Économie

Économie Politique

Fiscalité du patrimoine : un rapport explosif révèle un système taillé pour les plus riches

Le nouveau rapport du Conseil des prélèvements obligatoires démonte un modèle fiscal devenu régressif, contournable et profondément inégalitaire.

Associé à la Cour des comptes, le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) a publié ce lundi 1ᵉʳ décembre un important rapport qui confirme ce que l’on soupçonnait depuis longtemps : la fiscalité française du patrimoine, malgré son apparence de sévérité, ne remplit plus sa mission d’équité. Selon le CPO, elle est devenue « forte, complexe, inégalitaire et peu efficace ». Pire, elle nourrit la concentration des richesses au lieu de la corriger.

Dès les premières lignes, le rapport rappelle l’ampleur du phénomène. Les impôts sur le patrimoine ont atteint 113,2 milliards d’euros en 2024, un niveau élevé en comparaison des autres pays, mais mal réparti, mal structuré et fragmenté par une multitude de régimes dérogatoires. Cette architecture bénéficie d’abord aux détenteurs des plus grands patrimoines, qui voient leur charge fiscale diminuer à mesure que leur richesse augmente. Le diagnostic est limpide : les 10 % les plus riches détiennent 60 % de la richesse nationale et le 1 % le plus fortuné en concentre 27 %, sans que l’impôt ne parvienne à corriger cette dynamique explosive.

Un impôt théoriquement fort, mais taillé pour l’optimisation

Le rapport consacre de longs développements à la manière dont la fiscalité actuelle, loin d’être progressive, devient en réalité régressive au sommet de l’échelle. L’impôt sur la fortune ayant été réduit à sa composante immobilière, les actifs financiers et professionnels, qui constituent l’essentiel des patrimoines les plus élevés, sont désormais presque totalement épargnés. Les détenteurs des plus grandes fortunes bénéficient de ce que le CPO appelle pudiquement une « capacité d’optimisation très supérieure », en particulier grâce à l’assurance-vie, au démembrement de propriété, aux pactes Dutreil ou encore aux montages d’apport-cession qui effacent les plus-values au moment crucial de la transmission. Le résultat est sans ambiguïté : plus le patrimoine est élevé, plus la charge fiscale relative diminue.

Cette situation s’inscrit dans un contexte de concentration accélérée des richesses. Le CPO note que le patrimoine croît deux fois plus vite que les revenus depuis trente ans, et que la part des héritages dans la formation du patrimoine individuel ne cesse d’augmenter. À l’horizon des prochaines décennies, un gigantesque « choc successoral » est attendu, avec des transmissions plus tardives et plus massives, bénéficiant avant tout à des contribuables eux-mêmes déjà âgés, souvent déjà aisés, et consolidant mécaniquement les inégalités entre générations. L’impôt, dans sa forme actuelle, reste structurellement incapable d’amortir ce choc.

Un système inéquitable qui nourrit le sentiment d’injustice

Si le CPO insiste sur la nécessité d’un impôt « mieux accepté », c’est parce que l’acceptabilité fiscale dépend directement de l’équité perçue. Or, aujourd’hui, tout concourt à l’injustice : assiettes étroites, niches démultipliées, taux faciaux élevés qui masquent en réalité une pression fiscale faible pour ceux qui savent la contourner. Le rapport évoque des « distorsions économiques majeures » qui orientent l’épargne vers des produits peu risqués, rigidifient le marché immobilier et défavorisent les investissements réellement utiles à l’économie productive. Il décrit un système si peu cohérent que les taux affichés importent moins que les opportunités de contournement, et où l’optimisation est devenue la norme chez les ménages les plus fortunés.

À la fin du document, le CPO formule plusieurs recommandations : élargir l’assiette des droits de succession, réduire les taux en contrepartie, moderniser la taxe foncière, rapprocher le régime de l’assurance-vie de celui des autres transmissions, ou encore limiter les possibilités d’effacement de plus-values. Deux scénarios plus ambitieux sont proposés, l’un visant à taxer davantage les liquidités logées en holdings, l’autre préconisant un impôt modéré sur la fortune hors actifs professionnels. Mais ces pistes demeurent contraintes par les exigences constitutionnelles, qui interdisent tout caractère confiscatoire, et par la volonté affichée de maintenir une réforme « neutre pour les finances publiques ». De fait, les plus grandes fortunes restent largement protégées par le cadre juridique actuel, que le CPO se contente d’exposer sans pouvoir le remettre en question.

Un débat désormais impossible à étouffer

Ce rapport publié aujourd’hui acte une rupture : il n’est plus possible de soutenir sérieusement que la fiscalité française du patrimoine serait équilibrée, juste ou efficace. Elle est l’expression d’un compromis politique dépassé, qui protège les détenteurs de capital tout en rejetant sur les ménages ordinaires l’essentiel de l’effort fiscal. Le CPO propose des ajustements prudents, sans remettre en cause les fondements d’un système qui favorise la reproduction sociale. Or le problème n’est pas seulement technique : il est politique. Il s’agit désormais de savoir si la fiscalité doit continuer à accompagner la concentration du capital ou redevenir un instrument de redistribution. Ce débat ne fait que commencer, et le rapport du CPO, malgré sa neutralité institutionnelle, le pose avec une clarté brutale.


Pour la gauche radicale et le Nouveau Front populaire : refonder la fiscalité du patrimoine

Les propositions de la gauche radicale et du Nouveau Front populaire (NFP) prennent une dimension particulière à la lumière du rapport du CPO. Alors que le Conseil se limite à recommander des ajustements prudents, les forces de gauche formulent un projet de refondation complet de la fiscalité du patrimoine. Leur point de départ est simple : un impôt qui laisse les très hauts patrimoines contribuer proportionnellement moins que les classes moyennes n’est plus un impôt redistributif, il devient un mécanisme de consolidation sociale. C’est précisément cette logique qu’ils entendent renverser.

Dans le cadre du NFP, LFI et le PCF défendent un retour de l’impôt sur la fortune, mais sous une forme profondément remodelée. L’impôt sur la fortune immobilière (IFI),  actuellement réduit à l’immobilier, serait supprimé. Un nouvel ISF, élargi au capital financier et modulé selon l’empreinte carbone des actifs, verrait le jour. Cet ISF « climatique » aurait une double vocation : augmenter la contribution des patrimoines élevés et inciter à la décarbonation des portefeuilles d’actions, d’obligations et d’assurance-vie. L’ambition affichée dépasse largement le rendement de l’ancien ISF. Il s’agirait non seulement de rétablir la progressivité perdue, mais d’utiliser la fiscalité comme levier écologique.

La gauche radicale entend également transformer la taxation des revenus du capital. Aujourd’hui, la flat tax 1 offre aux détenteurs de dividendes, d’intérêts et de plus-values un taux forfaitaire déconnecté du barème progressif. Le NFP veut y mettre fin. Les revenus du patrimoine seraient réintégrés dans l’impôt sur le revenu afin de renforcer la progressivité et de réduire les possibilités d’optimisation. L’objectif est d’aligner la fiscalité du capital sur celle du travail. En d’autres termes, faire contribuer les revenus financiers à hauteur de leur importance réelle dans les inégalités contemporaines.

En finir avec le mécanisme de reproduction dynastique

Sur les successions et les donations, la rupture est tout aussi nette. Le NFP propose de rendre les droits de mutation véritablement progressifs, avec davantage de tranches et des taux très élevés pour les transmissions exceptionnelles : jusqu’à 90 ou 95 % au-delà d’une dizaine de millions d’euros transmis. Ce choix n’est pas tant une volonté punitive qu’une déclaration politique. Au-delà d’un certain seuil, l’héritage doit cesser de fonctionner comme un mécanisme de reproduction dynastique. Dans le même esprit, LFI et le PCF défendent une taxation nulle ou beaucoup moins forte pour les petites et moyennes successions ainsi que l’instauration d’un « héritage maximum », au-delà duquel la transmission serait quasi intégralement taxée.

D’autres outils complètent ce projet, notamment une taxe étendue sur les transactions financières, incluant les opérations intra-journalières (achats et reventes, ou l’inverse, dans une même journée) et les produits dérivés. Elle viserait à freiner la spéculation et à dégager des recettes pour financer la transition sociale et écologique. L’ensemble de ces mesures s’articule avec une refonte plus large de l’impôt sur le revenu, dont le barème serait élargi vers le haut avec de nombreuses tranches supplémentaires. Le message est clair : la progressivité doit redevenir le principe structurant du système fiscal, en assumant une contribution accrue du décile supérieur de richesse.

Face aux constats du CPO, la gauche radicale et le NFP sont aujourd’hui les seuls à proposer une transformation systémique, à la fois fiscale, sociale et écologique de la taxation du patrimoine. Là où le CPO constate, ils proposent d’agir. Là où le rapport énumère des contraintes, ils imaginent un changement d’échelle. Le débat, désormais, ne peut plus être évité.

Notes
 1 – La flat tax est un impôt à taux unique de 30% qui s’applique sur les revenus du capital financier, comme les intérêts, les dividendes, et les plus-values mobilières, quel que soit le revenu du contribuable.

Notre site est accessible, sans abonnement, sans mur payant, sans publicité, parce que nous voulons que tous ceux qui le souhaitent puissent lire et partager nos articles.

Mais ce choix a une contrepartie : sans vos dons, déductibles des impôts, Le Nouveau Paradigme ne peut pas exister.

Nous dépendons donc exclusivement du soutien de nos lectrices et lecteurs.

Je fais un don pour LNP

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Back To Top