Éditos

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« Désolé mon Général, mais nos enfants ne sont pas vos munitions »

Mon Général, permettez qu’on se parle franchement. Quand j’ai entendu vos mots, « accepter de perdre nos enfants », j’ai d’abord cru à un enregistrement sorti d’un bunker poussiéreux de 1914. Puis j’ai réalisé que non. C’était bien vous, en 2025, devant les maires de France, expliquant qu’il ne fallait pas qu’il nous manque « la force d’âme » pour envoyer notre jeunesse se faire trouer la peau sous prétexte de défendre « ce que nous sommes ». Vous nous pardonnerez, mais entendre un haut gradé réclamer du sang frais devant les édiles de la République, c’est une ambiance dont on se serait volontiers passé.

On aurait presque envie d’y voir un exercice de style, un hommage involontaire aux généraux de carton-pâte qui promettaient la guerre « courte et joyeuse » avant d’envoyer tout un pays dans la boue et les poux. À l’époque déjà, un certain Jean Jaurès,vous savez, le type qu’on a fait taire juste avant le carnage, rappelait que « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage ». Aujourd’hui encore, ses mots sonnent comme une gifle aux illusions martiales. Une armée, si l’on ne peut éviter d’en avoir une, n’a qu’une seule fonction légitime : protéger sa population. Pas l’exposer. Pas la mettre en balance. Pas l’utiliser comme variable d’ajustement stratégique.

Car enfin, Mon Général, de quels enfants parlez-vous ? Ceux qui n’ont aucune prise sur les décisions diplomatiques ? Ceux qui, depuis des décennies, servent de chair à canon dans des conflits impérialistes qui ne concernent en rien leurs vies, leurs aspirations, leur avenir ? On connaît la chanson : les puissants s’écharpent, les peuples encaissent. Les frontières, les ressources, les zones d’influence…C’est toujours le même Monopoly géopolitique où les pions ne décident jamais des règles.

Et puisque vous invoquez la nécessité de souffrir « économiquement » pour pouvoir produire vos machines de guerre, parlons-en. Cela fait soixante ans qu’on nous vend l’arme nucléaire comme l’assurance-vie ultime, l’outil de dissuasion qui devait empêcher quiconque d’oser quoi que ce soit contre nous. Dissuasion qui, paraît-il, justifiait qu’on accepte déjà le concept de l’anéantissement absolu. Résultat ? Des morts par milliers, non pas sous champignon atomique, heureusement, mais dans les tranchées du Donbass, dans les ruines de Marioupol, dans les convois russes de mobilisation forcée. La jeunesse ukrainienne et la jeunesse russe pourraient vous dire ce que vaut la dissuasion quand les conflits impérialistes ressurgissent.

Ajoutez à cela le conseil de sécurité de l’ONU où quelques puissances bloquent tout processus diplomatique dès que leurs intérêts sont en jeu, c’est à dire tout le temps. La paix mondiale à veto variable, voilà d’où vient l’impuissance, pas d’un prétendu manque de « force d’âme » du peuple français. Et en passant, Mon Général, une question simple : d’où tirez-vous exactement la légitimité pour venir prêcher la guerre devant les maires ? Depuis quand un chef d’état-major parle-t-il à la nation comme s’il fixait l’orientation stratégique du pays ? À moins que tout cela ne soit téléguidé. Et là, ce serait encore plus inquiétant.

Parce qu’au fond, notre société n’a pas « besoin » de perdre ses enfants. Elle a besoin de sauver ce qu’il leur reste de futur. Et leur futur, Mon Général, ne se joue ni dans les tranchées ni dans les budgets militaires. Il se joue dans la lutte contre un système économique qui détruit la planète, broie des vies et nourrit sans cesse de nouvelles guerres. Ce bon vieux capitalisme, toujours prompt à aller chercher de nouveaux marchés, de nouvelles conquêtes, de nouvelles ressources à exploiter. Et quand la croissance s’essouffle ? On détruit pour reconstruire. On arme, on ravage, puis on rebâtit : l’économie cyclique de l’absurde.

Nos enfants, eux, ont d’autres combats à mener. Celui de la justice sociale, de la sobriété écologique, de la démocratie vivante. Celui d’un monde où vivre serait enfin plus important que produire, consommer et mourir en héros malgré eux. Ils n’ont pas vocation à devenir les otages d’une géopolitique épuisée, ni les victimes sacrificielles d’un système qui tourne déjà à vide.

Alors Mon Général, si vous cherchez vraiment une « force d’âme », regardez du côté de celles et ceux qui refusent justement cette logique de mort. Ceux qui veulent un monde où l’armée protège, au lieu de présager le pire. Ceux qui pensent que la bravoure, ce n’est pas d’envoyer ses enfants mourir, mais de construire un monde où jamais personne n’en aurait l’idée.

(Photo GAA – CC)

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2 thoughts on “« Désolé mon Général, mais nos enfants ne sont pas vos munitions »

  1. Bravo pour ce magnifique article. Vos propos sonnent juste.
    Je ne peux pas vous soutenir par un don, j’en suis désolée.
    Vive la liberté d’expression

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