entreprises doivent leur richesse au travail de leurs salariés. Il est donc cohérent qu’elles participent à la protection sociale de celles et ceux qui la créent. Une évidence remise en question par les libéraux qui entendent privatiser les profits et faire peser les risques sur la collectivité.
C’est devenu un poncif : les cotisations patronales seraient une charge écrasante qui empêche les entreprises d’embaucher ou d’investir. Ce discours occupe toute la place dans le débat public, comme si ces prélèvements étaient une anomalie française ou une punition infligée aux entrepreneurs. La réalité est beaucoup plus simple. Les cotisations sociales financent la protection des salariés1. Elles assurent les retraites, les arrêts maladie, l’assurance chômage et toute la sécurité économique sans laquelle aucune société démocratique ne tient debout. Si l’entreprise paie une partie de ces cotisations, c’est parce qu’elle doit sa richesse à celles et à ceux qui travaillent pour elle.
Derrière chaque bénéfice, chaque ligne de valeur ajoutée et chaque innovation, il y a des travailleurs. Le capital n’a jamais produit seul quoi que ce soit. Ce que l’on appelle cotisation patronale est donc en fait une participation normale au financement de la vie sociale de celles et ceux qui créent ces richesses. Rien de plus logique.
Le vocabulaire n’est jamais neutre
Depuis des années, le patronat désigne les cotisations sous le terme de charges. Ce mot n’est pas innocent. Il évoque un poids mort, quelque chose de pesant et d’inutile. Parler de charges permet de présenter la protection sociale comme un fardeau qui alourdirait le coût du travail. Or une cotisation n’est jamais un poids mort. C’est une contribution qui ouvre des droits. On cotise pour quelque chose. On finance une retraite, une assurance chômage, une indemnisation en cas de maladie. Les mots façonnent le débat public. Appeler charges ce qui relève de la solidarité transforme un système de droits en dépense indésirable et rend invisibles les bénéfices concrets pour les salariés comme pour la société tout entière.

Privatiser les profits et socialiser les risques
Les grands patrons, notamment par la voix du Medef, répètent depuis des décennies que les cotisations sociales sont trop élevées et qu’il faudrait les réduire pour libérer l’économie. Dans les faits, beaucoup d’employeurs défendent un système où les bénéfices leur reviennent en propre tandis que les risques sont pris en charge par la collectivité. Socialiser les risques signifie faire payer par l’ensemble des citoyens ce qui devrait relever de l’entreprise. Cela vaut pour le chômage, les accidents du travail, les arrêts maladie ou les retraites. L’entreprise bénéficie du travail fourni. Elle bénéficie aussi de la stabilité sociale garantie par ces protections. Il est donc cohérent qu’elle participe à leur financement.
L’exemple des retraites est particulièrement parlant. Le régime serait nettement moins déficitaire s’il n’existait pas autant d’exonérations de cotisations sociales. Celles-ci ont atteint environ 75 milliards d’euros en 2023 2. Ce sont des recettes manquantes pour la sécurité sociale et les régimes de retraite. Les études montrent en plus que ces exonérations sont loin d’être efficaces en matière d’emploi. Cette logique revient à faire financer par la collectivité des contributions que les entreprises devraient assumer, ce qui va directement contre l’idée que chacun participe selon les richesses qu’il tire du travail des autres.
Les TPE et PME, véritables oubliées des politiques d’exonération
Les grandes entreprises profitent pleinement de ce système. Les TPE et les PME, qui peinent réellement à embaucher et à absorber des coûts fixes, restent quant à elles en difficulté. Une politique plus juste encouragerait les embauches là où elles sont vraiment nécessaires, ce qui augmenterait naturellement le volume de cotisations sociales. Les niveaux de cotisations varient en réalité fortement selon les branches, et oscillent entre 25 et 42 % du salaire brut. Plus d’embauches signifie davantage de cotisations. Plus de cotisations signifie moins de déficits et une sécurité sociale mieux financée. Le cercle vertueux existe. Il est documenté, mais pourtant ignoré au profit d’un discours qui présente les cotisations comme une punition plutôt que comme un investissement collectif.
Le choix du bon sens… et de la bonne santé
L’enjeu n’est donc pas technique mais politique. Souhaitons-nous un modèle dans lequel chacun contribue selon les richesses qu’il tire du travail des autres ou un modèle où les profits sont privatisés tandis que les risques sont reportés sur la collectivité ? Les cotisations patronales ne sont ni un obstacle à la liberté d’entreprendre ni une anomalie française. Elles sont l’expression concrète d’un principe simple. Lorsque la richesse vient du travail, la protection de celles et de ceux qui travaillent est une responsabilité partagée. Et s’il existe un moyen sûr de faire baisser durablement les cotisations, il ne passe pas par l’austérité ou les exonérations massives, mais par l’investissement dans la santé publique : développer la prévention, renforcer l’accès aux soins, financer l’hôpital, créer un véritable service public du médicament et, surtout, améliorer le bien-être au travail. Parce qu’il y a une chose que les grands patrons devraient finir par comprendre : une société dans laquelle les salariés sont en bonne santé physique et mentale, c’est une Sécurité sociale qui coûte moins cher. Autrement dit, le meilleur levier de baisse des cotisations, c’est le respect du travail humain.
(Photo Kateryna Babaieva -CC)
Notes
1 – « Les cotisations sociales – Fipeco », fiche des taux.
2 – « Exonérations de cotisations patronales, un coût de 75 milliards d’euros en 2023 », Vie publique, 10 octobre 2024.
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