Démocratie au travail : ces entreprises qui prouvent qu’un autre modèle est possible
Quand les salariés participent réellement aux décisions, les entreprises deviennent plus résilientes, plus innovantes et souvent plus justes. Alors pourquoi la France reste-t-elle à la traîne ?

Pendant des décennies, l’entreprise française a été pensée comme un territoire où le pouvoir descend du sommet et se contente d’être exécuté par la base. Un modèle hérité du paternalisme industriel qui continue de structurer l’imaginaire collectif. Pourtant, partout où les salariés décident, l’histoire raconte une tout autre réalité. Productivité plus élevée, moindre turnover, capacité d’innovation renforcée : les résultats sont là (1). Et ils interrogent notre incapacité politique à faire évoluer la gouvernance du travail.
Car la France adore parler de compétitivité, de croissance ou de réindustrialisation, mais évite soigneusement la question de qui décide et comment. Cette question centrale n’apparaît ni dans les plans climat, ni dans les pactes productifs, ni dans les réformes sociales. Comme si la démocratie s’arrêtait à la porte du bureau. Une ligne rouge invisible mais très solide, que peu de responsables politiques osent franchir.
Quand les salariés gouvernent, l’entreprise devient plus stable
Les Sociétés coopératives et participatives (SCOP) et les Sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) constituent la démonstration la plus claire. Ces structures où les salariés détiennent au moins 51% du capital affichent des taux de survie à cinq ans nettement supérieurs à ceux des sociétés classiques (2). Ce n’est pas un hasard. Les salariés, parce qu’ils sont acteurs de la stratégie, privilégient la pérennité plutôt que les gains rapides. Ils anticipent mieux les crises et s’engagent davantage dans la réussite collective.
Regardons l’exemple connu de Chèque Déjeuner devenue Up : une croissance internationale, une diversification réussie et une gouvernance où chacun a voix au chapitre. Dans le bâtiment, des SCOP comme Acome ou Montana traversent les cycles économiques avec moins de casse que leurs concurrents. Héritage d’une idée simple : quand les décisions engagent celles et ceux qui les subissent, elles deviennent plus prudentes, plus réalistes et souvent plus efficaces.
Comment fonctionne une SCOP ou une SCIC ?
Une SCOP est une société coopérative où les salariés détiennent au moins 51 % du capital et 65 % des droits de vote. Une personne égale une voix. Les bénéfices se répartissent entre les salariés, les associés et les réserves impartageables.
La SCIC va plus loin en associant salariés, usagers, collectivités et acteurs locaux dans la gouvernance. Le principe reste le même : une voix par personne et constitution de réserves impartageables. Ce modèle ancre l’entreprise dans son territoire et garantit que la finalité est d’intérêt général, non la maximisation du capital.
Le modèle allemand montre que la codétermination n’est pas une utopie
De l’autre côté du Rhin, les salariés ne sont pas seulement consultés : ils siègent dans les conseils de surveillance des grandes entreprises, parfois à parité avec les actionnaires. L’Allemagne, qui n’a pourtant rien d’un laboratoire gauchiste, a simplement admis qu’on ne construit pas une économie puissante sans une forme de démocratie interne. Résultat : moins de conflits sociaux, un tissu industriel plus cohérent, des entreprises qui investissent davantage sur le long terme. Un modèle qui plaît d’ailleurs de moins en moins aux actionnaires les plus voraces qui font tout pour éviter cette codétermination, quitte à utiliser des formes juridiques étrangères pour leurs entreprises (3).
En France, parler de démocratie au travail reste subversif
Le débat politique français s’arrête toujours à la participation financière ou aux primes d’intéressement. Une vision comptable, presque paternaliste, qui ne touche jamais au cœur du sujet : la redistribution du pouvoir. Les salariés peuvent recevoir quelques euros de plus mais n’ont toujours aucun droit sur les orientations stratégiques de leur entreprise.
Dans les faits, tout le monde y perd. Les salariés, évidemment, qui restent exclus des décisions qui transforment leur quotidien. Mais aussi les entreprises elles-mêmes, qui manquent d’anticipation, de créativité et de stabilité (4). Et l’État, qui continue de subventionner un modèle hiérarchique souvent inefficace, tout en s’interrogeant sur la faiblesse de l’innovation française.
La démocratie économique comme outil de transition
À l’heure où l’on parle de réindustrialisation, de planification écologique et de souveraineté, la gouvernance devient un enjeu majeur. Comment espérer transformer l’industrie, réduire les émissions ou relocaliser des activités si les décisions restent enfermées dans des conseils d’administration obsédés par la rentabilité immédiate ?
Introduire de la démocratie au travail, ce n’est pas réinventer la roue. C’est reconnaître que ceux qui font tourner la machine doivent pouvoir en orienter la trajectoire. C’est aussi une manière de reconstruire un contrat social abîmé, en redonnant du sens à une économie qui tourne souvent à vide.
La France aime rappeler qu’elle a inventé la démocratie moderne. Il serait peut-être temps de la faire entrer dans les lieux où nous passons la moitié de nos vies.
(Photo DR – CC)
Notes :
1 – OCDE – Workforce composition, productivity and pay: the role of firms in wage inequality, 2020
2 – Confédération générale des Scop – Bilan 2024 des sociétés coopératives Les Scop et Scic
3 – Hans-Böckler-Stiftung – Mitbestimmungsreport (parité, performance et résilience des entreprises codéterminées).
4 – France Stratégie – Les soft skills pour innover et transformer les organisations.
5 – Nordic Council of Ministers / NIKK – Towards a sustainable future world of work in the Nordic countries.
Les chiffres qui bousculent le modèle classique
Les SCOP affichent un taux de survie à cinq ans proche de 65 %, contre environ 50 % pour les sociétés classiques. Leur rentabilité moyenne est comparable à celle des PME traditionnelles mais leurs fluctuations sont plus faibles, signe d’une plus grande résilience. Les entreprises participatives connaissent également un turnover nettement plus réduit.
À l’international, les pays qui ont institutionnalisé la participation des salariés (Allemagne, pays nordiques) montrent des performances proches : productivité élevée, stabilité sociale, meilleure capacité à absorber les crises. Partout où le pouvoir se partage, l’entreprise devient plus robuste.
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